Décroissance de la misère, en réponse à Nicolas Bouzou

Décroissance de la misère

A en croire Nicolas Bouzou, dans un article publié dans l’Express le 3 mai 2020 et intitulé « Misère de la décroissance », le recul du PIB provoqué par la pandémie devrait ravir les militantes et les militants de la décroissance. Ce n’est pas le cas. Tout d’abord parce que ce recul n’offre qu’une ressemblance lointaine avec une décroissance choisie, ensuite parce qu’il se produit dans des sociétés qui n’y ont pas été préparées. Comment se réjouir d’une tragédie qui fait des milliers de morts ? Comment se réjouir de la montée du chômage et de la misère ? Il semble que Nicolas Bouzou confonde encore décroissance et récession. La récession c’est toujours la domination de l’économie sur la société mais en mode « recul » ; la décroissance, ce serait le choix démocratique d’une société de ne plus subir cette domination et sa course absurde de l’augmentation pour l’augmentation.

Nicolas Bouzou écrit que bâtir une société du care, exige de mobiliser des ressources importantes. Mais la croissance a-t-elle permis l’établissement d’une telle société ? Au contraire, on constate qu’elle s’accompagne toujours d’inégalités de plus en plus importantes, parce qu’en créant l’illusion de lendemains meilleurs, les sociétés productivistes les rendent supportables. Si la capacité de la croissance à lutter contre les inégalités est discutable, elle a en revanche un grand intérêt en ce qu’elle permet de cacher le problème sous le tapis et d’éviter de remettre en cause le système. En faisant référence à Marx, et en particulier à sa controverse avec Proudhon, on aurait pu croire que Nicolas Bouzou savait que le temps de travail est devenu une marchandise largement exploitée en système capitaliste. Pour notre part, nous avons beau être porteurs d’une « idéologie bourgeoise », nous nous réjouirons sans retenue quand la décision politique sera prise de financer la société du care par des prélèvements exceptionnels sur les grandes fortunes !

Reconnaissant finalement le problème des inégalités, Nicolas Bouzou nous rappelle que la conscience écologique est fonction du revenu. Nous pourrions ajouter que la misère n’est pas seulement économique mais aussi sociale, elle est le vécu douloureux de celles et ceux qui occupent une position inférieure au sein d’un système à la fois privilégié et inégalitaire. Elle est aussi démocratique, quand l’engagement citoyen est dévalorisé au profit d’un repli individualiste sur le travail et la consommation. Elle est enfin psychologique, quand les individus sont minés par les impératifs de la rentabilité et par le souci du paraître.

Où donc, Nicolas Bouzou évoque-t-il ces aspects pourtant essentiels ? Rappelons également que la sobriété volontaire ne consiste pas à promouvoir la misère, c’est-à-dire à manquer de l’essentiel, mais simplement à s’abstenir du superflu. Après avoir confondu décroissance et récession, Nicolas Bouzou ne confondrait il pas également misère et pauvreté ? Cette distinction n’est pourtant pas neuve puisqu’elle a une origine chrétienne : la pauvreté volontaire n’est pas l’indigence, c’est une vertu qui invite à la simplicité. Celle-ci est aujourd’hui dévalorisée car elle s’oppose négativement à la richesse, elle-même survalorisée dans une société de croissance. Entretenir la confusion entre misère et pauvreté permet opportunément de rejeter en bloc les appels à la sobriété portés par la décroissance, qui doit être entendue avant tout comme décroissance des inégalités.

L’autre combat de Nicolas Bouzou est la défense de la liberté. C’est aussi le nôtre. Mais quand il défend des choix purement individuels, nous défendons des choix collectifs, politiques. A le lire, nous serions des nostalgiques de la Terreur qui n’auraient de cesse de lui interdire de manger des avocado toasts dans les salons climatisés des aéroports ! Nicolas Bouzou s’est-il demandé si la liberté consiste à faire n’importe quoi par caprice, sans se soucier des conséquences pour les autres, et en particulier pour les générations futures ? La lecture de Rousseau est éclairante : par le contrat social l’homme perd sa liberté naturelle, c’est-à-dire le droit illimité du plus fort, pour gagner la liberté civile qui est garantie et délimitée par la volonté générale. Il ne s’agit donc pas d’interdire pour interdire, il s’agit de faire collectivement d’autres choix.

Enfin, Nicolas Bouzou écrit que la lutte contre le réchauffement climatique serait illusoire sans croissance, en raison du coût de la transition énergétique. Faisons un rapide calcul : avec un taux de croissance annuel du PIB de 3%, qui était à peu près celui de la croissance mondiale avant la pandémie, la quantité de biens et services produits aura augmenté de 35% en 2030, elle aura doublé en 2044 et aura été multipliée par 10 avant 2100… Dans un tel contexte, la transition énergétique n’apparaîtrait-elle pas quelque peu dérisoire ? Contrairement à Nicolas Bouzou, nous pensons que la lutte contre le dérèglement climatique ne pourra se faire sans un appel à la sobriété et au partage, comment dans ce cas échapper à une organisation démocratiquement consentie de la décroissance du PIB ?

Jérôme Vautrin, pour la Maison commune de la décroissance

 

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Un commentaire

  1. Nicolas Bouzou l’économiste chéri de nos médias, le pape de la nouvelle religion de la technique qui sauvera le monde, est une calamité. Son arrogance et sa suffisance n’ont pas de limites, comme la croissance qu’il promeut !
    C’est peut-être normal, il est contre la sobriété.

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