Des copinages, des histoires de familles, des intrigues, des trahisons, des secrets, de l’espionnage, des transferts de fonds, de la corruption, des conflits d’intérêts, des scandales, des meurtres, des guerres et même… de l’amour ! Ce n’est pas un roman à rebondissements que la Maison Commune de la Décroissance vous présente mais la fresque que Matthieu Auzanneau a consacré à la matière première dont la métaphore a pris pour titre du livre, l’or noir. Autrement dit, ce monument de plus de 700 pages est une véritable saga couvrant plus d’un siècle et demi d’histoire du monde dévoilée à l’aune de la substance que la Terre a généré il y a plus de 100 millions d’années et qui a servi de carburant, dans tous les sens du terme, au capitalisme depuis 1859, année du forage du premier puits de brut : le pétrole.
Matthieu Auzanneau nous permet un voyage dans l’espace (aucune zone concernée du globe ne semble épargnée) et dans le temps (du XIXème siècle à nos jours, le livre étant paru initialement en 2015 et doté de perspectives couvrant les années 2020) très explicite, qu’il évoque des phénomènes naturels, des problèmes techniques, des tensions diplomatiques, des tractations politiques ou des transactions économiques. Car aucun de ces thèmes n’échappe à l’auteur, directeur du Shift Project, ce dernier étant un think-tank consacré à la transition énergétique. Garnies de renseignements précis et abondants, les observations de Matthieu Auzanneau -parfois dotées d’une humour grinçant-, couvrant l’ensemble de la filière pétrolifère (incluant ses multiples ramifications et séquelles jusque dans les domaines… de la musique ou du cinéma !) sont aussi précieuses pour qui s’engage à critiquer l’extractivisme, le productivisme ou le capitalisme que le pétrole n’a été pour ce dernier.
Effectivement, depuis sa découverte et son exploitation, le pétrole charrie son lot de contingences. À titre d’exemples, on apprendra à travers Or noir, que les scandales du secteur pétrolier n’ont pas attendu celui d’Enron en 2001 pour éclater ; que les conflits armés commandités, supervisés ou pilotés directement par les États-Unis dans le dernier quart du XXème siècle, aussi conséquents soient-ils, sont loin d’être les premiers liés à l’or noir ; que temps simultané de la diplomatie officielle et des canaux officieux, tout comme la pratique des « portes tournantes » (alterner périodes de représentant politique et périodes de responsable d’entreprise chez un seul et même individu) font pleinement partie intégrante de cette grande histoire du pétrole.
Remarquablement bien documenté (l’appareil de notes est plus que foisonnant), l’ouvrage n’est peut-être pas, bien que son auteur ne soit pas un fervent « homme-pétrole » et malgré une section consacrée à Nicholas Georgescu-Roegen, un livre de décroissant mais il est incontestablement un livre pour décroissant. Un livre pour décroissant, car en ces temps (depuis 2008) de probables remous sur le sommet du pic pétrolier et, simultanément, d’électrification intensive de nos activités quotidiennes – y compris de la mobilité sans que celle-ci ne soit questionnée fondamentalement-, Or noir offre une multitude de données et d’analyses permettant de critiquer l’ère du pétrole afin d’en finir avec.
Or noir, aussi volumineux qu’instructif, qui a vu le jour au format « poche » début 2021 apporte une somme d’éléments et d’arguments permettant de contribuer à l’avènement de la société post-carbone que nombre de décroissants sont impatients de voire éclore.
Matthieu Auzanneau
Or noir. La grande histoire du pétrole.
La Découverte – 2015 / 2021
ISBN : 9782707167019 / 9782348067280
720 pages – 26 euros / 885 pages – 16 euros