Sociocidaire

Suivant la définition défendue par la fondation néerlandaise Stop Ecocide, un écocide consiste en des « actes illégaux ou arbitraires commis en sachant la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui sont étendus ou durables ».

Par analogie avec écocidaire, est sociocidaire1 un comportement ou un acte social qui, s’il était généralisé, finirait par saper les bases sur lesquelles repose toute société : la coopération, l’entraide, la solidarité, les interdépendances.

Qu’il s’agisse de sociocide ou d’écocide, dans les deux cas, c’est bien de formes de suicide dont il s’agit c’est-à-dire d’un acte dont l’objectif est la négation de la condition la plus fondamentale du suicide, c’est-à-dire d’être vivant : la vie est la condition du suicide et sa négation est son objectif.

Ajoutons aussi qu’un suicide est l’anticipation volontaire2 d’une mort que les lois du vivant rendent de toutes façons inéluctable. Mais si la mort est inéluctable, ce n’est pas le cas du suicide3, justement parce que le suicide anticipe cette mort inéluctable.

Aujourd’hui, la société de croissance est écocidaire et sociocidaire.

  • L’objectif de « croître pour croître » est suicidaire puisqu’en ne prenant pas pour objectif la préservation et l’entretien des conditions sociales et naturelles de la vie humaine, il précipite ce qu’on pourrait appeler une mort thermodynamiquement inéluctable. Mais qui est politiquement supraliminaire, c’est-à-dire au-delà de nos capacités d’imagination : voilà pourquoi la menace d’une mort thermodynamiquement inéluctable est creuse politiquement, elle est impolitique. Voilà pourquoi la décroissance ne peut espérer éviter le destin suicidaire de la société de croissance qu’en retrouvant le goût de vivre une vie humaine, humainement sensée, une vie sociale
  • En quelque sorte, une société de croissance est une société qui fait le choix suicidaire de précipiter l’inéluctable. Cette précipitation est l’une des formes les plus mortifères de l’accélération.
  • A ce choix, on peut opposer le contre-choix de ne pas précipiter le destin thermodynamique de la vie humaine : c’est le choix de la décroissance. Voilà pourquoi les propositions politiques de la décroissance doivent être faisables et désirables, mais surtout acceptables.

En quoi la société de croissance est-elle écocidaire ? Alors que le dépassement de 5 des limites planétaires définies par le Stockholm Resilience Centre est scientifiquement validé, aucune politique aujourd’hui ne fait pourtant le choix d’une organisation sociale en capacité de repasser sous les plafonds, de décroître. C’est un choix, il est donc contingent, il pourrait être autre. Il pourrait être fait le choix contraire, celui de la décroissance.

En quoi la société de croissance est-elle sociocidaire ? Elle est sociocidaire quand son récit standard inverse la relation qui existe entre les trois logiques d’actions que des individus peuvent adopter dans leur existence : la logique de compétition, la logique de subjectivation et la logique de coopération. C’est la logique de coopération qui est la base des deux autres logiques – parce que « la coexistence précède l’existence » – et pourtant leur mise en avant conduit en fait à saper cette base de coopération. Tant que les logiques de coopération assurent leur fonction de reproduction sociale, de care, de socialité primaire, les logiques de subjectivation et de compétition peuvent croître mais cette croissance effectue un travail de sape4.

Dernier point : la dénonciation des logiques écocidaires et sociocidaires de la société de croissance est l’un des enjeux d’une réflexion sur la dimension sociale de toutes les « limites » d’une société, qu’elles soient sociales – cela paraît tautologique – ou qu’elles soient « naturelles – là c’est beaucoup moins évident car il s’agit dans ce cas de bien voir la dimension de construction sociale de tout discours sur les limites naturelles 5.

La mort est inévitable et irréversible. Pour autant, la vie reste constituée de choix, en particulier celui de ne pas précipiter cette mort. Une société de croissance est une société sociocidaire parce qu’elle précipite l’inéluctable échéance prédite par la thermodynamique. Mais avant cette échéance, des choix de vie restent possibles. Voilà pourquoi une décroissance politique renvoie dos à dos tant la précipitation croissanciste que le fatalisme de ceux qui – en affirmant que la décroissance est « inéluctable » – ne voit pas qu’elle est un choix politique.

Les notes et références
  1. Terme porté par la MCD.[]
  2. Ce qui fait qu’un suicide n’est pas un meurtre, ce n’est pas seulement de savoir qui tue mais de savoir s’il est volontaire ou non.[]
  3. Et même les « déterminismes » sociaux si bien étudiés dès la naissance de la sociologie ne font pas des « faits sociaux » des « faits naturels » : coercition n’est ni obligation ni nécessité.[]
  4. Pour une analyse beaucoup plus poussée de cette conception coopérativiste de la société : https://decroissances.ouvaton.org/2018/02/14/la-decroissance-doctrine-sociale/.[]
  5. On attend là un livre entièrement consacré à l’examen et l’analyse de ces « limites sociales de la croissance ».[]
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