Le Pass ou la vie

S’écrier contre la « dictature », c’est ne pas voir que l’État moderne ne s’intéresse à la santé (biopouvoir) que pour remettre au travail 1, il n’y a donc pas là de « crise » dictatoriale, juste la pente naturelle de l’État au service du Marché (c’est l’ordo-libéralisme). A ne pas voir cela, on peut entendre certains se perdre dans le creux débat pour savoir quelles seraient les « intentions » réelles du gouvernement dans cette affaire ; cela donne : « mais le gouvernement ne s’intéresse pas à la santé, ce n’est qu’un prétexte pour lui pour instaurer une société de surveillance et de contrôle ». Dans le monde de la technologie, un gouvernement n’a pas besoin d’avoir des intentions de contrôle et de surveillance technologiques : l’affirmer, c’est perpétuer la fable d’un Sujet pour qui la technique ne serait qu’un moyen. L’argument clef pour expliquer cela, c’est la thèse de Günther Anders qui explique que c’est la technique qui est le Sujet et non plus l’Homme (ou l’un de ses « gouvernements »). Dans ce monde où la technique est Sujet (et où c’est elle qui réussit sa révolution permanente), c’est illusion de prêter la moindre intention efficiente aux utilisateurs de la technique 2. Pour que des gouvernements utilisent des techniques de contrôle, il suffit juste que ces techniques soient disponibles ; ce qui est le cas, avec les drones, les QRcode… Pas besoin de chercher une intention, c’est juste une aubaine telle que la technologie fournit sans cesse aux pouvoirs les moyens de s’exercer. Le QR (quick response) code, c’est en réalité l’irresponsabilité précisément parce que la responsabilité demande un délai de response que le quick interdit.

C’est dans l’esprit de cette analyse que nous publions le texte suivant.

Le Pass sanitaire n’est rien. Ou plutôt il n’est que l’une des manifestations visibles de la machinerie de domination technologique totale qui s’est mise en place depuis les années 90 et la généralisation progressive d’Internet et des NTIC.

S’en prendre au seul Pass ou à l’application StopCovid c’est presque ne rien dire et ne rien faire. Car c’est l’ensemble des technologies numériques qui par nature sont totalitaires et liberticides. Par leur conception même et leurs technologies ces joujoux permettent le flicage, le traçage, le profilage, la géolocalisation, donc il est dans leur fonctionnement normal (et non exceptionnel ou extraordinaire) de fliquer, de tracer, de profiler, de géolocaliser. Un couteau coupe. Un ordinateur ou un téléphone portable espionne. Il n’y a pas de NTIC confidentielles ou démocratiques.

L’espionnage dans un mouchard de poche

On l’avait toujours su, remisé quelque part au fond de notre mémoire, à tel point qu’on ne s’en souciait plus : nous avions un espion (étatique ou privé, commercial, social, politique…) dans la poche (ou sur le bureau). On nous demande simplement aujourd’hui de le reconnaître officiellement et de le remercier pour sa vigilance de tous les instants.

En réalité, ce n’est pas nouveau. Les cookies étaient là depuis l’origine du réseau qui enregistraient nos recherches, nos visites, nos clics, nos téléchargements. Couplés aux algorithmes, ils permettaient de dresser notre portrait de consommateur et de citoyen, et enfin d’anticiper et d’influencer nos comportements. Quand il est devenu trop voyant que les entreprises privées et les états collectaient nos données, les marchandaient, les recoupaient afin de servir à leurs propres objectifs, toute la clique des démocrates professionnels (politiciens, ONG, alter-technophiles…) nous ont fait croire que nous restions les seuls maîtres de notre vie privée. A grand bruit, les institutions étatiques et transnationales ont accouché partout de souris démocratiques : maintenant, nous étions simplement obligés de cliquer pour valider notre filature. Les GAFAM et tous les autres nous laissent le choix : accepter leurs règles de non confidentialité ou ne pas accéder à leurs services (ou pas entièrement). Oui ou oui.

Tout opérateur Internet nous suit à la trace (l’actualité le prouve à chaque arrestation : du simple contrevenant au pire des poseurs de bombes, du militant des droits de l’Homme à l’employé indélicat, toute enquête permet d’accéder à l’historique des navigations, aux profils Facebook personnels, aux boîtes mails, à toutes les interactions sur Internet, à toutes les transactions bancaires etc.).

Le portable, c’est la même chose mais avec la cerise sur le réseau: il donne aussi votre position en temps réels et peut tracer l’historique de vos déplacements, dans la vraie vie. L’intermédiaire entre l’ordinateur de bureau et le smartphone, c’est la carte bancaire qui ne vous suit qu’en pointillé. Un peu comme les caméras de vidéos surveillance : le filet a des mailles serrées mais il y a quand même des angles morts.

En conjuguant ces technologies convergentes (ordi, téléphone portable, carte bancaire, borne biométrique, caméras, puces RFID…), l’État, les entreprises privées ou les hackers, peuvent tout savoir de vous. Et c’est ce qu’ils font.

On ne vous apprend rien. C’est bien là le problème. Nous savons tout ça depuis longtemps et nous l’avons accepté, en bloc ou par paliers. Et ceux qui emploient ces technologies savent que nous savons et que nous acceptons.

Quant aux zécolos, ils mettent en place la « mobilité connectée » (donc tracée) jusque dans notre techno-vallée : du Vélib’ à la voiture à hydrogène partagée (par carte bleue interposée) quand ils ne sont pas occupés comme à Grenoble à bichonner les entreprises chinoises ou tricolores de la Tech, ou à pucer les poubelles comme à Lille. D’autres, candidats au pouvoir, planifient tranquillement la colonisation des fonds marins et la conquête spatiale anticapitaliste. Pourrir la Terre ne suffisait pas. Pollutions et soumission d’avant-garde pour tou-te-s.

Bientôt 30 ans de soumission numérique volontaire

30 ans qu’on essaie d’oublier qu’on a validé il y a longtemps le principe de ces bracelets électroniques généralisés. Alors pourquoi se gêneraient-ils aujourd’hui comme en France avec le Pass sanitaire qui va servir à trier le bon grain de l’ivraie, le bon citoyen vacciné du mauvais ? La Chine n’est pas notre avenir, mais le présent de tous les pays suffisamment équipés en prothèses technologiques. Face aux catastrophes en chaîne, notre survie serait à ce prix. Voire. Mais la survie, est une sous-vie et ce n’est déjà plus la vie. La crise du Covid aura au moins servi à ouvrir les yeux à ceux qui trouvaient que les techno-critiques en faisaient un peu trop. Volontairement ou à marche forcée, il faudra bien progresser.

Bien sûr, le Pass ne doit pas passer.

fera flores, collectif diois.

Les notes et références
  1. http://www.palim-psao.fr/2021/07/la-vie-normale-par-clement-lacroute.html[]
  2. Comme il l’écrit dans L’Obsolescence de l’homme, II (2011), page 63, nous ne vivons plus dans un monde d’humains où il y a aussi des choses et d’appareils mais dans dans un monde de choses et d’appareils dans lequel il y a aussi des humains.[]
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