IA : la submersion discriminatoire

Le mot de la MCD : nous republions ce texte initialement paru sur le site de PEPS (pour une Écologie Populaire et Sociale) parce qu’il s’autorise à critiquer ouvertement l’IA à l’heure où il est de bon ton de déclarer qu’il « faut vivre avec son temps » et que nous pouvons « avoir une usage bénéfique de l’IA »… Et à qui dans la foulée de s’amuser et de s’émerveiller de l’infini des possibilités ouvert par cette nouvelle technique en tentant de la ré-humaniser (progrès pour la médecine, pour l’éducation, pour l’égalité des droits, pour le développement des Suds et autres absurdités…). De toutes les critiques faites dans ce texte, nous retiendrons celle qui questionne ce que nous fait l’IA sur le plan anthropologique : la réalisation potentielle du fantasme de l’ultra-libéralisme de nous délivrer de toutes tâches dites pénibles (élargi avec l’IA aux devoirs maison, aux textes à rédiger, aux photos à prendre, aux visuels graphiques à créer, aux sources à chercher et cataloguer, aux textes à traduire etc…) est en réalité un appauvrissement considérable de notre condition d’humain.e. Alors, pour nous, pas d’alternatives quant à une « autre IA » , comme il n’y a pas une « autre croissance », ni un « autre libéralisme », ni une « autre mondialisation » possibles : soyons anti-IA, anti-croissance, antilibéraux, antimondialistes pour sortir des mondes dystopiques que ces concepts génèrent. Soyons prévenu.es : un outil n’est jamais neutre, et un mode d’emploi est un mode de vie : si nous décroissant.es luttons de longue date contre l’artificialisation des terres, il faut maintenant lutter contre l’artificialisation de la pensée.

« On n’arrête pas le progrès »

Adage battu et rebattu, mais force est d’observer qu’en pratique, la science et la technologie débouchent sur toujours plus d’applications.  Pour le meilleur ou pour le pire, telle est la question. Quel avenir nous promet ces intelligences artificielles qui envahissent chaque pan de notre vie ? Qui est aux commandes ? Les chercheurs et ingénieurs, les entreprises et les banques, les politiques ?

Macron organise  du 6 au 11 février 2025 un sommet pour l’action sur l’IA.

Ce sommet ne promet rien moins que de « valoriser des projets centrés sur des problèmes technologiques ambitieux ou des problématiques de société visant à démontrer l’utilité de l’IA pour l’humanité dans son ensemble ».

Au-delà des débats sur la course inéluctable du progrès, depuis la première révolution industrielle, il faut constater que, tout comme pour le développement de l’agro-industrie ou du programme électronucléaire par exemple, l’État et le marché sont les meilleurs alliés. Le gouvernement Français s’échine à développer la start-up nation. La Silicon Valley met sa puissance au service de Trump qui le lui rend bien. En Chine, l’État despotique contrôle les entreprises, et défie les USA.

Une technologie tentaculaire au service de choix qui bouleversent les vies.

C’est à cause du remembrement des terres agricoles, […] décidé de manière autoritaire par le gouvernement de Vichy et poursuivi encore quelques dizaines d’années, que la décrue de la population paysanne s’est accélérée et que les modes de vie ont été bouleversés au nom du progrès, au service de la productivité et du PIB.

Il n’est plus question avec l’IA de mécanisation, mais de tenter de se substituer au raisonnement humain. 

Comparaison n’est pas raison et les méthodes autoritaires ont laissé la place à des réglementations bureaucratiques et des techniques de marketing efficaces pour domestiquer les populations et les obliger à s’adapter continuellement. Cependant, si l’on nous promet grâce à l’IA des diagnostics très précis de tel mélanome, il faut être conscient que ce sont les mêmes réseaux de neurones artificiels qui pilotent des drones tueurs, qui remplacent les journalistes dans certaines rédactions, les programmeurs informatiques, qui analysent la jurisprudence dans les cabinets d’avocat à une vitesse incomparable, sans pour autant garantir qualité et fiabilité. Les algorithmes sont spécifiques aux applications, mais l’architecture sous-jacente est en partie la même. Elle ne date d’ailleurs pas d’hier, ni même de la première version de ChatGPT en 2018 ou de la victoire d’un ordinateur d’IBM face à Kasparov aux échecs en 1997, mais des années 1950 dans les laboratoires du MIT. Depuis, la puissance de calcul des ordinateurs a augmentée de manière exponentielle – de quelques milliers d’opérations par seconde (Kiloflop) à un milliard de milliards (ExaFlop) – et la collecte des données avec l’essor d’internet depuis 20 ans a permis l’apprentissage des algorithmes. 

Devenir acceptable et indispensable, jusqu’où ?

