Selon Luc Ferry, la décroissance est « invendable démocratiquement » : tant mieux, la liberté n’est pas à vendre

Dans le cadre de la promotion de son dernier livre « Les sept écologies », Luc Ferry s’attaque un peu partout dans la presse à la décroissance. Faisant feu de tout bois pour décrédibiliser cette dernière, il y oppose une idéologie prétendument révolutionnaire : l’écomodernisme. Retours critiques de la part de décroissants qui ont pris la peine de le lire attentivement.

La décroissance pose la question du sens de la vie quand l’écomodernisme défend jusqu’à l’absurde la croissance et son monde

Nous, décroissants, sommes d’accord avec M. Ferry. Ce dernier a raison de souligner qu’au sein du jeu des 7 familles de l’écologie la position idéologique de la décroissance est aux antipodes de l’écomodernisme qu’il défend et nous ne pouvons que le remercier pour ce constat.
Luc Ferry, qui accepte de passer à Sud Radio

Mais il se trompe sur ce qu’est la décroissance. Les (p)artisans de la décroissance partagent certes certains constats alarmistes, mais Luc Ferry se méprend en nous assimilant à des adeptes de l’effondrement. Nous nous opposons radicalement à l’argument de la nécessité, qui serait : l’effondrement étant inéluctable, nous n’aurions qu’à nous y résigner et nous y adapter. En plus d’être de nature à paralyser par l’angoisse qu’elle inspire, cette pensée porte surtout les germes d’une dépolitisation de l’enjeu écologique. Qui pourrait imaginer se mobiliser contre la loi de gravité universelle ou de la chute des corps ? La décroissance est au contraire un projet politique commun, qui ne peut être réduit au slogan « there is no alternative ». Ce n’est pas la crise écologique qui fait de nous des décroissants, car quand bien même nous serions dans un monde aux ressources infinies et aux richesses illimitées, nous défendrions une société à la production plafonnée et limitée dans son « exploitation » de la nature. C’est donc bien par choix idéologique que nous souhaitons un monde décent socialement et responsable écologiquement.

Qui sont vraiment les utopistes du XXIème siècle ?

Cela ne fait pas pour autant de la décroissance une utopie. C’est Luc Ferry et son éco-modernisme qui sont dans la lune ! Vouloir concilier capitalisme et écologie, promouvoir des solutions technologiques aux défis environnementaux ou affirmer que découplage entre croissance économique maximale et effets dévastateurs sur l’environnement est possible ne fait pas de l’écomodernisme une pensée politique plus sensée que la décroissance, bien au contraire. Car la question n’est pas : cela est-il possible ou non? La vraie question est : cela a-t-il du sens ou pas ? Comment refuser de voir que le monde de la croissance est un monde absurde qui a perdu pied avec le principe de réalité ? (Il n’y a qu’à regarder ce mouvement de milliers de jeunes ingénieurs rétifs au monde des multinationales) Comment refuser de voir que nous vivons collectivement une crise de sens ? Comment refuser de voir que ce monde ne fait pas rêver, alors que oui, « nous rêvons de bien vivre », une vie conviviale à échelle humaine, où la question du sens de la vie serait posée collectivement et sereinement. Alors comment faire ?

La décroissance, un trajet démocratique vers des sociétés écologiquement soutenables, socialement décentes et démocratiquement organisées

Encore une fois, Luc Ferry a raison de pointer la vraie difficulté et le défi politique et démocratique que représente l’enjeu de ce trajet décroissant vers un monde décolonisé de l’imaginaire de la croissance. Mais il développe une définition étriquée de la démocratie qu’il réduit à l’usage du vote et à l’électoralisme, comme si la cohérence d’un projet politique se résumait à la « sanction des urnes » ou à un programme pop et édulcoré. Ainsi, il souhaite bon courage à qui aurait le « courage » de proposer de réduire le pouvoir d’achat des Français par trois… Pourtant, nous assumons le fait que la décroissance sera bel et bien une récession permettant de repasser sous les plafonds de l’insoutenabilité écologique et sociale par la baisse de l’extraction, de la production, de la consommation, et des déchets. Une récession certes, mais non subie, choisie et volontaire, et surtout, pro-sociale, c’est-à-dire débutant par et financée par les plus riches, car il s’agit aussi de repasser sous les plafonds de l’indécence sociale. Il ne s’agit en aucun cas de décroître pour décroître, mais de revenir au sein de ce que nous appelons « l’espace écologique » : entre le plancher et le plafond de la soutenabilité écologique et sociale, c’est-à-dire au sein du seul espace permettant la conservation et la préservation de la vie sociale, l’espace de la vie vécue en commun.

La décroissance « invendable démocratiquement » ? Tant, mieux, la liberté n’est pas à vendre

M. Ferry se plaît à insinuer que ce trajet serait forcément anti-démocratique pour s’empresser de se positionner comme le défenseur des libertés. Mais de quelle liberté parlons-nous ? Celle de prendre l’avion pour aller à Bordeaux comme il le suggère ? Celle de nos « intérêts bien compris »? Celle de la fable des abeilles qui réduit la liberté à la confrontation de nos égoïsmes individuels ? A l’opposé de cette conception libérale de la liberté qui ne rêve que de s’affranchir des limites, c’est bien une liberté sociale redéfinie souverainement par toutes et avec tous que les décroissants défendent politiquement, liberté sociale totalement opposée tant à liberté libérale du renard dans le poulailler, qu’à la liberté profondément individualiste du survivaliste en temps d’effondrement. Et cette liberté-là n’est ni à vendre ni à acheter.
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