Extension du domaine de la ville

« L’arbre, le maire, et la médiathèque » fait partie des films de la fin de carrière d’Eric Rohmer. Sorti en 1993 il est encore d’une grande actualité.

Il y est question de politique politicienne à laquelle plus personne ne croirait, d’aménagement du territoire par des politiciens proches de leur territoire mais en fait éminemment carriéristes, d’une écologie politique qui serait conservatrice et qui irait donc à l’encontre « de l’évolution naturelle de l’univers » et qui « prônerait la stagnation ».

Rohmer est un réalisateur intelligent, brillant même (on pourrait aussi le qualifier d’anti virtuose, les effets de caméra n’ont pas cours chez lui) dans son écriture et la subtilité avec laquelle il dépeint son univers de pensée et ses personnages. Aucun d’entre eux n’a jamais vraiment tort ou raison, chacun se dépatouillant avec ses arguments et ses contradictions.

L’arbre, le maire et la médiathèque, affiche

Le personnage du maire par exemple, incarné avec malice par Pascal Gregory, est coincé par son volontarisme tout en se croyant connecté avec les besoins de ses concitoyens. Tout ce qu’il dit n’est pas absurde comme le fait que le clivage gauche-droite n’a pas disparu comme certains voudraient le faire croire (si ce n’est dans sa non distinction éco-gestionnaire des partis traditionnels PS-LR), et que les écolos ne sont pas les « alliés objectifs » du Front National.

Mais le personnage le plus intéressant est bien sûr celui de Fabrice Luchini, l’instituteur teigneux et idéaliste du village, qui avec sa verve habituelle dresse un portrait au vitriol des logiques d’aménagement des territoires. Il veut sauver un arbre centenaire de la construction d’une médiathèque complètement hors sol décidée par le maire, il critique cette construction qui serait « respectueuse » (le moindre mal) et qui piège toute pensée critique et appelle plutôt, pourquoi pas, au meilleur des biens. Il attaque aussi la logique des accès, « la France est défigurée par les accès » à savoir les bretelles d’autoroute, les parking, la bétonisation du monde en gros. Il s’inscrit dans une logique plus récente de critique des grands projets inutiles. Il a cette phrase définitive et qui pourrait bien résumer le monde de la croissance et ses thuriféraires « c’est à croire que ces gens là ont une fascination pour la mort, c’est la mort qu’on nous promet ». Société thanatophile dans laquelle nous vivons. Logique qui sera plus tard reprise par le personnage d’Arielle Dombasle qui dira « qu’elle refuse de vivre pour organiser sa survie, si l’on doit mourir alors mourrons ». Comment ne pas y voir la volonté a-spirituelle de la société bourgeoise pour laquelle les limites sont des contraintes et non pas des formes d’émancipation véritablement philosophiques et spirituelles. Arielle Dombasle est évidemment parfaite dans ce rôle.

Une autre discussion a retenue mon attention, celle avec l’éditeur au milieu du film, qui traite les écolos de « conservateurs » et bien oui monsieur nous l’assumons ! Nous ne confondons pas « l’évolution naturelle de l’univers » et les choix de société des hommes et leurs cohortes de nuisances. Cet éditeur qui se trouve être justement le parangon de l’écologie individualiste résumé dans cette acronyme NIMBY (Not In My BackYard). Il dira lui même « les écologistes ils ne doivent pas faire de la politique ils devraient s’occuper de reboisement, de pollution, d’eau claire des rivières, mais j’ai besoin d’eux, j’ai une maison dans le midi dangereusement menacée, à droite par une usine à gaz, à gauche par une bretelle d’autoroute.. La France est dirigée par les ingénieurs des ponts et chaussées ! » Voilà un constat final difficile à retoquer mais sa solution individualiste est l’inverse de la notre, de notre écologie politique.

Il serait difficile de résumer tous les débats qui sont conduits dans ce film alors je conclurai par une des thématiques qui nous concerne actuellement à la maison commune de la décroissance, la société post-urbaine. Et j’évoquerai un des véritables écueils dans cette volonté de désurbaniser notre monde. Celui du mode de vie urbain décliné à la campagne. C’est ce que dit très précisément le personnage de Fabrice Luchini quand il est interviewé par la journaliste dans la dernière partie de film. « Ils veulent créer de l’animation dans les campagnes comme si les campagnes étaient inanimées ». Voilà une réflexion fondamentale, comment ne pas vouloir ramener dans les villages, une fois la ville quittée ; la 5G, les théâtres subventionnés, les cinémas à grand spectacles, les bars ouverts jusqu’au bout de la nuit… Certes ce mode de vie urbain à son intérêt (un temps peut-être mais pas de jugement de valeur ici..) mais pourquoi vouloir le généraliser, l’imposer à toute la vie, à tous les lieux de la vie. Chaque lieu à sa temporalité, son fonctionnement (même si le mode de vie des chasseurs à la campagne ne doit pas perdurer pour autant par exemple..) et les urbains devront bien faire attention à ne pas vouloir s’imposer partout avec leur mode de vie dans une sorte de verticalisation des décisions politiques.

La fille de Luchini va même proposer une audacieuse idée au maire à la fin du film, créer des espaces verts à la campagne, « lui le châtelain a bien un parc, alors que les autres doivent se contenter d’un petit jardin, pourquoi ne pas donc créer des parcs accessibles au plus grand nombre dans ce monde campagnard clôturé. »

Le film se conclut par l’abandon du projet de médiathèque et la joie de l’instituteur qui avait (symboliquement) menacé de quitter le village si la médiathèque (et son monde) était construite.

Film à voir et à revoir, cette recension n’étant qu’une petite parcelle de la réflexion de fond qu’il recèle.

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