Faut-il atte(i)ndre une masse critique d’individus acquis à la décroissance pour changer de société ?

Merci à Elodie (Vieille Blanchard) d’une part pour sa participation lors des (F)Estives 2010 de Marlhes mais aussi pour cette transcription de son intervention.

Contribution préparée avec des apports de Jean-Jacques Boislaroussie et Mathieu Colloghan.

Au point de départ de cette intervention, il y a la conception, sans doute partagée dans la mouvance politique que nous représentons, de l’insoutenabilité de notre mode de vie actuel (très lourd écologiquement, reposant sur une exploitation des pays du Sud et générant des inégalités sociales toujours croissantes). Il y a également la conviction qu’un autre monde est souhaitable, fondé sur des valeurs positives comme le lien social, le vivre ensemble, la qualité de vie… A partir de ce rejet et de l’aspiration à un autre modèle, se pose la question des leviers, et des chemins pour changer de société. Par où commençons-nous, que faisons-nous ? La réponse doit prendre en considération les moyens que nous avons, l’état des forces que nous constituons (pour l’instant, malheureusement, extrêmement minoritaire).

Il est nécessaire de constituer une masse critique convaincue de la nécessité d’une décroissance (mais cela n’est pas suffisant)

Intellectuellement, les forces que nous représentons doivent construire un cadre de pensée solide et partagé, d’où doivent découler des pratiques, luttes et propositions alternatives. Nous devons être convaincu-e-s, tou-te-s ensemble, de la grande nocivité des concepts comme le développement durable ou la croissance verte, qui empêchent bien souvent une remise en question des paradigmes dominants, là où elle serait nécessaire. Ce qui n’implique pas de rejeter d’emblée toutes les solutions technologiques ou économiques, mais tout simplement de regarder au-delà. Nous devons développer un intellectuel collectif qui érige un autre modèle, porteur de sens et de valeurs positives.

Les luttes symboliques contre la société de consommation (anti-pub ; Vélorution…) ont un rôle à jouer à la fois pour nous fédérer, et pour éveiller l’attention et susciter la prise de conscience.

Par ailleurs, nous croyons qu’il est très important que les divers mouvements constitués (comme le nôtre) essaient le plus possible, à leur niveau, de mettre en application les grands principes qu’ils portent. Nous croyons que des questions comme « que mangeons-nous ? Comment nous déplaçons-nous ? Qui parle ? Qui décide ? Qui essuie la vaisselle ? Qui sert le café ? » sont aussi importante que celles qui relèvent de la stratégie politique plus classique.

A l’occasion des événements collectifs que nous organisons, nous constatons la difficulté d’instaurer des pratiques vraiment alternatives, même si la préoccupation est permanente. Nous constatons que les habitudes anciennes (rapports hommes-femmes ; consommation…) sont bien ancrées, et qu’il faut une attention soutenue et une certaine persévérance pour parvenir à en sortir. Il faut une vigilance permanente, parce que dans la société actuelle, les choix les plus faciles et les moins chers sont le plus souvent anti-écolo et anti-sociaux (acheter de la vaisselle en plastique et de la nourriture industrielle plutôt que nettoyer nos couverts et consommer bio).

La Révolution longue : une articulation des luttes et des alternatives

Sur cette base, nous proposons comme modèle pour le changement de société le concept de « Révolution Longue », ou « Révolution Lente ». C’est un concept qui va au-delà de la problématique écologique et qui permet d’englober les différents axes de notre engagement (solidarités, féminisme, autogestion, altermondialisme). Il répond donc à la question de « comment changer ? ».

La proposition de Révolution Longue part d’un rejet des solutions classiques : réformisme (auquel nous ne croyons pas) ; approche révolutionnaire qui repousse toujours à plus tard le Grand Soir autour duquel tout s’articule. Elle part pour nous également du manque de crédibilité de plusieurs autres hypothèses (les masses seraient spontanées ; il suffirait de détruire ce système pour que sur ses cendres se construise naturellement un système libertaire).

L’approche alternative est une approche pensée, qui doit être construite collectivement.

