Bien sûr il y a les raisons qui viennent des circonstances : géopolitiques, économiques, impérialistes, historiques, voire psychiatriques…

Mais si la décroissance veut assumer son ambition d’être une philosophie politique qui propose une mise en perspective générale, il lui faut davantage de recul.

Une première façon de le faire, c’est de relire l’interprétation proposée par Georges Bataille en 1949, à la sortie de la seconde guerre mondiale, dans La part maudite.  Son intuition générale est, sur la question de l’énergie, de proposer un renversement de perspective : ce qui est premier c’est la surabondance de l’énergie biochimique, le soleil donne sans jamais recevoir. C’est pourquoi, l’énergie ne peut être finalement que gaspillée, dissipée, dépensée.

G. Bataille en déduit la loi générale de l’économie : « Toujours dans l’ensemble une société produit plus qu’il n’est nécessaire à sa subsistance, elle dispose d’un excédent. C’est précisément l’usage qu’elle en fait qui la détermine ».

Et voilà le danger : « Si nous n’avons pas la force de détruire nous-mêmes l’énergie en surcroît… c’est elle qui nous détruit, c’est nous-mêmes qui faisons les frais de l’explosion générale ». Du point de vue de cette « économie générale », il n’y a selon G. Bataille que trois façons de dissiper cet excédent : la guerre, la croissance, la dépense.

Nous comprenons ce que signifient la croissance et la guerre. Mais pour la « dépense », il y a une bifurcation possible : dans une société individualiste, c’est à quelques individus de consumer une partie de l’énergie excédentaire, dans ce que Bataille nomme des « éructations honteuses », comme le rappelle Onofrio Romano à l’article « dépense » de l’excellent Décroissance, Vocabulaire pour une nouvelle ère (2015, page 198).

Dans une société post-décroissance, les surplus au lieu d’être privatisés seraient dépensés collectivement, en entretenant et en conservant ainsi les liens de la vie sociale. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : d’où la religion de la croissance, et plus encore la guerre, les oligarques et les milliardaires, sinon même l’attente par certains critiques du monde de la croissance d’une « vraie » catastrophe naturelle (les guillemets sont d’Onofrio Romano).

Une autre mise en perspective est celle proposée par Olivier Rey, dans Une question de taille (2014) : quand les limites de la soutenabilité écologique sont dépassées, alors les forces de guerre en viennent à se rediriger vers l’humanité (pages 23-24).

Voilà pourquoi, dans une société de croissance, le « doux commerce » n’a jamais constitué le moindre barrage ni à l’insensibilité ordinaire, ni à la cruauté extra-ordinaire de la guerre. Nous y sommes.

Les sociétés d’avant la croissance connaissaient et les guerres et les dépenses socialisées ; les sociétés de croissance ont privatisé les surplus mais connaissent toujours les guerres. Comment espérer que des sociétés post-décroissance réussiraient à éviter et les guerres et les excès individuels ?

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