CR des (f)estives 2018

Nicolas avec nous !

Pourquoi Nicolas Hulot aurait dû s’inscrire aux (f)Estives 2018 de la Maison Commune de la Décroissance et le fera certainement en 2019

Suite à l’annonce de la démission de Nicolas Hulot le 28 août dernier, le barouf médiatique ne s’était pas fait attendre… C’est vrai qu’il y avait matière à commenter : s’agissait-il d’une mise en scène pour sauver son image ou d’un moment de vérité ? Avait-il la carrure d’un ministre ? Mangeait-il bio ou était-il seulement un donneur de leçon ? Séparait-il l’opercule d’aluminium du pot de crème fraîche au moment de trier ? Ses chaussettes étaient-elles assorties à son caleçon ?…

Ces détails n’ayant pas été réglés, nous souhaitons, nous, décroissants et membres de la Maison Commune de la Décroissance (MCD), revenir sur certains propos de M. Hulot lors de son interview. L’occasion de dresser un bilan partiel des (f)Estives 2018 qui se sont tenues cet été à Gelles (Puy-de-Dôme) et de réaffirmer nos convictions, n’en déplaise à l’intéressé qui affirmait lors de son interview sa solitude dans la lutte écologique en France. Repolitisons le débat, donc. Ce que Nicolas Hulot a commencé à émettre ce jour-là, c’est un début de critique du déni de l’effondrement écologique en cours, une critique de la politique de l’autruche et de l’approche pragmatique qui consiste à vouloir avancer « par petits pas ».

Décroissance et collapsologie

Or, cette notion d’effondrement écologique, nous y avons consacré une journée entière lors de notre rendez-vous incontournable de l’été, les (f)Estives. Le dimanche, était invité Arthur Keller, collapsologue, membre du conseil d’administration de l’association Adrastia et auteur-conférencier. Il débattait avec Michel Lepesant, décroissant, auteur et membre fondateur de la Maison Commune de la Décroissance. Il s’agissait donc de discuter d’effondrement tant au niveau écologique (côté collapsologie) qu’au niveau social et politique, qu’en tant que décroissants nous nous efforçons de penser et de combattre.

En popularisant la notion d’effondrement, les collapsologues 1 ont le mérite de recentrer le débat sur l’urgence de la question écologique. Ils œuvrent pour que l’on intègre à notre vision du monde la plausibilité voire même l’imminence de l’effondrement et la menace que cela fait peser sur la survie de l’humanité. Franchir certains seuils de soutenabilité entraîne l’effondrement de la vie 2, c’est le cas aujourd’hui et nous devons nous y préparer. Telle est la posture des collapsologues, et nous la partageons à bien des égards. Cependant, nous ne souhaitons pas nous arrêter à ce constat. Le caractère inéluctable que prend la catastrophe chez eux risque de ne pas mener à l’action, non seulement parce que l’heuristique de la peur est de nature à paralyser, mais aussi et surtout parce qu’elle porte les germes d’une dépolitisation de l’enjeu écologique. Et c’est là que la décroissance, en tant que mouvement philosophique et politique, a un rôle à jouer pour éviter ces écueils. En tant que décroissants, nous défendons une politique des limites, qui nous permettrait de repasser sous les seuils de soutenabilité écologique. C’est ce que les Amis de la Terre définissent comme « l’espace écologique » : un plafond et un plancher au sein duquel chacun puisse vivre dignement sans compromettre le renouvellement des ressources.

Cependant, repasser en dessous du seuil de soutenabilité écologique ne serait pas suffisant en soi, dans la mesure où l’on ne reviendra pas un à un état antérieur intact mais bien à une situation dégradée, les conditions ayant permis le dépassement n’existant plus.

