La décroissance comme plaidoyer pour la vie sociale

Intervention pour servir d'introduction à la thématique générale de "la vie sociale", lors des (f)estives de la décroissance qui se sont déroulées à la mi-août 2022 dans les Vosges.

Pourquoi plaider en faveur de la vie sociale ? Pourquoi faire de la défense de la vie sociale l’objectif d’une décroissance politique ? Cet objectif n’est-il pas déjà la défense écologique de la nature ? Sauf qu’il faut quand même se demander comment éviter que cette défense écologique de la nature (ou du vivant) ne court pas le risque de glisser sur une pente antihumaniste, ou simplement insensible à ce qui fait l’humanité des humains.

D’où l’occasion de prendre comme point de départ de ce plaidoyer un texte lu récemment :

Et maintenant ? En fin de compte, le mantra occidental actuel « Nous sommes bons, et ils sont fous » ne donne rien. Il faut s’unir pour s’en sortir. Il est indispensable de garder la Russie et la Chine à bord. Jeff Sparrow : « Quoi que disent les politiciens, personne ne décarbonisera pendant une nouvelle guerre froide ». Se plaindre de qui a raison ou de qui est le plus fort n’a aucun avenir. Sur les marchés, on n’obtient jamais ce que l’on veut, on est rarement heureux, mais si l’on passe un accord, on peut se débrouiller.
Et c’est là toute l’astuce. Vivre avec ce qui est et ce qui est possible.
Faites face à Poutine. Arrêtez de le dénigrer d’un ton supérieur. Tendez-lui la main. Proposez-lui un profond désarmement mutuel. Qui sait, peut-être sera-t-il d’accord. Si ce n’est pas le cas, vous avez essayé, et vous pouvez sortir et affronter la jeunesse la tête haute.

https://www.afwendbaarheid.nl/ (maniabilité)

→ Autrement dit : la guerre ce n’est pas bien, non pas parce qu’elle tue des gens mais parce qu’elle aggrave le bilan carbone.

→ Voilà typiquement le genre d’insensibilité – inhumanité – auquel mène une interprétation du monde au travers du prisme physicaliste et que l’on retrouve sans étonnement dans le monde de la croissance, mais insensibilité que l’on retrouve aussi chez des décroissants. On connaît déjà ce biais de la réduction de la question écologique à la seule décarbonation dès que l’on lit un peu de propagande en faveur de la voiture électrique, ou pire du nucléaire (et là on va même trouver des pro-nucléaires décroissants !).

A contrario, aborder le monde de la croissance par le prisme « culturaliste » ou « anthropologique » de la vie sociale semble moins insensible, donc plus humain (plus vivant, surtout si être vivant = être sentient).

Et c’est ainsi que l’on peut en venir à (se) poser la question de la vie sociale pour la décroissance.

Ce qui suppose de faire attention à la totalité de la définition OPCD de la décroissance :

« Par décroissance, nous entendons une réduction de la production et de la consommation, planifiée démocratiquement pour retrouver une empreinte écologique soutenable, pour réduire les inégalités, pour améliorer la qualité de vie ».

  • Pas simplement lire et se contenter du début de cette définition : le comment dans des limites d’une empreinte écologique soutenable.
  • Mais insister sur la fin de la définition, sur l’objectif (et donc le mobile) : pour la réduction des inégalités, pour la qualité de la vie (le bien-être,le bien vivre…) ; pour la vie sociale.

Et pour cela valider radicalement la définition de la MCD (1er § de l’introduction du livre) :

« Le point de départ d’une critique de la croissance c’est la prise de conscience que le succès de la croissance tient à l’extension de son domaine. Au départ, la croissance est juste un concept économique (dont l’indicateur est le PIB) ; mais il est devenu un monde et une idéologie. »

La décroissance et ses déclinaisons (Utopia, 2022)

Ce qui menace la vie sociale, ce n’est pas tant que l’économie soit une économie de croissance, c’est que la société devienne une société de croissance – et pas simplement une société avec une économie de croissance. On peut trouver plusieurs sources pour alimenter et valider cette hypothèse d’une extension de la croissance à tout un « monde » :

