La vie sociale

Le terme qui est ici défini est bien « la vie sociale » et non pas « la société », et encore moins « la vie en société » ; pourquoi ?

  • Nous laissons la sociologie proposer des définitions de la « société » 1 ; c’est donc une définition politique de la « vie sociale » qui est ici envisagée. En quoi est-ce « politique » de traiter de la « vie sociale » ? En ce que les hommes sont des « animaux politiques ». « Il faut d’abord établir en vue de quoi la cité est constituée… Un homme est par nature un animal politique. C’est pourquoi, même quand ils n’ont pas besoin de l’aide des autres, les hommes n’en ont pas moins tendance à vivre ensemble. […] Ils se rassemblent et ils perpétuent la communauté politique aussi dans le <seul> but de vivre » 2.
  • « Vie sociale », « vie en société » : les deux expressions semblent très proches et pourtant il n’est pas difficile de reconnaître qu’elles renvoient chacune à des conceptions complètement inverses des rapports entre la société et les individus qui la constituent. La « vie en société », c’est la vie des individus dans la société : comme si « société » et « individus » étaient des entités séparées, abstraites. Ce présupposé, quand il est poussé à sa limite, peut aboutir à deux conceptions symétriquement erronées : l’extrême individualisme, le holisme. Pour l’une c’est la société qui n’existe pas (et seuls les individus existeraient selon la fameuse formule de Maggie Thatcher, « et la famille ») ; pour l’autre, ce sont les individus qui n’existeraient (la confusion dans ce cas réside entre individuation et individualisation).

Mais alors si ce ne sont pas les individus qui sont les sujets de la vie sociale, qui est le sujet de la vie sociale ? C’est la société elle-même. La vie sociale n’est pas la vie des individus dans la société, mais la vie de la société. Telle est la thèse défendue par François Flahault quand il fait de la vie sociale un « bien commun vécu ».

« L’« ambiance », l’« atmosphère » qui règne dans un groupe plus ou moins nombreux constitue un bien commun vécu par les membres de ce groupe. Ce type de bien commun, intangible mais bien réel, répond aux mêmes critères que les autres (libre-accès et non-rivalité) ; plus un troisième critère : non seulement le fait d’être plusieurs ne diminue pas le bien-être vécu par chacun, mais le fait d’être plusieurs est la condition nécessaire pour que ce bien se produise 3.

Alors que l’individualité est la condition humaine de la « vie en société » (société qui est alors un ensemble d’individus juxtaposés), c’est au contraire la pluralité qui est la condition humaine de la vie sociale : non seulement la pluralité est la condition nécessaire de la vie sociale, mais la vie sociale devient alors la finalité de la vie à plusieurs. Les hommes vivent socialement pour entretenir et conserver la société.

Ces liens – non-individualistes entre individus et société – qui font vivre la société en forment la base. Nous avons développé ailleurs cette idée que c’est la vie sociale qui sert de fondement aux autres logiques sociales possibles (qui sont l’individuation et la compétition) : « Si les décroissants veulent le plus tôt et le plus brièvement possible décroître, ce n’est pas pour le plaisir de souffrir, c’est au contraire avec l’objectif de « bien vivre », ce qui signifie très exactement « vivre ensemble » et en même temps, du « seul fait de vivre ». Ce n’est qu’en vivant ensemble que les humains peuvent prendre plaisir au seul fait de vivre : voilà ce qui est bien. ».

  • Aujourd’hui les logiques d’individuation et de compétition ne peuvent étendre leur empire que parce qu’elles s’appuient encore sur ce qui demeurent de vie sociale dans la vie en société.
  • Mais plus cet empire s’étend, plus il sape son fondement : ce qui menace alors est bien l’effondrement de la vie sociale en tant que telle (ce que nous nommons « sociocide »).
  • Plus politiquement, nous assistons aujourd’hui en France à cette entreprise générale de démolition de la vie sociale (réformes de l’École, des retraites, de la procréation…) : les « progrès » de l’individualisation sont ceux de la désocialisation.

 

Notes et références
  1. Nous nous contentons d’une vague définition : société = milieu où se développe une vie collective[]
  2. Aristote, Les politiques, 1278 b 16-31.[]
  3. François Flahault, Où est passé le bien commun ?, 1001 nuits, février 2011, page 118.[]
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