8 mars. Retraite pour tou.te.s : pour un communisme sans croissance

Alors qu’il y a 2-3 mois, la résignation semblait être le destin de la réforme des retraites, la mobilisation à ce jour engagée apporte une certaine incertitude.

D’un côté, un refus net de la réforme. Une mobilisation inattendue. Une stratégie syndicale plutôt habile.

De l’autre côté, un gouvernement dont le libéralisme assumé lui permet pour le moment de rester droit dans ses bottes de l’insensibilité et de la surdité.

C’est là qu’il faut poser la question – politique – de l’articulation entre rapport de force et objectif. Et là malheureusement, l’asymétrie n’est pas encourageante.

Pour le gouvernement, les objectifs sont clairs. a) Plus que d’une réforme c’est de la réformabilité que le gouvernement veut être le héraut : avant tout, il veut réformer pour réformer (on pourrait presque penser que son intérêt est de préparer la prochaine réforme). b) D’un point de vue néolibéral, ce dont le patronat a besoin ce n’est pas de davantage de travailleurs (comme pourrait le faire croire l’allongement du temps de travail), c’est de davantage de travailleurs fragilisés ; et si en plus, les conditions réelles du départ amènent chacun à devoir être son propre arbitre dans les conditions de la fragilisation, c’est encore mieux. c) Sans oublier un objectif bêtement politicien : assurer d’ores et déjà un pont législatif entre la majorité et son « opposition » de droite.

Et en face ? Certes, un objectif commun : celui du rejet de la réforme proposée. Mais pour proposer quoi d’autre à la place ? Quelques propositions paramétriques, par-ci, par-là. Bon d’accord, mais quelle proposition commune ?

Une défense générale du système par répartition : qui doit être interprétée comme une revendication majoritaire, de justice et surtout de solidarité, qui ne peut se baser que sur un principe de confiance partagée. Tout le contraire de l’autre système, la retraite par capitalisation, qui ne place  sa confiance, non pas dans la société, mais dans le marché ! D’un côté, des retraites financées collectivement (dont l’équilibre financier pourrait être simplement l’adéquation entre des taux de cotisations justes et des pensions décentes), de l’autre un placement spéculatif individuel (dont les rendements promis reposent sur la promesse d’une croissance continue et inéluctable).

Mais c’est là que le bât blesse car le gouvernement a beau jeu de se présenter, lui aussi, comme le défenseur du système par répartition alors qu’en face, l’opposition semble ne pas trouver ses mots pour dénoncer cette imposture.

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Car rien n’est moins sûr qu’il existe aujourd’hui un front commun pour aller jusqu’au bout de la logique de solidarité et de partage d’un système par répartition. Pourquoi ? Parce qu’une telle logique repose sur une exigence d’égalité et de justice sociale que peu de forces politiques, même de gauche, semblent disposées à pousser jusqu’au bout.

Et voilà le véritable point faible de l’opposition actuelle à la réforme : ce que la plupart des pancartes spontanément écrites disent, c’est que les gens ne veulent pas travailler plus, et surtout pas plus longtemps. Quel syndicat ou quel parti politique serait capable t’entendre cette radicale remise en question de la « valeur travail » ?

Écologiquement, pourquoi travailler plus quand travailler c’est produire, et quand produire c’est détruire ?

Socialement, pourquoi travailler plus quand le travail est de moins en moins un « métier » et de plus en plus un « emploi » ?

Politiquement, quel anticapitaliste va jusqu’au bout de sa critique ? Oh, pas de problème pour nous expliquer que le capitalisme repose fondamentalement sur l’extorsion par le capital du surtravail. Il y a là en effet un principe général d’expropriation et d’appropriation de ressources économiquement définies comme gratuites et abondantes. Sauf que ce principe ne se vérifie pas que du côté du capital, il se vérifie aussi du côté du travail – et c’est ce qu’oublie toute une gauche contradictoirement anticapitaliste et travailliste.

Qu’il est triste de le vérifier à l’occasion de cette réforme.

Parce que – quand on est dans le camp proclamé de la justice et de l’égalité – ne devrait-on pas s’indigner que les inégalités des revenus du « travail » se poursuivent même quand on ne travaille plus ? Que l’on nous dise lequel des arguments habituellement utilisés pour justifier les inégalités de revenus – le talent, le diplôme, la responsabilité, l’expérience – conserve la moindre légitimité quand on ne travaille plus, quand on est sorti du monde du travail et que l’on peut consacrer tout son « temps libéré » à des activités dont l’utilité sociale constitue la véritable plate-forme du monde du travail.

*

Qu’est-ce que cela signifie ?