Il s’agit donc pour nous, en ces temps de bouleversements, d’assumer le terme de décroissance, et d’affirmer la vertu intrinsèque de la limitation : quand bien même nous vivrions dans un monde aux ressources illimitées où la production de richesse serait perpétuelle, nous serions décroissants et nous poserions la question des limites, souhaitables en elles-mêmes et pour elles-mêmes. Nous nous efforçons également d’étendre cette notion d’effondrement aux sphères sociale et politique. Nous proposons donc un autre modèle de société, en rupture totale et sans concession avec celui qui existe aujourd’hui, au sein duquel l’écologie et non plus l’économie serait le cadre de référence pour penser nos actions, et la coopération plutôt que l’individualisme serait le mode opératoire, le moyen de faire société non pas, selon la formule de Michel Lepesant, les uns contre les autres mais les uns pour les autres 3.

Le sens de la technique est une question politique

Cela suppose également de remettre en question certains présupposés tenus pour des évidences, notamment par le gouvernement auquel Nicolas Hulot avait accepté de participer, mais également par de nombreuses mouvances se réclamant du « développement durable » et de « l’écologie non-punitive ». À titre emblématique, la place de la technique au sein de nos sociétés n’est pour ainsi dire jamais remise en cause. Pire encore, elle est souvent présentée comme la solution aux bouleversements climatiques en cours, voire même aux problèmes sociaux et sociétaux. Cet été, nous avons donc choisi d’en faire le thème principal des (f)Estive 4. Pour en discuter, notre invité d’honneur était Philippe Gruca, rédacteur d’une thèse de philosophie sur Günther Anders 5. Philippe Gruca nous a présenté une pensée complexe, dont nous avons tiré de nombreux enseignements et outils pour réfléchir sur la technique et la technologie.

Les raisons communément admises pour expliquer l’importance et la place de la technologie dans nos vies sont généralement la publicité, la société de consommation, la fascination presque magique exercée par ces objets… Philippe Gruca, à rebours de ce que nous avons l’habitude de défendre en tant que décroissants, affirme de manière légèrement provocatrice que si la technologie est aujourd’hui prépondérante, c’est bien parce que nous avons besoin d’elle. Selon lui, le premier critère pour qualifier nos sociétés modernes est celui de la taille, critère finalement plus déterminant que les idéologies politiques ou économiques à partir desquelles elles sont habituellement qualifiées (capitalistes / du spectacle / de consommation / industrielles / techniciennes …). Nous ne vivons pas dans des « sociétés », mais dans des « macro sociétés ». Le succès des « nouvelles technologies » s’explique alors par le fait qu’elles produisent un ajustement de l’homme à ce gigantisme, elles lui permettent « d’être à la hauteur » et de réduire le stress macrosocial produit par la disproportion entre lui-même et la taille de la société dans laquelle il vit. Toute critique de la technologie est donc vaine tant qu’on ne vivra pas dans des sociétés plus petites, revenues à échelle humaine. L’échelle humaine, voilà le cheval de bataille de Philippe Gruca, qui propose une philosophie scalaire, permettant de se poser la question des seuils et de leurs franchissements : à partir de combien de personnes une société ne peut plus être gouvernée en démocratie directe ? Jusqu’à quel point la technique peut-elle être maîtrisable par des humains ordinaires ?… Philippe Gruca vient appuyer son raisonnement à l’aide de deux concepts : le quotidien et l’exodien. Il part du constat que, de notre quotidien, est absente la majorité de la société, tant les interdépendances à l’échelle mondiale sont importantes (indiens et chinois qui confectionnent nos vêtements, pipe-line qui permettent la circulation du pétrole etc.) Ce qui nous apparaît (boutons, tablettes, écrans…), les objets à partir desquels nous raisonnons, ne sont que des embouchures techniques, des terminaisons : le reste est confiné à l’exodien, hors de vue et hors de portée. La part exodienne de notre quotidien est devenue trop importante pour qu’on puisse la connaître, elle se dérobe à nos sens dans un rapport de force démesuré. d’autant que la technologie, comme discours sur la technique, tend donc à rendre la technique de moins en moins apparente, de plus en plus absente. Philippe Gruca précise quels sont selon lui les 4 modes de cette absence : l’invisible (les rayons, les ondes), le voilé (accessible mais encablé, emmuré, enterré…), le lointain (toutes les sociétés et leurs membres avec lesquels nous n’interagissons pas mais auxquelles nous sommes reliés par des câbles) et le démesuré ( de l’infiniment petit, le nano, à l’infiniment grand, le téra).

