Encore une fois, retour sur nos (f)estives de cet été parce que le recul permet, nous l’espérons, de dégager 2 pistes décisives pour une décroissance radicale, histoire de commencer à controverser, sans polémique, avec la décroissance mainstream.
1. La première piste est l’autocritique de la décroissance proposée par Onofrio Romano : là où la décroissance mainstream en est à plaider que la rupture avec « la croissance et son monde » doit passer par une « forme » horizontaliste, Onofrio montre que cette forme reste « conforme » au Régime de croissance.
A la MCD, nous en déduisons qu’il ne pourra y avoir de rupture politique avec la croissance qu’à condition de rompre aussi avec les facilités de l’horizontalisme. Et cela pour une raison qui devrait interroger tous les décroissants : si, au nom d’une injonction horizontaliste, on en reste à toujours se féliciter de la « richesse de l’hétérogénéité » des « mouvements » décroissants, c’est comme si on réduisait un arbre à ses branches tout en négligeant et le tronc et les racines. Mais si les branches symbolisent la diversité et la variété, le tronc symbolise le commun et les racines symbolisent les conditions de possibilité de ce commun.
C’est pourquoi la MCD se donne pour objectif une définition commune de la décroissance et pour mission de réfléchir à ses conditions politiques de possibilités.
2. La deuxième piste porte justement sur ce qu’il faut entendre par « commun » et, pendant les (f)estives, elle a été abordée lors de nos débats sur la propriété ; en particulier à propos d’une différence entre propriété commune et propriété publique, ce qui a mis en avant une distinction entre « bien commun » et « intérêt général », et en arrière-plan la question de l’État, celle de sa nécessaire et radicale critique mais aussi celle du type de structure en capacité d’organiser la coordination politique des entités participant à la vie sociale (sauf à croire, comme les libéraux, à la formation spontanée du commun).
Où est passé le bien commun ? se demandait le philosophe François Flahault (2011, 1001 nuits) quand il faisait remarquer :
- « La notion de croissance économique… supplée vaguement à une conception du bien commun qui nous fait défaut, sans même pouvoir prétendre en occuper légitimement la place » (p.12).
- « Dans le meilleur des cas, la notion de bien commun (ou celle de bien public) se voit-elle remplacer par celle d’intérêt général, qui est l’addition et la composition des intérêts individuels » (p.14).
- « Comprendre comment l’existence de chaque personne dépend de ce bien premier qu’est la coexistence » (p.24).
Que de sujets de discussion pour une décroissance qui voudrait s’occuper des racines, consolider un tronc commun et ensuite se féliciter des branches.
Pour les années à venir, ce devrait être l’occasion pour la MCD de passer à son étape suivante : après les tâtonnements de sa mise en place, la consolidation et de son objectif et de sa mission.
Sans attendre, voici déjà de quoi réfléchir à une distinction claire entre « bien commun » et « intérêt général » (ce qui renvoie à notre critique unanime, lors de ces (f)estives, de l’individualisme, fût-il anarchiste) :
- Le « bien commun » (et on peut penser en priorité à la coexistence) est ce qui est partagé par tou.te.s les associés d’une communauté. Il est le même (idem) pour tou.te.s et en ce sens, chaque personne peut identifier ce bien commun avec son intérêt particulier. Un « bien commun », c’est un intérêt particulier qui est le même pour tou.te.s.
- Alors qu’un « intérêt général » n’est peut-être l’intérêt d’aucun particulier qui compose une communauté : parce qu’il est l’intérêt du « tout » qui dépasse la simple addition des « parties ». Autrement dit, et c’est toute la différence avec le bien commun, la défense de l’intérêt général suppose la capacité de se décentrer de ses intérêts particuliers, voire d’être capable de les faire passer après l’intérêt général.
Il n’y a donc pas opposition entre bien commun et intérêt général mais chacun.e peut voir que l’un est plutôt d’influence horizontaliste alors que l’autre envisage une forme de verticalisme. Mais pourquoi pas, à la condition impérative que cette verticalité soit envisagée de façon remontante (bottom-up) et certainement pas de façon descendante (top-down) !
