Traction animale, une vision politique

Ce texte a été produit par l’association de traction animale Hippotese (il a été écrit à 9 mains) dans le cadre d’un week-end de « coming-out politique » encadré et accompagné par la MCD (dont c’est une des nouvelles activités), car l’association cherchait à repolitiser son projet associatif pour inscrire la TA (comme ils disent dans le milieu) dans une perspective plus large que purement technique. Le texte actuel est à l’état brut, tel qu’il a été assemblé par différents groupes à l’issue d’un atelier d’écriture. Il servira de base au processus de politisation en cours, qui pourra prendre différentes formes.

Du point de vue de la MCD, la traction animale est une piste pour mettre en oeuvre la décroissance : elle s’inscrit dans le ré-enpaysannement de nos sociétés, dans la désindustrialisation et la démarchandisation de notre modèle agricole, dans la lutte contre l’extractivisme (qui sont autant de déclinaisons de la décroissance). Décliner la décroissance, c’est tenter de la « rendre concrète » politiquement : c’est alors tout un monde qui s’ouvre à des imaginaires et à des perspectives enthousiasmantes, faisant sortir la décroissance du temps des généralités, et permettant du même coup aux décroissant-es d’espérer explorer ces perspectives avec tous ces compagnons de route qui les défrichent déjà.


De même, de nombreuses valeurs décrites dans le texte nous paraissent relever d’un trajet de décroissance : l’attention au vivant, la philosophie de la relation au cheval, l’importance de la transmission et des savoirs vernaculaires, la pratique des low-techs, le partage d’un commun
Ce travail s’inscrit également pour nous dans notre réflexion autour du noyau – rayons de la décroissance. La traction animale relève de ce qu’on appelle un rayon : ce sur quoi on peut s’opposer tout en étant tout de même décroissant-es (par exemple : positions véganes depuis le noyau décroissant VS défense de la traction animale et de l’élevage paysan depuis le même noyau)

Manifeste politique pour la traction animale d’Hippotese

Nous sommes un groupe d’individus pratiquant la traction animale. Nous y sommes arrivés par des biais différents : pour certains, c’est l’envie de travailler avec le cheval, le vivant, qui nous a poussé vers la traction animale. Pour d’autres, c’est des raisons écologiques et environnementales qui ont éveillé un intérêt pour l’utilisation de l’énergie animale. Quelques membres de l’association ont grandi aux côtés des chevaux et se sont imprégnés de la traction animale et de ses métiers, leur famille leur ayant transmis des connaissances de base. Certains d’entre nous se sont dirigés vers la traction animale par intérêt pour la recherche adaptée, par désir de trouver des technologies accessibles et maîtrisables.

Avec la traction animale, le cheval d’attelage loisir trouve une utilité sociétale. Nous souhaitons faire ensemble avec l’animal, fonctionner à une échelle qui soit la nôtre.

La création du réseau qu’est Hippotese est le fruit d’une envie de partage de valeurs communes et de mutualisation d’outils et de connaissances liées à la traction animale. Le besoin d’entraide que chacun ressentait dans sa pratique individuelle de la traction animale a été satisfait par les activités collectives mises en œuvre. Nous organisons par exemple des chantiers école, des journées de recherches et de réflexion où le savoir commun se construit et s’enrichit par l’échange.

Nous affirmons faire du bien être animal une de nos priorités. De ce fait, une réflexion collective dans un objectif d’évolution et avec l’apport extérieur de spécialistes, nous permet une amélioration constante de nos pratiques. Chacun est libre de puiser les informations partagées dans différent domaines, sans contrepartie.

Nos communs 1 doivent néanmoins rester en libre accès, même s’ils peuvent éventuellement être utilisés à des fin commerciale.

La traction animale : entre alternative concrète et effet global

Nous affirmons que la vision d’Hippotese promeut l’utilisation de l’énergie animale aux dépens des énergies fossiles et qu’elle favorise la relation au vivant, tant des animaux de travail, que du sol et de l’humain. Elle milite pour le maintien d’une agriculture décentralisée où le paysan garde la maîtrise de ses moyens de production (animaux, énergie, semence, harnachement, outils, etc).

Nous considérons que le modèle agricole induit par notre vision de la traction animale appartient à la catégorie des alternatives concrètes car elle permet la production d’une alimentation décarbonée, respectueuse de l’homme et de son environnement.

Mais nous sommes conscients que cette alternative est forcément partielle et s’inscrit dans un ensemble de mutations nécessaires. Elle n’est qu’un maillon qui doit se concrétiser au niveau de l’agriculture locale et s’articuler avec les problématiques de l’agriculture paysanne à toutes les échelles, y compris internationales. Dans ce sens elle se propose de fonctionner comme un vivier de connaissances. Nous cherchons à proposer des outils et des solutions techniques qui puissent être reproductibles, mais non privatisables et hors de la logique marchande et qui participent d’un processus cumulatif des savoirs.

Néanmoins la traction animale est traversée par les écueils du monde actuel, comme la nécessité d’être économiquement rentable sur des critères critiquables et à remettre en cause.

Notre vision de la traction animale est holistique, elle propose une possibilité de synthèse en offrant un autre rapport au monde et s’appuie sur des valeurs qui ne sont pas celle du monde actuellement dominant. Elle donne à voir un autre imaginaire, elle amène à vivre autrement. Finalement, pour nous, la traction animale ouvre le champs des possibles et offre des pistes pour qu’adviennent les sociétés de demain.

S’inscrire dans une transformation globale

Nous affirmons que le monde va mal, et qu’il est en changement.

Nous revendiquons pour la traction animale le statut international d’énergie renouvelable et nous affirmons qu’elle peut contribuer au bien-être humain sans conséquences néfastes pour la planète.

Nous sommes convaincus que le système capitalisme détruit notre lien à la nature.

Nous affirmons que nous nous inscrivons dans un nouveau rapport au monde. La communion avec nos animaux de travail nous fait vivre un autre rapport au monde, qui nous pousse à être force de proposition en matière de rythme de travail, d’écologie. Nous rêvons que notre philosophie radicale soit une étoile pour la transformation du monde.

Nous devons affirmer que la transformation globale ne se fera pas sans un lien homme-animal, qui dépasse l’animal de compagnie. La relation de travail avec les bêtes n’est pas une relation d’appropriation mais permet un partenariat. Se rapprocher du monde animal ouvre un autre rapport du monde.

Nous devons refuser que notre traction animale soit récupérée par le modèle capitaliste dominant. Nous affirmons qu’il ne suffit pas de pratiquer individuellement la traction animale, mais qu’il faut se rencontrer, partager les connaissances et participer au savoir cumulatif paysan. Il faut s’allier à tout autre mouvement paysan local et international. La force de la traction animale c’est son ancrage local et en ce sens elle contribue à la souveraineté des peuples. Il faut maintenant penser la traction animale comme une proposition systémique et holistique.

Les membres d’Hippotese.

Les notes et références
  1. Commun : mise à jour des communs, mise à disposition libre et gratuite de toutes nos recherches communes. Mise en commun de trouvailles, adoption, test et validation de techniques en vue d’une transmission plus globale.[]
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