Une revendication simple : que le montant des pensions devrait être égal et le même pour toutes et tous. Quels que soient les montants cumulés des cotisations versées pendant les périodes d’emploi. Autrement dit, que le montant de la pension ne devrait absolument pas dépendre du nombre d’annuités.

Mais alors le seul paramètre de temps resterait celui de l’âge de départ ? Exactement.

Mais qui pourrait en profiter ?

Pour les « travaillistes », seuls qui auraient travaillé et cotisé.

Mais est-ce juste ?

Car, qui aurait pu « travailler » sans l’ensemble des activités qui constituent – non pas la sphère de la production marchande – mais la sphère de la reproduction sociale ?

Non, car dans un système de retraites par répartition où chacun reçoit au titre de sa contribution sociale, alors il faut accorder ce droit inconditionnellement : a) bien sûr à tous ceux qui ont « travaillé », non pas parce qu’ils ont cotisé, mais parce que leur « travail » a été une activité contributive et que, après l’âge de la retraite, leurs activités continueront – sous forme de temps libéré – de participer à la vie sociale. b) Mais aussi, à toutes et à tous ceux qui – par leurs « activités » – ont rendu possible ce « travail ». Certes d’un point de vue « comptable », leur cotisation est nulle mais ils ont pourtant contribué socialement à la production économique de la richesse : et c’est ce qu’il s’agit de reconnaître dans la retraite inconditionnelle 1.

Et comme ces activités d’entretien de la vie sociale sont avant tout assignées aux femmes, la revendication d’une retraite inconditionnelle est une revendication féministe dont l’exigence d’égalité ne passe pas par un accès au « travail » mais par la reconnaissance de toutes ces activités qu’elles accomplissent déjà.

On entend déjà l’objection de la part de tous les défenseurs de la « valeur travail » qui, du coup, semblent découvrir qu’il n’est peut-être pas très sensé de passer sa vie à la gagner, et qui en viennent à s’inquiéter qu’une telle mesure de partage de la valeur, de la richesse, reviendrait à remettre le travail à sa place : à savoir que ce ne sont pas les non-travailleurs qui dépendent du travail mais que c’est exactement l’inverse. Ce sont les travailleurs qui dépendent des activités gratuites, invisibilisées, et pour la plupart assignées à des femmes.

N’est-ce pas en ce sens que dans les sociétés capitalistes, les femmes sont les prolétaires des prolétaires ? Est-ce défendable ? Camarad.e, choisis ton camp !

  • Le camp des mensonges du « chacun pour soi », dans lequel la fable du mérite permet à des individus de croire qu’ils ne doivent leur « richesse » qu’à leurs efforts individuels. C’est dans ce camp, que la croissance apparaît comme la promesse que chacun doit pouvoir disposer de toutes les ressources au service de son développement individuel. C’est le camp de l’individualisme avec croissance. C’est le camp du capital qui exploite les travailleurs qui exploitent tou.te.s les personnes qui font réellement vivre une société.
  • Ou bien : le camp du partage, avec une économie remise à sa place qui est au service de la vie sociale, où le temps des activités socialement utiles a priorité sur l’emploi du temps marchandisé. C’est dans ce camp que la croissance est dénoncée dans son double effet écocidaire et sociocidaire. C’est le camp du communisme sans croissance, dans lequel les liens et les interdépendances tissent le tissu de la solidarité et du partage.

En fait, toutes ces activités socialement utiles constituent déjà ce que David Graeber appelle un « communisme de base », un « communisme ordinaire ». En tant que décroissants, nous devons insister sur la reconnaissance ainsi accordée à toutes ces activités que l’économie classique qualifie d’improductives. Elles ne sont improductives que d’un point de vue comptable 2 : tout simplement parce qu’elles ne sont pas comptées, mais invisibilisées et gratuites.

Les notes et références
  1. En France, pour une retraite à 62 ans pour toutes et tous, à budget constant, cela ferait 1667€ en brut, soit 1515€ net (données Insee 2023 pour la pyramide des âges, site Vie publique pour le budget total du système des retraites). L’objectif d’une retraite inconditionnelle de garantir un plancher n’est pas incompatible avec celui de plafonner les revenus et les patrimoines, pendant et après le travail, par une fiscalité très fortement progressive. L’objectif commun est le partage le plus équitable (et donc le moins individualiste) possible de la richesse produite : entre un plancher et un plafond.[]
  2. La comptabilité productiviste est donc une comptabilité tronquée. D’où, tout l’intérêt que nous devons accorder à une « comptabilité holistique« , en priorité la comptabilité CARE.[]
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