Philippe Gruca en est alors venu à répondre explicitement à la question posée sur le « sens de la technique » : en partant du constat de cet écart entre quotidien et exodien, chacun peut en déduire qu’il faudrait penser un ajustement de l’homme et de la société. Deux directions, deux sens sont alors possibles : soit augmenter l’homme, c’est la direction du transhumanisme. Soit aller dans l’autre sens et faire décroître la taille des sociétés. Ce n’est pas à nous d’augmenter à la taille des macro-sociétés mais c’est l’inverse : ce sont les macro-sociétés qui doivent décroître à l’échelle humaine. Voilà le sens de la technique pour une politique décroissante.

Ces propos font écho au débat engagé avec les collapsologues : la pédagogie de la catastrophe ne peut mener réellement à la prise de conscience attendue puisque nous ne vivons pas au milieu de la fonte des icebergs, au sein d’une centrale nucléaire, sur une plate-forme pétrolière… Tout cela est en-dehors de notre quotidien, nous ne l’observons pas de manière régulière car la configuration gigantesque de nos sociétés ne nous le permet pas. Nous sommes donc en mesure d’évacuer les inquiétudes que peuvent provoquer en nous certaines informations concernant l’état de la planète. Comment alors travailler à la prise de conscience nécessaire au changement, comme le souhaite la décroissance ? Philippe Gruca a pu apporter quelques pistes, qui ont nourri les réflexions et les débats qui ont constitué l’autre versant de ces (f)Estives 2018. Tout d’abord, ce qui nous a semblé important de retenir est l’idée de pratiquer « une esthétique des liaisons apparentes » consistant à mettre en évidence ce qui nous échappe, ce qui fait système, nous permettant alors de relier nos actes et leurs conséquences. Nous avons orienté nos réflexions sur la manière de ré-internaliser l’exodien dans nos quotidiens, de rendre visible l’invisible, et selon la formule de conclusion de M. Gruca « d’enchâsser la société dans notre quotidien », tout en faisant nôtre la question de la réduction de la taille de nos sociétés et les moyens d’y arriver.

Pour donner suite à ces (f)Estives et à leur richesse idéologique, la Maison Commune de la Décroissance continue d’alimenter son noyau programmatique. Si le thème de l’année 2019 n’est pas encore définitivement arrêté, il viendra sans aucun doute compléter ce cycle entamé il y a deux ans. Au programme : discussions lentes, débat de fond, prise de conscience, positions clivantes et identifiantes, propositions d’actions concrètes, bienveillance et goût du possible : si nous avons bien compris, tout ce qui a pu manquer à Nicolas Hulot dans l’exercice de ses fonctions de ministre de l’environnement…. Nous l’invitons donc à se préinscrire à l’évènement 2019, où il pourra enfin mettre ses mots en actes… et se sentir moins seul !

Les notes et références
  1. Provient de l’anglais to collapse : s’effondrer[]
  2. Arthur Keller définit 7 sphères où l’effondrement est visible : lithosphère, hydrosphère, cryosphère, atmosphère, biosphère, anthroposphère, technosphère.[]
  3. Le thème des (f)estives 2017 était : « Le sens de la vie est une question politique. Pour une critique radicale de l’individualisme ».[]
  4. « La technique est une question politique. Pour une critique radicale de l’individualisme partie 2 ».[]
  5. Deux membres de la Maison Commune de la Décroissance, Adrien Couzinier et Simon Desbois ont également animé deux ateliers autour de la technique, l’un sur La convivialité d’Illich, l’autre sur la technique au sein du monde du travail.[]
Partagez sur :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.