Les rassuristes nous disent que l’on pourra toujours réguler, que les métiers ne disparaitront pas mais uniquement certaines tâches.  Certes, la singularité, ce moment critique où l’intelligence artificielle dépassera celle des humains, n’est pas pour demain, mais si l’on poursuit la comparaison sur le travail, combien de paysans reste-t-il aujourd’hui ? Quels dégâts peut-on tolérer sur nos vies à cause de l’omniprésence de l’IA ? Sur le plan anthropologique, effectuer des tâches simples, répétitives ou automatisable n’a rien d’inutile et s’avère parfois formateur. Un musicien même virtuose répète ses gammes. Le domaine de la médecine est souvent convoqué. On entend même des publicités sur France inter vantant « les bénéfices de l’IA dans le domaine de la santé ». Commencer par ce domaine intime est une manière d’instiller petit à petit un discours techniciste acceptable – mais surtout dévitalisé – et de toute façon quasi ignorant des ressorts techniques et de leurs enjeux. Certes, l’IA analyse des radiographies plus vite et sur beaucoup plus de variétés de mélanomes, mais le radiologue de Paris ne traite que quelques variantes de ce cancer, il ne voit jamais de mélanomes de Djakarta ; son collègue indonésien si, et il sait les traiter. Leur niveau d’expertise suffit sans IA. Il faut donc analyser le rapport risques/bénéfices d’une telle technique. Veut-on investir dans un peu plus de santé de pointe pour les pays qui en auront les moyens, ou alors éradiquer des maladies qui tuent encore des milliers de personnes ne bénéficiant pas de l’hygiène ou de l’alimentation minimale ? 

Veut-on répandre la dose « optimale » de pesticides dans nos champs avec nos drones intelligents, ou revenir à une agriculture saine, respectueuse du vivant et à taille humaine ? D’ailleurs, sans pesticide… moins de cancers. […] Veut-on aggraver l’écocide par le pillage des ressources nécessaires à la fabrication et l’exploitation de ces objets connectés ? Veut-on continuer le sociocide par le capitalisme de plateformes qui déshumanisent encore un peu plus le travail mais aussi les loisirs ? Veut-on d’une éducation homogénéisée par l’usage de ChatGPT dont la fiabilité et les biais posent questions ?

Les projets intellectuels et les choix politiques précèdent les innovations technologiques

 Le démembrement annoncé du CNRS avec ses « key labs » ne fait pas exception, il va un peu plus soumettre la recherche publique aux besoins en recherche et développement des entreprises. Ces mêmes entreprises qui petit à petit grignotent la souveraineté des États, comme on peut déjà le voir dans le domaine de la santé, de l’aéronautique, du spatial, de la défense ou comme certaines tentatives sur la monnaie par exemple. La réélection de Trump avec la complicité de Musk constitue le hold-up parfait. En tant que président, il poursuit son activité d’entrepreneur et facilite celle de ses alliés. Du fossile à l’IA, il va mettre un peu plus l’administration au service de l’ultra-libéralisme. 500 milliards de dollars vont être alloués dans le projet « stargate ». Trump a même signé un décret exécutif pour favoriser l’industrie des cryptomonnaies, symbole de la spéculation fondée sur le vide absolu généré par des algorithmes chronophages et énergivores.

Mais  il nous faut regarder ici même en Europe et en France et être bien conscients que nos Arnault, Meloni (invité.es à l’investiture de Trump), Bolloré, Niel et consort suivent déjà cette voie du techno-féodalisme dont les seigneurs sont chinois et américains.

 Quelles alternatives ?

Techniques, science et civilisation seront-elles encore viables avec l’IA, son instrumentalisation et ses dérivés transhumanistes et eugénistes ? Aujourd’hui, la nouvelle religion de l’IA développée par les techno-oligarques nous fait croire qu’elle peut sauver le monde, comme avec les OGM et d’autres solutions techno-scientistes. Or comme une addiction au progrès sans limite, ce nouvel opium du peuple repose sur une série d’illusions. l’IA est un écocide nécessitant une infrastructure mondiale qui brûle des carburants consomme plusieurs milliards de litres d’eau par jour, extrait des métaux rares dans des zones de conflits, et accélère le dérèglement climatique. L’IA pille nos données personnelles et nous transforme en cibles publicitaires. Elle vole les scénaristes, les artistes, les écrivains les acteurs et tous les créateurs en s’appropriant leurs œuvres. L’IA est un facteur de discrimination et de management autoritaire du travail. Ceux qui dirigent les entreprises de big data et d’IA sont des hommes blancs virilistes à l’image de Musk et de ses compères d’Amazon ou de Meta.  L’IA est donc une menace immédiate pour nos libertés et pour notre devenir. Nous devons nous organiser face à ce despotisme technologique.

« Dans la vie rien n’est à craindre, tout est à comprendre » disait Marie Curie, mais pour organiser une techno-critique efficace, il ne va pas falloir cantonner cette compréhension aux experts, c’est l’affaire de toutes et tous parce que c’est une question de passage d’une ère civilisationnelle à une autre. Gommer la nature et l’humain n’est pas une option. 

Pour aider à penser ces questions, une rencontre pluridisciplinaire est organisée à Paris au théâtre de la Concorde le 10 février à 14h. Elle se veut un contre-sommet, « pour un humanisme de notre temps et se rappeler qu’on arrête (parfois) le progrès. PEPS soutient ce contre-sommet car nous devons inclure un maximum de citoyennEs dans ce débat pour le réorienter, car une autre IA est possible qui ne conduirait pas à une augmentation mais à une amélioration de l’humain. 

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