François-Xavier Bellamy est un de ceux qui vont conduire la liste des LR aux prochaines élections européennes et un des leaders du mouvement « sens commun » de Bruno Retailleau, le fils spirituel de de Villiers. Demeure, pour échapper à l’ère du mouvement perpétuel est le dernier livre sorti chez Grasset, en octobre 2018, de ce philosophe.
Son livre pose question tant ce qui y est écrit rejoint la philosophie de la décroissance. Il est en effet troublant de trouver chez cet homme qui s’affiche avec la droite la plus réactionnaire, une commune pensée avec la décroissance.
Jugez plutôt à partir de citations tirées du livre.
– La modernité ? Les chapitres II et III démontrent en quoi la modernité se fonde sur le mouvement. Pour Hobbes, un des premiers penseurs de la modernité, la vie est essentiellement mouvement, mais un mouvement dépourvu de but, qui cherche seulement à se perpétuer. Face à Hobbes, Bellamy convoque Pascal, contemporain du philosophe anglais : « le malheur des hommes vient de ce qu’ils ne savent plus demeurer. » Et F-X Bellamy d’ajouter « la modernité ne s’arrête pas à la révolution scientifique (…) elle en prolonge l’élan en faisant du mouvement une valeur, un but. »
– Le progrès ? « Rien n’est progrès en soi, nous ne pouvons parler de progrès qu’en rapport à ce que nous considérons comme un bien. » Plus étonnant encore : « Nous sommes dans bien des domaines en train d’abandonner ce que la modernité considérait comme un progrès technique absolu, en redécouvrant des modes de transport qu’on pouvait croire archaïque, des méthodes oubliées en matière d’agriculture, … »
– L’innovation technique ? « Puisque l’innovation technique n’abolit jamais les contraintes mais nous permet seulement de les déplacer, alors une solution bien plus ancienne et même archaïque, peut apparaître finalement comme le seul progrès, elle peut être infiniment meilleure que l’innovation la plus récente si elle permet de protéger ce que nous considérons comme essentiel. » Allons-nous voter pour Bellamy ? C’est tentant quand on lit « croire par principe dans la supériorité de l’avenir, c’est ignorer qu’il y a dans l’héritage de l’histoire, et dans la réalité du présent, des biens infinis qui méritent d’être admirés, d’être protégés et transmis. »
– Le transhumanisme ? Bellamy convoque Nietzsche : « j’ai depuis toujours senti une hostilité à l’égard de la vie, un dégoût et une lassitude à l’égard de la vie, qui se sont simplement déguisés, cachés, fardés derrière la croyance en une autre vie, en une vie meilleure. »
« Le passé est la matière première du monde dans lequel nous vivons et c’est pourquoi il faut réfléchir à deux fois avant de transformer ce monde selon nos désirs du moment. »
– Le pouvoir ? « Nous devrions évaluer la qualité de l’action menée par nos gouvernants, non à partir de ce qu’ils auront réussi à changer, mais de ce qu’ils auront réussi à sauver. »
– Peut-être ne le suivrons-nous pas quand il écrit : « A la fascination moderne pour le mouvement perpétuel, on ne saurait donc opposer un éloge de la fixité (…) Le débat public comme nos discernements personnels sont vides s’ils se contentent d‘opposer le mouvement à la conservation (…) on ne peut parler de progrès que pour décrire un mouvement qui se connaît pour but un point d’arrivée immobile. » Encore que, la décroissance n’est-t-elle pas un trajet vers un but immobile, une société sans croissance ?
– Le développement durable ? « La crise écologique est donc l’effet logique d’une économie du mouvement. Il faudrait être aveugle pour prétendre préserver la nature en affirmant simultanément que notre but est de tout changer, de tout transformer, de tout mettre au service de l’idole du progrès technique. »
– La PMA ? «La technique ne saurait abolir les contraintes qui accompagnent notre expérience du réel, sans abolir la réalité elle-même. » « Pour la première fois dans l’histoire humaine nous sommes en train de construire une société où le désir impose sa loi. »
– L’économie ? « La croissance, l’excès permanent, la richesse des nations deviennent l’horizon de l’économie, alors qu’elle trouvait sa logique même dans l’expérience de la pauvreté, de la rareté des ressources qui rend l’économie nécessaire au sens littéral du terme. »
– L’intelligence artificielle ? Elle, semble être pour Bellamy le dernier mot d’un positivisme épuisé.
A la sortie de ce livre on serait tenté de s’interroger, la décroissance n’est-elle pas de droite ?
