L’emprise publicitaire

Pourquoi le monde de la croissance peut-il se permettre de se contredire dans ses narratifs publicitaires ? Pourquoi la publicité peut-elle défendre tout et son contraire ? Pourquoi une publicité pour une marque de voiture peut-elle être suivie par une publicité pour une autre marque de voiture ? Pourquoi une publicité sur la déconsommation peut-elle être suivie par une publicité pour la fabrique industrielle de l’avenir ? Pourquoi une grande partie des publicités sont-elles aujourd’hui sous-titrées par des bandeaux incitant à modérer sa consommation alors même que la publicité est une incitation à la consommation ? Pourquoi la croissance peut-elle prétendre devenir « verte » et le développement être « durable » ?

Pourquoi de telles contradictions ne semblent pas affecter la robustesse du monde de la croissance ?

  • Les jeux d’argent et de hasard peuvent être dangereux : pertes d’argent, conflits familiaux, addiction…
  • Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo
  • Pensez à covoiturer
  • Au quotidien, prenez les transports en commun
  • Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour
  • Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière
  • Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé
  • Pour votre santé, évitez de grignoter entre les repas

Une première interprétation critique consisterait à voir dans ces injonctions contradictoires l’annonce et l’affolement d’un système économique qui n’a pas de direction ; au fond, ce serait une bonne nouvelle, l’annonce des contradictions internes d’un système qui n’a pas d’avenir. Le monde publicitaire témoignerait des failles du système, et surtout de la lutte interne féroce entre ses propres entités.

Ce type d’interprétation ne ferait que répéter la vieille croyance marxiste-léniniste selon laquelle « le capitalisme finira par vendre la corde pour le pendre », selon la formule de Lénine. Le capitalisme serait miné de l’intérieur par des contradictions structurelles.

La critique par la décroissance va au-delà de ce niveau de critique :

  • Historiquement, parce que si nous critiquons le capitalisme, ce n’est pas parce qu’il échoue mais au contraire parce qu’il réussit. Autrement dit, là où les marxistes voient des contradictions internes, il faut plutôt considérer que les partisans du système y voit soit la main d’une libre concurrence, soit une destruction créatrice.
  • Politiquement, parce que la critique anticapitaliste reste une critique tronquée quand elle ne voit pas que le capitalisme n’est que la structure économique d’une hégémonie beaucoup étendue, que nous nommons « croissance ».

La critique anticapitaliste reste enfermée dans le seul registre économique. Alors que ce qu’il faut critiquer c’est l’extension de la croissance à l’ensemble de la société, avec ses valeurs, ses modes de vie, ses images, ses récits, ses attachements.

Et c’est, arrivé à ce point de la critique, qu’il faut avancer encore d’un cran et reposer la question du départ : Pourquoi la publicité peut-elle défendre tout et son contraire ?

  • Parce qu’il faut se souvenir de ce jugement de Guy Debord selon lequel, dans la société du spectacle, le vrai est devenu un moment du faux.
  • Parce que la véritable emprise de la croissance n’est pas d’être un « monde » mais d’être un « régime ».
  • Ce régime est « neutraliste » ou « horizontaliste » : cela veut dire que, in fine, il est indifférent aux valeurs, et que, pour lui, toutes les valeurs sont équivalentes.
  • Dans l’antiquité, c’étaient les sophistes qui prétendaient qu’il n’était pas contradictoire de se contredire ; aujourd’hui, c’est la publicité qui fait la promotion de ce brouillard sophistique.
  • Quel est le sens d’une telle fabrique de la confusion ? C’est d’assurer, par des modalités très proches du harcèlement, l’emprise d’une consommation aliénée sur l’espace public.
  • Idéalement, la publicité devrait désigner le caractère public du débat politique. Aujourd’hui, elle n’indique que la mainmise de dispositifs d’aliénations sur nos (temps de) cerveaux.

Bref, la distinction de la critique de la croissance comme boussole, comme monde et comme régime permet à la décroissance de porter 3 niveaux de critique :

  • Au niveau économique, la publicité est une incitation à la consommation.
  • Au niveau des imaginaires, la publicité promeut un certain nombre de valeurs dominantes.
  • Mais c’est seulement en plaçant la critique au niveau du régime de croissance que l’on peut comprendre pourquoi il peut y avoir des publicités pour la déconsommation, pourquoi des publicités différentes peuvent vanter des valeurs antinomiques : parce que l’essentiel c’est d’assurer la poursuite d’un régime de domination par l’horizontalisme, par le neutralisme.

La domination de la croissance ne s’exerce pas par des valeurs – en disant par exemple que « la croissance, c’est bien (juste et désirable) » – mais par sa forme : dans le régime de l’horizontalisme, si toutes les valeurs se valent, si les institutions doivent rester neutres sur les conceptions privées de la vie bonne, alors leur seul rôle est d’assurer aux individus le maximum de moyens pour « réussir leur vie », et ce maximum de moyens, c’est la justification de « la croissance pour la croissance ». La publicité n’est que le bras armé de la croissance : là où les critiques de la croissance qui en sont restés à une critique par les valeurs – « la croissance, c’est pas bien comme le prouvent les faits, c’est-à-dire les effets sur la nature et sur la vie sociale » – voient dans la publicité des contradictions, il n’y a en réalité que le spectacle du régime horizontaliste de la croissance.

Ce dont la publicité fait avant tout la publicité, c’est du régime de croissance dans lequel toutes les valeurs finissent par s’équivaloir.

La campagne de l’ADEME

Spots diffusés du 24 novembre au 4 décembre

Le dévendeur de smartphone

Le dévendeur de lave-linge

Le dévendeur de ponceuse

Le dévendeur de polo

Les publicités de l’UIMM, la Fabrique de l’Avenir

L’industrie, c’est la fabrique de l’avenir

Avec l’industrie

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