De retour du colloque européen « Beyond Growth »

Du 15 au 17 mai, se tenait au Parlement Européen (antenne de Bruxelles), un colloque sur le thème Beyond Growth, colloque ayant pour vocation de mettre en débat au sein de l’hémicycle la notion même de croissance, dans l’idée d’ouvrir des fenêtres d’agenda politique et de peser en faveur de politiques européennes qui n’iraient pas dans le sens de la croissance.

J’y suis allée pour la MCD. Il s’agissait de 3 jours de tables-rondes thématiques (réduction du temps de travail, Sud global, énergie….) encadrées matin et soir par des plénières plus générales, plutôt confiées à des « personnalités » issues du monde politique et académique. Compte-tenu de la diversité des interventions (tant dans leurs sujets que dans leur qualité), il ne s’agira pas ici d’en faire un compte-rendu exhaustif, mais plutôt d’énoncer quelques commentaires politiques :

  • D’abord s’étonner du concept mis en avant : « Beyond Growth », que l’on pourrait traduire par « au-delà de la croissance ». Au premier abord, au-delà de la croissance, c’est juste… encore et toujours plus de croissance, vers l’infini et au-delà, comme le disait si bien notre ami Buzz l’Éclair ! « Au-delà », c’est un mot issu du régime de croissance, qui nous invite à repousser toujours plus loin les limites. « Au-delà », c’est tout simplement le projet de transhumanisme et d’homme augmenté, de colonisation de planètes lointaines, de « surperformance »…

  • On ne s’étonnera pas alors de ne pas avoir entendu parler tout de suite de décroissance. Lors de la plénière d’ouverture, la parole a d’abord été donnée (par convention, on imagine) à Roberta Metsola, présidente du Parlement Européen, puis à Ursula van der Leyen, présidente de la Commission Européenne. La première a réussi à placer qu’il fallait « réussir à faire grossir notre économie de manière soutenable »… tandis que la deuxième est apparue carrément écolo à côté de sa consœur, en prenant quand même la peine de citer le rapport « The Limits to Growth »… tout en promouvant ensuite « un nouveau modèle économique européen de croissance » par la décarbonation et l’innovation technologique…

  • On continuera sur notre lancée par une seconde plénière avec des noms tous plus appétissants les uns que les autres : Sandrine Dixson-Declève (présidente du Club de Rome) ; Jason Hickel (auteur de Less is more) et Adélaïde Chartier (la Greta Thunberg belge), qui bien plus critiques de la croissance que leurs prédécesseures n’oseront pas pour autant prononcer une seule fois le mot de décroissance… Le ton du colloque est donné ! (Dans mon cas, il aura fallu attendre le panel « Global South » et la personnalité originale et pleine d’humour de Raj Patel, universitaire spécialiste des crises alimentaires, pour que le mot « degrowth » soit utilisé, et uniquement par lui)

  • On notera quand même le décalage que cela provoquera entre cette élite dirigeante, enferrée dans des schémas politico-économiques dépassés mais toujours puissants (puisqu’on continue de leur donner la parole, même au sein d’un colloque explicitement consacré à la critique de la croissance) ; et les attentes et les convictions politiques de la salle (très jeune), bien plus en faveur de la décroissance et désireuse d’en apprendre plus sur le sujet, dont l’impatience montera au fil des jours jusqu’à finir par huer certaines personnalités du « gratin européen » venues défendre la croissance verte (il circulait même l’idée de scander lors de la plénière de fermeture « degrowth » à pleins poumons, voire d’occuper le parlement européen pour « forcer » la discussion…)

  • Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : deux interventions au moins ont été particulièrement intéressantes : celle de Timothée Parrique, et celle d’Aurélien Barreau.
  • celle de Timothée, dont la démonstration sans faille de l’impossibilité du découplage entre croissance et dommages environnementaux a, je l’espère, ébranlé ne serait-ce que quelques secondes les croyances des élites européennes (même si bien sûr de notre côté, nous défendons que QUAND BIEN MÊME le découplage serait possible, eh bien nous serions tout de même en faveur de la décroissance par goût des limites et critique de la technique en tant que telle. C’est l’ADN de la décroissance en tant que philosophie politique). Mais qui surtout, a eu le courage de défendre que la décroissance consistait en un ralentissement significatif de l’économie (une vraie décrue économique) supérieure à une baisse de PIB de 2.5% par an, et qu’il fallait donc organiser cette phase temporaire de décroissance (c’est la décroissance comme trajet que nous défendons, qui ne serait qu’une parenthèse, qu’une époque…) avant d’atteindre des sociétés post-croissance caractérisées par une économie stationnaire contenue au sein des limites planétaires. Tout cela représentant une stratégie plus réaliste que la poursuite chimérique, soutenue par le progrès technologique, d’une hypothétique croissance verte.

  • Mais pour une militante politique de la décroissance, il a été parfois un peu usant de n’entendre critiquer le modèle actuel que sous l’angle de l’épuisement des ressources et des bouleversements climatiques en cours, comme si l’écologie ne pouvait être qu’un réalisme politique basé sur des faits scientifiques : mais qu’en est-il alors du projet anthropologique, du souffle humaniste, de l’horizon politique, de la perspective sociale d’une telle écologie ??? C’est pourquoi nous remettons la palme d’or de l’intervention à Aurélien Barreau, pour son discours lors de la plénière du mardi. Si de nombreux point de désaccords subsistent (comment peut-il défendre sérieusement qu’il faut se réapproprier le notion de croissance ? Et pourquoi pas se réapproprier la colonisation, le capitalisme ou le racisme, pendant qu’on y est ?), nous retiendrons quelques pensées bienvenues :
    • Sans se soucier des causes énergétiques : qu’est-ce qui constitue pour nous autres, humains, une option désirable ?
    • L’interrogation n’est pas scientifique, elle est à la marge politique, elle est de nature poétique, de sens, anthropologique
    • La question qu’il faut poser est celle du sens de l’existence. Où voulons-nous aller collectivement ? Quelle est notre finalité ?

Alors merci Aurélien Barreau, d’avoir été le seul à envisager la question de la décroissance sous cet angle. Car si nous savons que les limites planétaires doivent nous fournir le cadre de nos actions, nous disons qu’il faut encore se poser la question politique, véritablement humaine de « Qu’est-ce qu’une vie bonne et sensée? », et ce n’est certainement pas au Parlement Européen que nous trouverons la moindre piste…

Intervention de Timothée Parrique
Intervention d’Aurélien Barrau
Partagez sur :

2 commentaires

  1. Je crois que Aurelien Barrau dans son exposé faisait référence à la croissance des rapports humains de qualité via la culture, les échanges, la création, etc.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.