  • « L’extension du domaine… » de la croissance : le domaine de la croissance, ce n’est pas seulement le domaine (capitaliste) des rapports de production, ce sont aussi tous les rapports sociaux et écologiques de consommation et de divertissement.
  • « … A un monde et son idéologie » : ce sont des modes de vie et des récits (des fables)
  • … A une « hégémonie de la croissance » qui résulte d’un « esprit de croissance » et d’un « paradigme de croissance (Matthias Schmelzer, The Hegemony of Growth, 2016) (L’esprit de croissance : une forme de politique axée sur la poursuite de la croissance économique. Le paradigme de croissance : une vision du monde institutionnalisée dans des systèmes sociaux qui proclame que la croissance économique est nécessaire, bonne et impérative.)
  • … A une mégamachine de Fabian Schneider, concept forgé par l’historien Lewis Mumford (1895-1990) et qu’il reprend pour désigner ici une forme d’organisation sociale semblant fonctionner comme une machine. En fait, montre-t-il, il s’agit d’un système fait d’êtres humains déguisés en rouages.
  •  … Au « régime de croissance » (Onofrio Romano) qui est le « syndrome » alors que la croissance (économique) n’est que le « symptôme ».
  • Cette hypothèse d’une extension renvoie à la « colonisation d’un imaginaire » qui – chez Serge Latouche – est une « occidentalisation du monde ». Cette colonisation du monde, c’est un problème : comment résoudre la tension entre universalisation des valeurs et individualisation de la liberté ; et c’est une solution : l’escamotage des intermédiaires, leur infériorisation et leur invisibilisation. Or, ces intermédiaires, ce sont non seulement toutes les formes d’association que le socialisme du 19ème avait « inventées » en passant des « corporations » de l’ancien régime aux mutuelles, aux coopératives, aux syndicats, aux « associations » mais surtout c’est cet intermédiaire de la vie de la société en tant que telle comme « sphère de la reproduction », comme « vie sociale »

Ce positionnement « mental » (« spirituel ») de la décroissance revient à comprendre l’importance cruciale de savoir ce qu’il faut placer au cœur du « projet de la décroissance » : le sens de la vie comme interdépendance avec les autres, humains et non-humains, vivants et non-vivants, et aussi avec soi (comme un autre) ; et non pas les limites écologiques, planétaires (qui ne sont que le cadre dans lequel se passe la vie).

Comment placer la vie sociale au cœur du paradigme de la décroissance et de la post-croissance, au cœur du régime de décroissance et de post-croissance :

  1. Comprendre que l’individualisme est un type de vie en société, et non pas une attitude psychologique individuelle (qui serait l’individualisme).
  2. D’où le constat d’une désocialisation de la vie sociale comme individualisation, comme désystématisation (fragmentation, parcellisation) des problèmes :
    • Ne s’occuper que de l’aval des effets et non pas de l’amont des causes (course en avant par le progrès technologique).
    • Individualiser les causes, et du coup les effets seraient toujours individuellement mérités.
    • Le gloubi-boulga des oxymores.
    • L’adjectivation (pour faire des « tris », le modèle étant entre la bonne croissance et la mauvaise croissance).
    • La déresponsabilition morale : mise en avant d’une pseudo-responsabilité individuelle mais refus d’un point de vue général moraliste.
    • La dépolitisation par l’activisme sociétal (dont l’un des effets les plus visibles est le remplacement des problématiques de l’égalité par celles de l’identité) et l’impatience de la pratique.
    • La spiritualisation réduite à la prise de conscience.
    • La prise de conscience réduite à la sentimentalisation (le « nouvel ordre affectif » :
    • D’où l’infantilisation de la vie personnelle par le décal-âge : des adolescents qui vivent comme des petits adultes et des adultes qui se charcutent pour rajeunir. D’où ces « enfants d’intérieur » (comme il y a des plantes d’intérieur) qui ne vivent qu’enfermés dans leur chambre à la porte fermée (« interdit aux parents ») dont ils ne « sortent » que pour des « activités » ou par leurs « écrans » → le vidéo-engagement du régime pandémique du non-débat.
    • Ce « nouvel ordre affectif » trouve d’abord à s’exercer (« a lieu ») sur les réseaux sociaux où l’exigence d’accélération se traduit par des interactions réduites à des formats de plus en plus courts et de plus en plus intenses, bricolés comme des patchworks à partir de matériaux à la fois épars et semblables (les « mèmes » comme appauvrissement généralisé de l’imaginaire, c’est le triomphe du « décalé », du « lol » et du « c’est pas grave »).
    • Nous serions à une époque du ressentiment et des « passions tristes » (colère, peur, éco-anxiété ») comme symptômes de l’individu dépolitisé qui n’est plus sensible qu’à des effets sans causes.

A contrario, le thème des (f)estives va proposer une resystémisation des problèmes et donc des solutions : par la problématique de la vie sociale.

  1. La critique de l’individualisme
  2. Les lieux de la vie sociale
  3. La remise en place des liens entre individus et sociétés
  4. Le comment politique (démocratique) de la transition (dimanche et l’an prochain).
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