Tribune refusée dans Reporterre

Retraites : pour une critique offensive, il faut une contre-proposition systémique

Nous publions néanmoins cette tribune que Reporterre a refusé. C’est une déception car Reporterre a toujours défendu non seulement l’idée d’un revenu universel/inconditionnel mais aussi son couplage avec un plafonnement des revenus et des patrimoines.

Or la proposition de retraite inconditionnelle est d’abord celle d’une étape en vue d’une acceptabilité sociale d’un revenu inconditionnel. Malheureusement, « le comité de rédaction a décidé de ne pas la retenir pour publication ». Pourquoi ? Parce qu’elle serait « un peu longue, et technique pour notre lectorat ». C’est dommage.

Quiconque a déjà argumenté en faveur du revenu inconditionnel (RI) comme reconnaissance de la participation de toutes et tous à la production de la richesse sociale et économique d’un pays s’est vu rétorquer deux objections contradictoires. Dans un premier temps, « mais c’est le travail qui est le premier facteur d’intégration sociale ». Et dans un second temps, « mais si le RI est donné sans contrepartie, personne ne voudra plus travailler ». Il faut savoir : si le travail a tellement de valeur « sociale », tout le monde voudra toujours travailler !

Cette contradiction est l’indice d’une réticence qu’il faut respecter. Et c’est pour cela que l’acceptabilité sociale d’une proposition comme celle du RI doit être facilitée par des propositions transitoires.

La résistance à la réforme des retraites n’est-elle pas alors la très bonne occasion pour proposer une « retraite inconditionnelle » (rI). C’est-à-dire ?

L’idée politique c’est qu’une telle proposition nourrirait une revendication à la fois offensive et « systémique » au lieu de se contenter de multiples contestations  de la réforme qui sont trop défensives et surtout qui se laissent piéger dans les méandres d’une réforme devenue « paramétrique ».

Pourtant, si on repère les 4 arguments principaux du gouvernement – la pérennisation du financement, la défense de la répartition, l’allongement de l’espérance de vie, le travail n’est pas une maladie – on peut, contre chacun d’entre eux, porter des critiques qui, toutes, convergent en faveur d’une retraite inconditionnelle.

→ Le financement est un flux entre les dépenses et les recettes. Le choix libéral du gouvernement est de baisser les dépenses (les pensions des plus fragiles), ce qui est le résultat aujourd’hui constaté dans tous les pays qui ont déjà reculé l’âge légal : car ceux qui subissent les pensions les plus basses sont aussi ceux dont les conditions de travail les déterminent à anticiper leur départ en retraite, avec décote donc.

L’autre choix serait d’augmenter les recettes : augmenter le débit (aujourd’hui la part du PIB consacré aux retraites est de 14,4 %), accentuer la progressivité de la pression fiscale, stopper les fuites (la fraude fiscale et les niches et paradis fiscaux), et surtout plafonner le robinet.

De la même façon qu’il ne peut pas y avoir, écologiquement et socialement, de défense du RI comme plancher sans le plafond d’un revenu maximal1, alors la proposition de retraite inconditionnelle doit être couplée avec un plafonnement des pensions.

Pourquoi ? Parce qu’aucun des arguments qui pourraient justifier des inégalités de revenu – diplôme, responsabilité, expérience – pendant le travail ne peut plus justifier leur prolongation après le travail, pendant la retraite qui est un non-travail.

→ Si la défense du système de répartition peut aboutir à une réforme si injuste et si irresponsable, où est l’entourloupe ? C’est que le gouvernement importe dans le système de répartition un principe d’individualisation qui vient du système par capitalisation (et qui était déjà la logique de la réforme systémique par points).

Dans le système par répartition, le financement se fait par le prélèvement obligatoire, la cotisation ; du côté de la capitalisation, par l’épargne. D’un côté, un financement solidaire où les pensions sont financées par la répartition immédiate des cotisations des actifs ; de l’autre, le choix d’un financement individuel où la pension est le revenu différé d’un investissement.

D’un point de vue individualiste, d’accord pour que le montant de la retraite soit fonction du montant de l’épargne. Mais pourquoi reprendre ce principe individualiste au sein d’un système de répartition dont l’essence est la solidarité et le sens du collectif ?