Il serait plus juste de se demander comment Bellamy, si son livre est le manifeste de sa pensée, peut se complaire dans un parti qui rejette les migrants, qui prône le nucléaire, qui subventionne la pêche et l’agriculture industrielles, qui met à mal les acquis sociaux, qui vente la croissance… C’est à n’y rien comprendre… On saisit mieux pourquoi sa candidature fait grincer des dents les caciques de la droite mode Fillon.
Mais plutôt que de se demander à la lecture de ce livre si la décroissance ne serait pas de droite, il vaut mieux y voir une confirmation de l’ambition politique généraliste de la décroissance ; ambition que la décroissance assume en fournissant le cadre général à l’intérieur duquel toute question politique se pose. Ce cadre est celui de l’écologie politique, plus exactement de la soutenabilité écologique de n’importe quelle proposition politique, sans exception. Sans oublier que ce n’est que dans ce cadre écologique commun que la vie sociale en commun peut habiter : « Nous avons voulu défaire nos liens, ne regarder le monde que comme une juxtaposition d’objets manipulables et transformables… [Mais] le monde n’est pas un simple réservoir de matériaux déplaçables. La nature n’est pas un stock de ressources consommables. Un organisme vivant n’est pas une somme d’organes. Un peuple est plus qu’une addition d’individus. »
Et comme chacun devrait savoir que les plafonds de la soutenabilité écologique sont dépassés alors cela devrait conforter notre mouvement de la décroissance, décroissance définie comme l’ensemble des mesures politiques qu’il faudrait adopter pour faire repasser – démocratiquement – la planète et ses habitants sous des seuils de soutenabilité écologique, afin de retrouver des modes de vie décents (socialement) et responsables (écologiquement).
Cela me conforte dans l’idée qu’il y a des gens » bien » partout, selon mes critères, bien sûr, et que le clivage « gauche/droite » n’est qu’une façon de nous donner bonne conscience pour aller à la bagarre, car, que vous le vouliez ou non, les mâles en particulier, aiment la bagarre parce qu’elle est source d’émotion puissantes, voir la boxe, le rugby, la guerre, et……. les injures et parce ça fait partie du patrimoine génétique animalier pour le survie des plus forts. Comme le disait D’Estaing, » la gauche n’a pas le monopole du cœur » .
Être humain, c’est maîtriser ses pulsions animales par la pensée. Nous sommes des animaux dénaturés ( Cf.Vercors).
Ceci dit, je suis à 100% pour non seulement un freinage de la consommation, mais pour une décroissance, par contre, je suis pour le développement de la recherche fondamentale, malgré la production d’outils coûteux qu’elle implique.
Bonjour Gérard
Il y a une très bonne ITW de Serge Latouche pour expliquer pourquoi c’est une illusion de croire que l’on pourrait sauver le développement tout en critiquant la croissance : « Le développement, c’est la transformation qualitative de la croissance. C’est donc le développement infini, l’accumulation illimitée. Un développement infini est incompatible avec une planète finie. » → https://sciences-critiques.fr/serge-latouche-il-faut-decoloniser-les-sciences/
Serge Latouche parle de « décoloniser les sciences » : mais n’est-ce pas un moratoire de la recherche technoscientifique qu’il faudrait proposer pour rester cohérent avec notre critique décroissante ?
Alain de Benoist, plutôt marqué à droite (fondateur du GRECE et animateur de « la nouvelle droite) dit des choses analogues à celles de Bellamy. Il a même publié et re-publié un livre à la gloire de la décroissance. Dans son analyse politique sur le « conservatisme », il s’oppose au « libéralisme », union du libéralisme économique (catalogué droite) et du libéralisme sociétal (catalogué gauche) et théorisé par Jean-Claude Michéa. Il faudrait donc décomposer à son tour le « conservatisme » entre une tendance droitière fondée sur l’acceptation pleine et entière des inégalités (Bellamy, de Benoist, etc) et une tendance gauchère avec ceux qui voudraient combattre les inégalités, sans pour autant retomber dans le libéralisme. Les habitants de la maison commune par exemple?
Bonjour Christian
OK pour ce que vous écrivez.
On peut rajouter un précédent effort pour traiter de cette question entre décroissance et idéologie de droite : http://decroissances.blog.lemonde.fr/2019/02/13/notre-decroissance-nest-pas-de-droite-2/
Et puis il faudrait aussi distinguer entre « conservateur » (celui qui défend entre l’Etat et l’individu des intermédiaires sociaux) et « réactionnaire » (celui qui voudrait un retour en arrière) : les décroissants sont des conservateurs (et les travaux de J-C Michéa sont importants pour cela) mais ce ne sont pas des réactionnaires.