C’est une enquête complète menée durant 6 ans et sur 4 continents que nous livre Guillaume Pitron à travers « La guerre des métaux rares ». Si le titre peut paraître trompeur, puisque le cœur de l’ouvrage n’est pas prioritairement orienté autour des enjeux géostratégiques et des risques de conflits concomitants (ces thèmes ne sont pourtant pas éludés), il relate pourtant bien les différents aspects (écologique, économique, diplomatique) actuels et à venir des métaux et des terres rares.
Pour clarifier le propos, une petite explication d’ordre sémantique s’impose : il existe des métaux rares et des terres rares. Les premiers sont présents dans plusieurs pays à travers le monde tandis que les secondes se situent quasi-exclusivement en Chine. Les premiers ne sont pas courants mais leur extraction est tout de même plus aisée à réaliser que celle du second groupe limité à 17 éléments disséminés de façon minimale dans la roche. À titre d’exemples, il est nécessaire de broyer et purifier 50 tonnes de roche brute pour obtenir 1 kilogramme de gallium (un métal rare) et de pratiquer les mêmes opérations avec 1 200 tonnes de roche afin d’atteindre le même et unique kilogramme de lutécium (une terre rare) !
Puisque nous sommes dans les chiffres, en voici quelques autres glanés au fil des pages de cet essai paru en 2018 (et au format poche l’année suivante) : « une puce de 2 grammes implique le rejet de 2 kilos de matériau » ; on estime à 10 000 le nombre de mines en Chine ; il est nécessaire d’employer (et donc de polluer) 200 m³ d’eau pour obtenir 1 tonne de terres rares ; en moyenne, en France, chaque habitant jette 23 kilogrammes de déchets électroniques par an ; entre 30 000 à 50 000 manifestations ont lieu en Chine annuellement contre la pollution ; durant les 20 ans à venir, la consommation mondiale de terres rares devrait être multipliée par 3, celle de cobalt par 12 et celle de lithium par 16. Pour finir, au rythme actuel, le capitalisme mondialisé (et nous avec) va consommer en une génération la quantité de minerais consommés lors des 2 500 générations précédentes ! Comme le formule un membre d’une ONG latino-américaine : « La mine durable n’existe pas ». « Il y a du pain sur la planche pour la décroissance » pourrait-on ajouter.
Effectivement, à court et à moyen terme, le combat des décroissants semble infini. Et il doit se placer dans le périmètre auxquels est dévolu cet extractivisme échevelé : celui des « green techs », ce qui est un des pôles majeurs du capitalisme contemporain, comprendre l’alliance infernale du « vert » et de la « technologie » si chère à Jérémie Rifkin. Plus prosaïquement, il s’agit majoritairement de l’éolien et du photovoltaïque industriels, secteurs dont l’appétit semble aussi difficile à couper que l’interrupteur principal d’une centrale nucléaire. Guillaume Pitron aborde aussi le problème conséquent de la voiture électrique et des batteries qui l’accompagnent. Et des conséquences désastreuses de l’extraction, exploitation et recyclage quasi-impossible du lithium qui les composent en partie. D’ailleurs, quitte à digresser, cette vogue de la voiture électrique ne fait que perpétuer le mythe de la mobilité géographique pour toutes et tous sans remettre en cause cette mobilité ni ses multiples intrications dans le salariat et le productivisme. « Mobilité », soit dit en passant, qui a été confondue depuis des décennies avec la « liberté ». Fin de digression.
« La guerre des métaux rares » nous amène donc, avec force de détails, de l’autre coté du décor des « green techs » et de la voiture électrique. Comme pour toute autre activité de dimension industrielle, les résultats sont là : exploitation de main d’œuvre, pollutions tous azimut des champs de maïs aux villages du cancer en passant par l’intoxication de l’air et de l’eau, que celle-ci soit souterraine ou superficielle, et même de la terre elle-même ! Fatalement, il est très largement question de la Chine puisque avec 95 % de la production mondiale de terres rares, ce pays est devenu hégémonique dans ce secteur. Le journaliste explique ainsi comment la Chine est devenue un véritable pivot au centre d’enjeux géopolitiques colossaux.
Un des rares points faibles du livre, ou tout du moins qui générera un débat du coté de qui veut envisager un futur désirable, se situe en fin d’ouvrage, à travers l’argumentaire selon lequel il serait envisageable de rouvrir quelques mines en France puisque les normes environnementales sont plus strictes qu’en Chine (par exemple) et que la pollution serait mieux traitée ici qu’ailleurs. Cette idée semble davantage se situer du coté du développement durable ou de l’écologie grand-public que le fruit de réflexions décroissantes devant s’attaquer au cœur de la machine productiviste où qu’elle se situe.
Mis à part cette incartade, « La guerre des métaux rares » est, par exemple, un judicieux complément à « Extractivisme » de Anna Bednik. C’est aussi un support de choix à qui veut argumenter contre le mirage des « green techs » et le capitalisme vert, l’extractivisme ou l’électrification d’un nombre croissant d’activités quotidiennes. On ajoutera que le volume sorti par Les Liens qui Libèrent est complété d’instructives annexes et qu’une adaptation en documentaire vidéo a été confectionnée et diffusée par Arte. Diffusé il y a quelques semaines, il ne reste qu’à patienter jusqu’à la potentielle parution du film en DVD pour qui l’aurait manqué.
Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique.
Éditions Les Liens qui Libèrent – 2018
ISBN : 979 10 209 0574 1
296 pages – 20 euros