C’est pourquoi une défense cohérente du système de répartition doit se faire au nom d’un seul principe de solidarité et non pas se mélanger avec un principe individualiste.

La conséquence pour la défense d’une retraite inconditionnelle va être simple : si le montant de la pension ne dépend plus du montant de la cotisation, alors ce montant ne peut plus être que le même pour toutes et tous. Peut-être pas dans un premier temps, d’où le plafonnement, mais à terme au moins dans le rapport strict de 1 à 2.

→ Le gouvernement s’appuie sur l’argument démographique pour enfermer le choix de partir en retraite dans la tenaille des deux durées : celle de l’âge légal et celle des annuités. Il s’agit pour lui d’utiliser cet argument pour enfermer les salariés dans le dilemme d’arbitrer entre la décote et le prolongement du temps de l’emploi. Pourtant il suffit d’une simple soustraction pour voir le piège : 64-43=21 ans. Autrement dit, pour partir à taux plein à l’âge légal avec une carrière complète, il faudra en moyenne avoir commencé à travailler à 21 ans. Alors que l’âge moyen de rentrée dans « l’emploi significatif » est de 22 ans et  7mois ! Même la proposition de LFI (40-20=20) maintient la tenaille. Comment s’en libérer ? En supprimant l’une des deux mâchoires !

Dans la logique d’une déconnexion entre le travail et la retraite, c’est le principe des annuités qu’il faut supprimer. Et par conséquent défendre le droit inconditionnel à bénéficier d’une retraite quel que soit le temps de travail accompli.

L’âge d’un tel droit devra être déterminé démocratiquement, socialement et écologiquement et il pourra même être modulé par les variations d’espérance de vie suivant les types d’activité.

Mais on voit qu’une telle proposition s’appuie sur une reconnaissance réelle de toutes les activités utilement sociales qu’un individu peut effectuer, sans les réduire au seul « travail ». Chacun peut voir les conséquences, en amont comme en aval de cet âge légal, d’une telle déconnexion : sur la condition des femmes, sur la vie associative, sur la valorisation sociale de toutes les activités du soin, du bénévolat…

Et du coup l’argument démographique se retourne : c’est précisément parce que l’espérance de vie progresse qu’il faut que le temps « sans travail » progresse lui aussi. C’est là une rupture forte avec la révolution de la retraite par le CNR en 1945, avec un âge légal de 65 ans quand l’espérance de vie était de 67,5 ans. La proposition systémique d’une retraite inconditionnelle, ce n’est pas la « retraite des morts », c’est la retraite des vivants !

→ Et on en arrive à ce qui donne vraiment force à la mobilisation contre la réforme proposée et qui n’est abordé que du bout des lèvres par certains : si les gens se mobilisent, c’est parce qu’ils ne veulent pas passer leur vie au travail, c’est un sentiment profond de remise en cause du « sens du travail ».

La proposition d’une retraite inconditionnelle – d’un montant égal pour toutes et tous, accordée en reconnaissance de l’activité socialement utile, à un âge suffisamment bas pour profiter de la vie – pourrait reprendre ce slogan lu dans les cortèges : « Peut-on respirer avant d’expirer ? ».

Sans aller jusqu’à affirmer que « le travail, c’est la santé », Gérard Darmanin mène la contre-offensive parce que « le travail, ce n’est pas une maladie ».

D’abord, cela dépend pour qui, à moins d’être totalement insensible aux conditions de la souffrance au travail : rythme, trajets, conditions physiques et psychiques, pénibilité.

Mais c’est bien la souffrance du travail qui doit être abordée. Et comment ne pas aujourd’hui savoir que cette souffrance est autant une souffrance à l’intérieur de nos sociétés que celle infligée à la nature.

Voilà pourquoi il faut s’opposer systémiquement à cette réforme : nous ne défendons pas la société, nous sommes la société qui se défend. Michel Lepesant, fondateur de la Maison commune de la décroissance

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Notes et références
  1. https://reporterre.net/Vous-voulez-le-revenu-universel-Alors-il-faut-exiger-le-revenu-maximum[]
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