Dominique Méda, une décroissante masquée ?

Ce jeudi 18 novembre à la Bellevilloise1, soirée d’ouverture du Festival des idées, 6ème édition. Une introduction très féminine : sur le plateau 4 femmes : avec Dominique Méda, Lucie Pinson, Juliette Rousseau et Iris Deroeux comme animatrice.

L’intervention de Dominique Méda a particulièrement retenu notre attention. Après une courte biographie intellectuelle, elle affirme à contrario de l’économiquement correct, être fort critique quant aux bienfaits de la croissance. Pourtant plutôt, que de parler de décroissance, elle préfère le terme post-croissance.

Intrigante formulation pour un décroissant militant. J’attendais Méda au tournant pour demander des précisions.

La dernière question me fut accordée. Ainsi, à peu près formulée : « Pourquoi refusez-vous de parler de décroissance, amoindrie en post-croissance ? »

Je justifie mon étonnement en faisant valoir la lecture de quelques livres de l’autrice dont la tonalité est de fait décroissante et fort critique quant à la religion du travail.

Il se trouve que j’ai dans ma sacoche le livre de Vincent Liegey et d’Isabelle Brokman « Décroissance. Fake ? Or Not » (Tana éditions), avec la permission de l’auditoire, je lis quelques lignes de cet ouvrage (p.23).

« Fonction exponentielle. Un petit 2 % de croissance atteint chaque année pendant 30 ans déboucherait en 2050 sur une économie multipliée par 2. Deux fois plus de tout : téléphones, ordinateurs, voitures, bâtiments,… c’est mathématique.

Et 2 % de croissance jusqu’en 2100, notre économie actuelle serait multipliée par 5 ! »

Alors, pourquoi refuser le terme décroissance, ce mot obus qui fait exploser les diktats de économiquement correct ?

Il est urgent de changer de direction, en appelant un chat un chat. Sinon, en reprenant le titre d’un journal des années 70, nous allons crever La gueule ouverte !

Réponse de Dominique Méda : «  C’est par prudence, tactique que j’emploie l’expression post-croissance. Le mot décroissance ne passe pas auprès de ceux qui ont peu. Dire aux pauvres qu’il faut décroître ça ne passe pas… Post-croissance, c’est prudent, tactique.»

Après cette réponse honnête le débat est clos. L’animatrice nous invite au buffet ou je peux me réconforter avec un punch fort aimablement offert.

*

Universitaire de renom, Dominique Méda est une alliée objective des décroissants, par prudence et tactique pédagogique elle avance masquée ? Précisons : c’est à visage découvert que se sont exprimées les intervenantes, c’est tout aussi dénudé que, d’en bas, j’ai questionné. La crise sanitaire contournée pour un moment.

Alain Véronèse.

.Dominique Méda, bio et biographie accessibles sur internet, a publié nombreux ouvrages, critiques de la croissance et du travail. M’ont spécialement séduit : «Le travail, une valeur en voie de disparition » et « Qu’est-ce que la richesse ». Le premier cité fut fort apprécié par André Gorz, c’est dire s’il est bon…

Le point de vue de la MCD sur la question

Éviter le mot décroissance, c’est éviter sa radicalité politique. Quand Dominique Méda parle de post-croissance, elle choisit de ne pas affronter de penser la transition à entamer entre le monde que nous rejetons : le monde de la croissance, du plus, de l’accélération permanente, des OGM, du capitalisme etc… et le monde que nous projetons : un monde relocalisé, de relations de proximité, un monde d’a-croissance. Or pour partir, il faut d’abord « partir de », d’un point de départ : à la fois un pied dedans et un pied dehors. C’est donc la décroissance comme trajet que nous défendons, entre le monde rejeté et le monde désiré, un trajet défini comme l’ensemble des mesures politiques permettant d’organiser la décrue économique, c’est à dire la baisse de l’ensemble des éléments de la chaîne économique : l’extraction, la production, la consommation et l’excrétion (les déchets), pour revenir à des modes de vie écologiquement soutenables et socialement décents. Ce n’est qu’une fois que nous aurons décru suffisamment pour revenir au sein des limites écologiques, que nous pourrons prôner l’a-croissance ou parler de société post-(dé)croissance. Éviter le mot, c’est sauter d’un monde à l’autre sans se poser la question du trajet et ses difficultés, c’est regarder ailleurs.

De plus, s’arrêter à la forme (bon mot ? pas bon mot ?) c’est refuser de se pencher sur le fond et de discuter les idées : les réserves sur le mot révèlent des réticences sur le fond. Ces réserves constituent des indicateurs forts des décolonisations à entreprendre même au sein des « proches idéologiques » : quand des objecteurs de croissance, se découvrent être en réalité des objecteurs de décroissance. On peut même aller plus loin : si la décroissance, c’est mathématique, alors en effet, ce serait une maladresse tactique que de se contredire en demandant une politique tout en la refusant au nom d’une nécessité mathématique. C’est pourquoi tant qu’à utiliser le mot, autant aller jusqu’au bout et en faire un choix volontaire…

Les notes et références
  1. La Bellevilloise, un lieu accueillant, où rôde, amical, le Spectre de Jean Jaurès.[]
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