Retraites : C’est d’une réforme décroissante dont on a besoin

Cette tribune devait initialement paraître au sein du journal La décroissance suite à la sollicitation de Pierre Thiesset, que nous remercions ici. Elle n’a finalement pas été publiée pour des raisons de « cohérence d’ensemble », le dossier du mois d’avril intitulé « Quelle retraite pour les objecteurs de croissance ? » semblant porter plutôt sur la question du vieillissement de la population dans une société en décroissance… pour laquelle la retraite inconditionnelle serait tout de même une garantie de sérénité, de justice et d’égalité.

« Des retraites de ministre pour tous ! » ; ce slogan, entendu dans les cortèges contre la réforme des retraites, s’il n’est évidemment pas soutenable écologiquement, nous apparaît socialement juste. En effet, comment justifier qu’à la retraite les inégalités salariales (déjà critiquables) du monde du travail – sous prétexte de différences de talent, de responsabilités, de diplômes et de tâches – se prolongent, alors que précisément ces critères de distinction deviennent inopérants à la retraite ? Pourquoi quand elle ne « travaille » plus la femme de ménage devrait moins percevoir qu’un patron qui ne « travaille » pas non plus ?

En tant que décroissant-es, à moins de valider les fables de la méritocratie néolibérale, il nous faut défendre la retraite à montant unique et suffisant pour vivre (dès aujourd’hui, à budget constant, nous pourrions la défendre autour de 1500 € net/mois). A non-travail égal, pension égale !

Se posent quand même deux questions : à qui, et à quelle condition l’attribuer ? Bien sûr aux « travailleurs » dont la plus grande partie a vu son « surtravail » exploité au seul profit du capital ! Mais le capitalisme a toujours reposé sur l’extraction de ressources gratuites et « abondantes » : les « ressources naturelles », les colonies, et les femmes. Il ne faudrait donc pas, au nom d’un travaillisme poussiéreux et d’un extractivisme laborieux, oublier l’exploitation économique des « activités invisibilisées » du soin et de la relation, majoritairement assignées aux femmes, sans lesquelles aujourd’hui aucune force de travail ne pourrait se renouveler. Ainsi, nous participons toutes et tous – socialement – à la production commune de la richesse économique : il faut donc en déduire, qu’à partir d’un certain âge (à décider démocratiquement dans un projet politique recadré écologiquement et réajusté socialement ; mais pourquoi pas 50 ans comme le suggère Bernard Friot ?) tous et toutes doivent avoir droit à une retraite inconditionnelle, qu’elles aient « travaillé » ou non, ce que l’on ne peut réfuter qu’à condition de défendre des variantes du mythe bourgeois du « self-made man ».

Cette revendication systémique – qui repose alors sur l’abandon du calcul des annuités, calcul qui permet et justifie toujours l’infiltration de l’individualisation – ne résout pas tous les problèmes posés par les questions des inégalités de revenus et des patrimoines. Elle n’est qu’une étape en vue d’une politique générale des revenus d’un point de vue décroissant : qui devra poser la question du partage du temps de l’emploi et aussi des tâches pénibles, remettre en question l’organisation des activités par la division sociale et technique du « travail », questionner les exigences (utilitaristes) de productivité et d’efficacité… Surtout, elle devrait s’articuler à une politique générale de limitation des richesses, de revenus et de patrimoines, au nom d’un principe simple de justice : ce qui est produit par une collectivité doit être réparti collectivement.

On voit que cette question des retraites est à la conjonction de toute une série de réflexions décroissantes car elle permet :

  1. De remettre en question la centralité de la « valeur travail » au profit de la « valeur activité ». Car, comment ne pas s’apercevoir que la valorisation moderne de l’activité « travail » s’est payée aux prix de la dévalorisation (infériorisation et invisibilisation) de toutes les activités qui lui servent pourtant de « plate-forme invisible » (Françoise d’Eaubonne).
  2. D’être écologiquement compatible avec une décroissance économique-énergétique-matérielle : puisque non seulement chacun sera désincité à travailler (mais pas à s’activer, tout au contraire), mais plus l’âge de la retraite inconditionnelle sera bas, moins on travaillera, donc moins on produira, donc moins on détruira.
  3. Surtout, elle remet la question démographique à sa place : si l’espérance de vie augmente, alors le « temps libéré » (André Gorz) doit lui aussi augmenter.
  4. Enfin, elle est écoféministe : c’est un pas pour retrouver le sens de la vie en commun, non pas, dans la sphère productive, mais bien dans celle de la reproduction sociale. En redonnant à la vie sociale toute sa place, on ne remet pas seulement l’économie à sa place : on assure la décroissance des inégalités. Et on redonne aussi du temps, non seulement pour ce qui a du sens, et ce qui compte vraiment : les activités d’entretien et de conservation de la vie de la société, mais aussi toutes celles qui concernent directement l’organisation politique.

Beaucoup de questions qui ne sont malheureusement pas portées par le front syndical uni seulement par le refus et qui pourtant sont activement débattues par les gens en train de défiler. A suivre…

Michel Lepesant, fondateur de la Maison commune de la décroissance et Fleur Bertrand-Montembault, porte-parole

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