Pas de chiffre, pas de graphique, ni de statistique effrayante. Pas vraiment de paragraphes dévolus à l’écologie mais des idées touchant à l’économie, à la politique, à la philosophie et, plus simplement, à la vie et à son sens. On pourrait s’étonner de la présence d’un billet autour de ce recueil de William Morris à la Maison Commune de la Décroissance. Mais ce serait oublier que les décroissants ne font pas que râler, contester ou s’opposer au productivisme et à la croissance. Tout utopistes que nous sommes, les décroissants se permettent de proposer des pistes, de déposer des balises à l’aide de penseurs et philosophes. Parmi ceux dont nous pouvons revendiquer l’héritage, se trouve William Morris, « socialiste libertaire » et « épicurien » selon les mots de Thierry Gillyboeuf, auteur de la préface de « L’art et l’artisanat ».
Comme son titre l’indique, cet assemblage de textes (deux conférences et un article dévoilés au public britannique initialement entre 1883 et 1891), dont « L’art en ploutocratie » est sans doute le plus complet et le plus pertinent, traite des liens entre art, apprentissage, création et la société dans laquelle les expressions artistique et artisanale voient le jour. Ce sont des thèmes croisés dans chaque texte que l’auteur traite avec passion : critique de l’utilitarisme, du machinisme et de la « fabrique d’ersatz », de la concurrence, du mercantilisme et du commerce d’une part, et d’autre part, promotion de l’esthétique et de l’art populaire, et espérance de la venue d’une société moins inégalitaire et plus solidaire, favorisant l’union et l’entente libre de créateurs, permettant l’avènement de communautés afin de se répartir le fardeau du quotidien à assurer. Après avoir interrogé la récente séparation de la sphère artistique des autres moments de l’existence, William Morris fait aussi siennes les questions de la préservation, du progrès, de la civilisation et se demande comment lier la beauté, le plaisir et le bonheur au travail lequel ne serait plus une tâche ingrate mais deviendrait partie prenante de la vie elle-même.
Émises à la fin du XIXème siècle, la plupart des idées de William Morris peuvent trouver un écho avec la période actuelle, coincée entre chambardements technologiques et multiples incertitudes, comme en atteste ces quelques lignes : « Si la machine était destinée à réduire ce travail, il aurait fallu y dépenser des trésors d’ingéniosité. Mais est-ce bien le cas ? Il suffit de regarder le monde pour être d’accord avec John Stuart Mill quand il se demande si toutes les machines des temps modernes ont jamais allégé la besogne quotidienne d’un seul travailleur. Pourquoi nos espoirs naturels ont-il été à ce point déçus ? Sûrement parce que ces derniers temps, lors desquels on a effectivement inventé les machines, le but n’était absolument pas de s’épargner les affres du travail. Quand on parle de machine permettant d’épargner la main-d’œuvre, c’est une ellipse. Cela signifie que les machines permettent de faire des économies sur le coût de la main-d’œuvre, et que la main-d’œuvre, à peine soulagée d’un coté sera reversée de l’autre pour s’occuper d’autres machines. ».
Pour qui voudrait avoir un point de vue original et garni d’espérance sur des sujets toujours d’actualité, on ne peut que conseiller la lecture de ce petit ensemble d’interventions revigorantes.
William Morris, L’art et l’artisanat
Éditions Payot & Rivages – 2011
ISBN : 9782743622350
6,60 euros