De quoi Zemmour est-il la caricature ?

Les médias bruissent du « phénomène » Zemmour : mais ce n’est pas un « phénomène », c’est juste un événement dans le spectacle de la politique.

Il y a quelques années Alain Badiou s’était demandé « de quoi Sarkozy est-il le nom ? » et il rabaissait l’événement à n’être qu’une « circonstance ».

Zemmour aujourd’hui n’est pas le nom de quelque chose, il n’en est au mieux que l’image ; en réalité la caricature.

Restons dans le souvenir du livre d’A. Badiou ; car ce dernier en profitait pour réhabiliter « l’hypothèse communiste ».

Las, cette réhabilitation si elle creusait à nouveau la critique du capitalisme n’en était pas moins décevante quant à une réelle critique de la critique du capitalisme : pour l’écrire vite, aujourd’hui une critique du capitalisme qui n’en vient pas à une critique de la croissance, comme monde et comme idéologie, reste une critique tronquée du capitalisme.

Il ne s’agit donc pas de rejeter définitivement l’hypothèse communiste, il s’agit de la radicaliser jusqu’au point de découvrir que le « communisme » tel qu’il a souvent été défendu est loin d’avoir été le défenseur du Commun. Sur ce point, il faut recommander la lecture du chapitre 2 du livre de P. Dardot et Ch. Laval, Commun, Essai sur la révolution au 21ème siècle, chapitre qui s’intitule : L’hypothèque communiste, ou le communisme contre le commun 1.

Mais alors de quoi Zemmour est-il la caricature ?

De qui Zemmour en représentation permanente est-il le représentant ? N’est-ce pas l’occasion pour répondre à cette question de relire un classique de la littérature antifasciste : Fascisme et grand capital, de Daniel Guérin 2 ?

  • Le plus facile est de rappeler que la chaîne CNews qui pendant 2 années lui a offert une tribune ouverte est la propriété du milliardaire Vincent Bolloré ; lire l’article du NY Times : CNews, le ‘Fox News français’ qui surfe sur les mécontentements. Zemmour est un candidat capitaliste.
  • Quant à ses soutiens – et futurs électeurs ? – ils appartiennent aux milieux traditionnels réactionnaires : https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2021/10/Vague-2-panel-2021-Fondation-Jean-Jaure%CC%80s.pdf.
  • Le contenu de son éventuel programme est conforme – pour le moment – aux recettes les plus éculées du marketing électoral : par la juxtaposition de propositions qui n’ont en commun que le populisme, le simplisme, le tout à la sauce « convergence des haines », où l’obscène remplace l’indécence : Les prénoms, les fonctionnaires, les flatteries au lobby automobiliste (suppression du permis à points, retour aux 90 km/h, à fond sur les autoroutes), l’immigration (suppression du droit du sol, fin du regroupement familial, expulsion massive de 2 millions d’étrangers en 5 ans), la baisse des impôts de production pour les entreprises, l’abolition de la loi Gayssot (qui réprime le délit de négationnisme), la réhabilitation du maréchal Pétain…
  • Les commentateurs du discours de Zemmour le qualifie de « décomplexé » ; c’est vrai qu’il n’est pas complexe. Ce qu’ils appellent « dé-complexé », c’est « simplifié » qu’il faudrait dire. Le « simplifié » est la caricature du « décomplexé ».
  • Quant aux 2 préoccupations principales aujourd’hui des français – le pouvoir d’achat et l’environnement » : « Est-ce que le réchauffement climatique est une question que peut régler le peuple français? Je ne suis pas sûr. Est-ce que c’est vraiment une question urgente? Je ne sais pas », « Si on arrive au pouvoir, c’est pour traiter un sujet : le choc des civilisation. Sur l’économie, ce ne sera pas la révolution »…

Il y a quelques années, Marine Le Pen, avec raison, ironisait sur cette droite qui courait derrière elle et on se rappelle sa prédiction : les français préféreront le modèle à l’imitation. Sa présence au second tour de la dernière élection présidentielle l’a confirmé.

Mais voilà qu’aujourd’hui, des français semblent préférer la caricature au modèle.

Et c’est ainsi que la prochaine élection présidentielle pourrait se résumer à une course entre caricatures. A droite, à l’extrême-centre, et à gauche.

Avec de tous côtés, un point commun : l’évitement de la question qui fâche, c’est-à-dire la remise en cause de la croissance dans un monde qui ne va plus pouvoir la supporter. Telle est donc la fonction de ces caricatures : grossir le trait pour en réalité détourner – divertir disait Pascal – de l’essentiel : faire diversion.

Quand la voiture va se fracasser contre le mur, la question principale est-elle de savoir si sa couleur est à mon goût ?

Il y a quelques siècles, le philosophe Hume écrivait qu’« il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à l’égratignure de mon doigt » ; il réduisait ainsi la raison à la simple fourniture des moyens et renvoyait la question des fins à la seule préférence des passions individuelles. Voilà donc de quoi Zemmour est la caricature : un monde dans lequel les places de l’essentiel et de la diversion sont systématiquement inversées. Dans un monde de simulacres, la caricature peut même passer pour le modèle.

Notes et références
  1. https://journals.openedition.org/lectures/14410[]
  2. Publié pour la première fois en 1936, complété en 1945 (Gallimard), repris par Maspero en 1965, puis par Syllepse (1999) et La Découverte (2001), et enfin par Libertalia en 2014.[]
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