Amitiés 🐌 entretenues,
La Maison commune de la décroissance

Bonjour,
Je voudrais contester votre formulation de la forme horizontaliste/anarchiste que défendent Vincent Liegey et Anitra Nelson comme étant le mainstream de la décroissance. Il suffit de voir le nombre de follower de Jason Hickel (presque 300,000) sur Twitter et la notoriété publique de Timothée Parrique en France et ailleurs pour se rendre compte que le mainstream de la décroissance, c’est eux. Or, Hickel défend une position Léniniste (prise du pouvoir par un parti révolutionnaire) alors que Parrique est plus réformiste. Aucun des deux n’éprouve de sympathie pour l’anarchisme. Vous pouvez ne pas aimer les positions horizontalistes/anarchistes (je sais que Romano n’a jamais aimé celles-ci), mais il en est une autre de les considérer comme dominantes ou mainstream au sein de la décroissance (il est vrai qu’une partie du mouvement défend et pratique une simplicité volontaire sans trop d’actions directes, collectives et en confrontation avec le pouvoir, mais cela ne représente pas non plus une position horizontaliste ou anarchiste).
Par ailleurs, il me semble que vous caricaturez la position horizontaliste/anarchiste comme étant quasi-nihiliste, où toute valeur ou position peut être acceptable. Or, c’est une représentation erronée. Les anarchistes – excepté les post-anarchistes – ont toujours défendus certaines valeurs comme la justice, l’entraide, le soin, l’égalité et la liberté tout en combattant ceux qui voulaient en imposer d’autres radicalement opposées. De même, les zapatistes (qui forment une branche importante de l’horizontalisme) ne considèrent pas qu’il faille faire en sorte que tous les mondes puissent cohabiter, mais seulement que certains d’entre eux puissent le faire. Bien-sûr, puisque les horizontalistes/anarchistes ne veulent pas imposer leurs idées en écrasant les autres (puisqu’ils défendent des stratégies anti-autoritaires), cela demande de laisser place à l’écoute d’autres idées et à essayer de faire société avec ceux qui ne seraient pas exactement d’accord avec ses propres valeurs (tout en ne menant pas à des contradictions trop importantes). Mais en aucun cas cela ne tombe dans un quasi-nihilisme.
J’espère que ces précisions sont utiles pour ne pas tomber dans une caricature peu informée.
Cordialement,
Adrien Plomteux
Bonjour,
merci pour vos remarques qui alimentent une controverse, ce dont nous sommes demandeurs. Pour autant, où avez-vous vu que nous associons systématiquement l’horizontalisme et l’anarchisme ? Que l’horizontalisme soit une déclinaison de l’individualisme et que, de plus, il existe une variante individualiste de l’anarchisme, ne permet pas d’en déduire qu’il faille confondre horizontalisme et anarchisme. Du coup, votre défense de l’anarchisme passe à côté de la critique à adresser à l’horizontalisme.
Rajoutons que l’horizontalisme n’est pas un nihilisme des valeurs mais plutôt le contraire : il ne s’agit pas de refuser toute valeur mais au contraire de toutes les valider.
Horizontalisme que l’on peut qualifier de mainstream non pas en regardant les followers mais tout simplement en lisant la première phrase du livre récemment publié par V. Liegey et A. Nelson : DEGROWTH HAS COME OF AGE In the 2020s degrowth has come of age. It is visible in the mainstream media and attracts a variety of audiences. Autrement dit, la décroissance mainstream, c’est la décroissance qui paraît dans les médias mainstream. C’est aussi celle qui est défendue (et pratiquée) par la très grande majorité des « décroissants », et à laquelle se rallient Liegey et Nelson dans la dernière phrase de leur article de Degrowth.info : « In contrast to Hickel’s democratic socialist position, our aim is to support movements and alliances based on a horizontalist view of degrowth and a horizontalist vision of eco-socialism. ».
En fait, la position que nous défendons à la MCD, qui est proche de celle d’Onofrio Romano, et qui malheureusement n’apparaît pas dans le Handbook, permettrait de renvoyer dos à dos et la position verticaliste descendante (top down) de J. Hickel et la position horizontaliste de Liegey et Nilson. C’est le sens de la dernière phrase de cette Lettre de la MCD, qui défend plutôt une priorité à accorder à une verticalité remontante (bottom up). Pourquoi ? Parce que c’est peut-être la seule voie qui, pour reprendre l’image de la Lettre, ferait justice à la variété des branches décroissantes, sans sacrifier un tronc commun.
Nous rajoutons que cette démarche (que Pierce nommait « abduction ») pourrait à la fois être une démarche conceptuelle et concrète : tout simplement parce qu’elle ferait droit aux réalités vécues sans se priver de fabriquer des concepts (d’ailleurs, on pourrait faire remarquer que jamais aucun concept n’a jamais été produit sinon comme résolution d’un « problème », au sens de Dewey).
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