Avant la post-croissance pépère, il ne faudrait pas oublier de décroître

Quiconque a tenté de plaider la « cause » de la décroissance s’est déjà trouvé devant le mur des clichés et des malentendus ; à tel point qu’il n’a pas pu éviter de se demander s’il fallait vraiment s’accrocher à ce terme.

Alors, pour se remonter le moral, voici 2 raisons : oui, ce terme de « décroissance » est vraiment bien choisi.

  1. D’abord parce que son sens le plus spontané – la décroissance, c’est le contraire de la croissance – pose explicitement non seulement ce contre quoi il faut résister mais aussi un chemin, un trajet. Il faut dire de la décroissance ce qu’André Gorz disait du socialisme : qu’elle ne disparaîtra qu’avec l’objet de sa critique. Tant que la croissance exercera son emprise, il faudra lutter pour décroître.
  2. C’est pourquoi, plus forte est cette emprise –  économique, et anthropologique par la colonisation des imaginaires – plus le terme de décroissance devient irrécupérable.

Mais il ne faut pas se cacher que, même chez des critiques de la croissance, ce moment si éminemment politique de la décrue – la décroissance -, est trop souvent escamoté : comme si, par miracle, on allait un jour sauter directement dans un monde libéré de la croissance sans avoir eu à passer par une phase de transition qui aura été une diminution et une désintoxication.

 Voilà pourquoi le combat politique pour la décroissance doit aussi accepter de se disputer – conflit interne, controverse – avec ces « maladresses ».

  1. Et s’étonner du succès que rencontre aujourd’hui l’au-delà. Au Parlement européen, ce mois de mai 2023, les quelques interventions réellement décroissantes se sont déroulées sous le drapeau du Beyond Growth ! La dernière livraison de L’Economie politique (revue trimestrielle éditée par Alternatives Economiques) s’intitule « Penser l’économie au-delà de la croissance » (on y trouve même un article sur la « macroéconomie de la post-croissance » coécrit par quelqu’un dont la thèse avait pourtant osé une « macroéconomie de la décroissance » !).
  2. Est-il vraiment adroit d’adjectiver la décroissance ? D’où ces tentatives – aussi anciennes que le terme de décroissance – pour l’amadouer en lui accolant un adjectif : on a eu la décroissance « heureuse », « soutenable » (mais qui a jamais défendu une décroissance malheureuse, ou insoutenable ?) et maintenant on a la « décroissance prospère ». Cette drôle d’idée vient du titre d’un livre – Prospérité sans croissance – dont l’auteur, Tim Jackson rejette explicitement le terme de décroissance. Il suffit pourtant d’aller chercher les synonymes de « prospérité » (opulence, richesse, développement, expansion, pléthore…) pour voir qu’avec cette expression nous n’avons qu’un nouvel avatar de « la politique de l’oxymore » !

La décroissance, ce n’est pas déjà le monde stabilisé et équilibré que nous désirons, c’est le chemin pour y aller. Et ce que nous devons quitter, c’est une addiction à l’augmentation généralisée. Qui ne se moquerait pas si on proposait une « désintoxication addictive », ou une « réduction opulente » ???

C’est pourquoi, entre les deux extrêmes de l’esquive – que ce soit par l’adjectivation contradictoire ou par le « saut » – et de la réduction au seul « slogan » (le fameux « mot-obus »), il doit pouvoir exister une voie plus souple qui permette d’entendre le terme de « décroissance » sans immédiatement en désamorcer tout le potentiel provocateur, donc politique :

  • la distinction précise entre décroissance et post-croissance rend acceptable l’euphémisation de la décroissance en « transition post-croissance ». Au moins, il y a la reconnaissance du « trajet », et pas le circuit-court du « saut ».
  • Chercher des adjectifs ni oxymoriques,ni pléonomastiques mais qui restent « clivants » : la décroissance « sereine », c’était pas mal. Pour sortir de la course à l’efficacité, l’adjectif « robuste » (Olivier Hamant, La troisième voie du vivant, 2022), c’est pas mal aussi.

C’est de cela que la Maison commune de la décroissance veut discuter, lors des prochaines (f)estives, et d’ores et déjà en ouvrant un nouveau « dossier », consacré à la nécessaire fécondité à accorder à la conflictualité et à la controverse au sein même du corpus décroissant.

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