Le mot de la MCD : La MCD s’est effectivement donnée pour mission dans les années à venir d’engager un dialogue avec les associations et les ONG de terrain qui oeuvrent déjà à des perspectives de décroissance (ce que nous avons appelé dans notre livre des « déclinaisons » de la décroissance) afin de a) rendre concrète politiquement la décroissance, b) offrir un cadre politique commun à ces initiatives. Le texte d’Annie ci-dessous, ainsi que d’autres analyses, notamment celle de l’Atelier Paysan dans leur livre « Reprendre la terre aux machines », démontrent bien qu’une partie du monde associatif a renoncé « à adopter une perspective de transformation sociale d’ensemble ». Pour nous, décroissant-es, cette perspective d’ensemble est la décroissance : telle est la conviction qui porte le projet militant de la Maison commune de la décroissance.
Le week-end du 21 octobre j‘ai participé aux journées nationales des bénévoles Terre de liens à Orée d’Anjou dans le Maine et Loire afin de mieux comprendre comment fonctionne Terre de Liens, dont je suis adhérente depuis peu. Je me suis rendue compte de la complexité de ce mouvement dont je ne connaissais que les principes abstraits de fonctionnement. C’est ce que je voudrais partager avec vous afin de réfléchir à la place de ce mouvement dans notre projet politique de décroissance.
En 2003 l’association TdL se crée afin de promouvoir la terre comme un bien commun et installer des paysans dans un modèle d’agriculture respectueux de l’environnement et de l’humain.
En 2007, la première ferme est achetée à Upie dans la Drôme.
La première idée de création d’un Fonds de dotation a été reportée car plus compliquée que la création d’une Foncière. C’est donc la Foncière qui sera créée en 2006 en présentant le 1°appel public à l’épargne citoyenne à l’Autorité des marchés financiers.
En 2009, création du Fonds de dotation TdL, qui se transformera en Fondation TdL en 2013, afin de recueillir legs et donations de fermes pour en garantir à très long terme la vocation agricole. Comme le dit un ancien gérant de la Foncière « seul l’argent donné est libéré pour toujours ».
En 2018, l’association nationale devient la Fédération TdL qui anime et accompagne les 19 associations territoriales.
Le mouvement TdL, c’est donc 3 structures : une Fédération, une Foncière et une Fondation. Et les liens entre les 3 entités n’ont pas l’air d’être un long fleuve tranquille.
Je dirais même 4, car la Foncière, qui est une société en commandite par actions, est gérée par la SARL Terre de liens-gestion, dont les associés majoritaires sont la Fédération (45%) et La Nef (45%). Cette structure gestionnaire dirigée par un gérant est décisionnaire et garante du bon usage du capital. Cette SARL est entourée de 2 instances : le Conseil de surveillance, comprenant 12 membres élus par l’AG des actionnaires, et le Comité d’engagement, qui est un collectif d’experts désignés par le Conseil de surveillance sur proposition de la SARL qui donne un avis sur tous les projets d’acquisitions.
Et oui je sais c’est un peu technique ! Mais cela me semble important de bien comprendre comment cela fonctionne car cela impacte les enjeux et stratégies de l’association.
TdL sort des terres agricoles du marché et de la spéculation. Voilà qui nous plaît en tant que lecteurs de Karl Polanyi, pour qui la Terre, la Monnaie et le Travail ne peuvent pas être des marchandises, puisqu’ils ne sont pas produits.
Ces terres achetées par la Foncière et/ou la Fondation, qui ne peuvent être revendues, permettent d’installer des paysans, qui sont liés à TdL par un bail rural environnemental (BRE). TdL est le seul acteur utilisant des BRE à mettre 14 des 15 clauses autorisées dans le bail de fermage. Ces clauses visent à orienter les pratiques agricoles vers la préservation de la ressource en eau, de la biodiversité, des paysages, des sols, … la labellisation bio, elle , incite à des installations collectives.
La déclinaison 4 de notre livre « La décroissance et ses déclinaisons » pose la paysannerie comme un mode de vie plutôt qu’un modèle économique et nous fixe 3 objectifs :
Ré-enpaysaner l’agriculture, la désintensifier et installer 1 million de paysans à court terme.
Les fermiers TdL rencontrés et les actions qui leur sont proposées par la Fédération pour ouvrir leurs fermes et s’impliquer dans la vie des territoires, comme l’installation de 450 paysan.e.s, vont dans le sens du projet politique de la décroissance : ils en représentent bien une déclinaison.
Cependant le mouvement ne s’affiche pas, ne se pense sans doute même pas, comme un projet de décroissance et je vois plusieurs raisons à cela.
- Comme pour les monnaies locales, il s’agit d’outils avec une dimension technique forte qui tendent à faire perdre le sens politique du projet. Dans celle que nous avions montée à Romans sur Isère comme dans le Réseau national des monnaies locales, la croissance de la circulation de la monnaie locale finissait par devenir le seul objectif. Par contre, dès que nous avons voulu utiliser le « fonds de garantie » (les euros reçus en échange de la monnaie locale) pour essayer de financer des projets locaux sans contrepartie ni garanties, nous n’avons pas été suivis. Ce n’était pas légal ! Et trop politique. Néanmoins, des bénévoles de TdL se posent des questions, comme j’ai pu le voir sur un compte-rendu d’atelier « est ce que la croissance du nombre de fermes est notre seul objectif ? »
- TdL est reconnue par le Ministre de l’agriculture comme organisme à vocation agricole et rurale (ONVAR) ce qui lui ouvre des financements publics et la Banque des territoires (l’ancienne Caisse des dépôts) a investi 6 millions d’euros dans la Foncière. La légitimité dans ces instances serait sans doute plus compliquée avec la décroissance en boutonnière.
- De plus les bénévoles ne veulent pas être des militants, je l‘ai entendu plusieurs fois. Et pour certains sortir les terres agricoles de la spéculation est un projet politique en soi. Il s’agit d’un mouvement d’une grande diversité et des 3 têtes, avec laquelle faut-il discuter, la Fédération, la Foncière, la Fondation ? Et à quelle échelle, les structures nationales, les associations territoriales, les groupes locaux ?
Alors oui, TdL constitue bien une déclinaison d’un projet politique de décroissance mais celui-ci n’est pas assumé. Quelle stratégie faut-il adopter pour le rendre assumable ? Peut-être proposer des interventions sur le projet politique de la décroissance aux prochaines rencontres des bénévoles. Cette année nous avons eu une conférence gesticulée sur la sécurité sociale de l’alimentation et TdL est rentrée dans le collectif qui porte le projet.