  • Il s’agit à la fois de lutter et de construire des alternatives (lutter contre les OGMs et mettre en place des AMAPs ; lutter contre les autoroutes ou les LGVs et promouvoir les transports doux…).
  • Beaucoup de pratiques peuvent relever de la Révolution Longue : AGs étudiantes ; médias alternatifs ; économie sociale et solidaire…
  • Entre ces pratiques, la mise en réseau est fondamentale, pour développer une force qui ne soit pas hiérarchisée, avec une multitude de centre, dans laquelle la décision soit la plus partagée possible. Une piste pour permettre à ce réseau de se constituer : un modèle inspiré des Bourses du Travail d’il y a un siècle, comme des lieux de permanence, de confrontation, d’échange…
  • L’autogestion doit constituer dans la Révolution Longue à la fois un moyen et une finalité. Un moyen parce qu’elle doit s’inscrire dans les mouvements de lutte (partis ; syndicats ; collectifs…) ; une finalité dans la production agricole et industrielle, dans l’éducation…
  • Les médias alternatifs ont un rôle très important pour faire connaître et promouvoir les pratiques alternatives, dans un contexte où les médias de masse promeuvent la consommation ostentatoire, le luxe, la mode… Les « think-tanks citoyens », mouvements d’éducation populaire et d’élaboration collective, ont par ailleurs un rôle important à jouer.

Il s’agit donc de créer et de multiplier les foyers d’opposition au capitalisme, de donner un cadre politique aux différents projets (c’est-à-dire de les inscrire dans quelque chose de plus large). La perspective, c’est de multiplier ces éléments de rupture jusqu’à atteindre une masse critique qui conduira à marginaliser le système dominant, qui est nuisible à la plupart d’entre nous. L’idée, c’est que lorsque les alternatives seront connues, le système actuel ne pourra pas se maintenir (qui connaîtrait une organisation du travail autogestionnaire et se satisferait de vivre sous la coupe d’un patron ?). Mais on peut aussi avancer que, même si la masse critique n’était jamais atteinte, toutes ces pratiques mises en œuvre, tous ces espaces gagnés permettent de faire déjà exister un autre monde, ici et maintenant. Tout ce qui est pris sur le système dominant a sa raison d’être et sa valeur, et c’est pourquoi nous devons le développer.

On parle donc de Révolution Longue parce qu’elle a déjà commencé, et parce qu’elle ne doit pas s’arrêter. C’est un processus qui doit être repensé en permanence, à mesure que la situation se transforme. Certaines réponses au système, légitimes à un moment donné, peuvent ne plus l’être dans un autre contexte. Par exemple, un squat est légitime aujourd’hui parce que l’accès au logement est très difficile. Dans un cadre où le logement serait socialisé, il pourrait ne plus l’être.

Quid du rapport aux institutions ?

Les luttes et les alternatives, nous les considérons comme des éléments d’affaiblissement du système, qui sont pertinents et nécessaires. Mais dans certains domaines, nous sommes forcé-e-s de constater qu’il est difficile de s’inscrire contre, ou en marge du système. On peut aussi penser que dans un certain cadre fiscal, législatif, politique, il faut beaucoup de motivation pour s’inscrire contre le système.

Par exemple, pour choisir aujourd’hui de quitter EDF et d’adhérer à Enercoop ; pour élever ses enfants autrement que dans le cadre classique…

Par ailleurs, nous faisons le choix, chez les Alternatifs, de ne pas rester en dehors des sphères de décision et de participer aux processus électoraux, sans naïveté toutefois, et pas à n’importe-quelles conditions. Les campagnes électorales et les échanges avec d’autres mouvements, mais aussi les réactions aux propositions des institutions constituent des occasions pour élaborer un autre modèle. Dans plusieurs domaines, il s’agit plutôt de chercher à peser sur les décisions politiques que de s’inscrire en rupture avec le système.

Services publics : ce sont des outils politiques très importants au service d’une société plus écologique (énergie, transports, logement), mais aussi d’une société plus égalitaire (éducation, santé…). Or le projet de réduction des consommations matérielles doit aller de pair avec une décroissance des inégalités, et en cela, les services publics doivent jouer. C’est par eux qu’on peut promouvoir une politique d’écologie sociale et solidaire, qui puisse être portée largement par la population : des cantines bio ; des logements sociaux bien isolés ; des transports collectifs bon marché et de qualité…

Défendre les services publics et appeler à leur renforcement et leur démocratisation, cela doit se faire à tous les niveaux. Dans cette perspective, l’échelon local (batailles pour la remunicipalisation de l’eau) peut permettre de faire prendre conscience des logiques globales en œuvre.

Fiscalité : c’est un autre levier fondamental, qui doit être pensé. La proposition de taxe carbone Sarkozy a bien montré ce que pouvait être une fiscalité écologique injuste et inefficace. Il s’agit à la fois de réfléchir à qui est taxé ; mais aussi à la manière dont les bénéfices de la taxation peuvent être réinvestis.

Il s’agit également de se servir, au niveau des collectivités, des subventions et des marchés publics comme des leviers pour lutter contre les projets polluants et mus par la logique du profit, et pour développer les projets qui permettent la relocalisation, qui stimulent des modes de production respectueux et socialement responsables.

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