Alexandre Chayanov, pour un socialisme paysan, par Renaud Garcia

Alexandre Chayanov, pour un socialisme paysan, dans la collection « Les précurseurs de la décroissance », par Renaud Garcia, 2017.

Depuis quelques années, la collection « Les précurseurs de la décroissance », qui est dirigée par Serge Latouche, nous fait découvrir des auteurs dont la renommée semble inversement proportionnelle à leur apport pour une réflexion critique de « la croissance et son monde ».

Alexandre Chayanov (1888-1937)

Qui était Alexandre Chayanov ? Un économiste soviétique partisan des coopératives agricoles, ce qui ne fut pas évident au pays de la planification et du productivisme étatique. Arrêté une première fois en 1930 ; puis condamné lors d’un procès secret en 1932 à cinq ans de camp de travail, il fut de nouveau arrêté le 3 octobre 1937, jugé et fusillé le même jour.

Ses principales œuvres sont deux ouvrages, l’un est général, Sur la théorie des systèmes économiques non capitalistes (1924) et l’autre  plus spécifiquement dirigé vers les coopératives paysannes, Organisation des fermes paysannes ().

Ce qui nous intéresse en premier chez lui est sa défense d’une agriculture qui repose d’abord sur les communautés paysannes et plus particulièrement sur la ferme familiale comme unité productive de base : la famille paysanne comme base de la société et de l’économie.

  • Cette cellule familiale est d’abord une forme de vie basée sur des savoir-faire vernaculaires, mettant en pratique des valeurs d’équilibre et de simplicité : bonne foi, autolimitation, combinaison optimale des activités.
  • Chaque processus – mécanique, biologique, artisanal, économique – est adapté à la bonne échelle, à la bonne taille.
  • Est ainsi obtenue une autonomie comme autosuffisance, en totale opposition avec le productivisme d’une agriculture industrielle que le pouvoir soviétique promouvait : « La forme principale de concentration des exploitations paysannes ne peut être que al concentration verticale, en outre sous ses formes coopératives, car ce n’est que sous de telles formes qu’elle se trouvera liée organiquement avec la production agricole et qu’elle pourra atteindre son extension et son intensité adéquates » (cité page 33).

Mais par-delà cette forme de vie paysanne remarquable, ce que les décroissants peuvent retenir des réflexions de Chayanov concerne sa défense acharnée de la forme coopérative en ce qui concerne les unités de production.

  • « On pourrait dire que la théorie des optima différentiels est l’idée structurante fondamentale de la coopération agricole ; et que seule la coopération permet à la théorie d’être mise en pratique » (extrait de The Theory of Peasant Coopératives, 1927, cité page 78).
  • Cette théorie défend l’idée que ce qu’il faut rechercher ce n’est pas le maximum à tout prix mais a/ l’optimum, b/ adapté à chaque segment d’un processus.
  • L’optimum n’est pas le petit quel que soit le contexte mais c’est le proportionné : c’est une affaire d’échelle, que la taille reste à taille humaine.
  • La forme coopérative peut seule permettre cet ajustement : chaque système productif possède ainsi son échelle optimale de fonctionnement.

Renaud Garcia rattache ces réflexions de Chayanov à ce que Teodor Chanin appelle économie « expolaire », c’est-à-dire qui échappe aux 2 seuls pôles du marché et de l’État. On aurait aussi pu penser aux distinctions proposées par Karl Polanyi entre réciprocité, redistribution, oeconomie et marché.

La question que nous devons nous poser : quelle est la forme productive de base qui soit d’abord une forme de vie ? L’enjeu est bien de savoir si nous réussirons à sortir de l’encastrement moderne de la société dans l’économie.

 

 

 

 

 

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Un commentaire

  1. L’économiste agraire Alexandre Chayanov (1888-1937), loyal soutien de la transition vers le socialisme fusillé pour ses idées par la police politique soviétique en 1937, a jeté les bases d’une étude rigoureuse de l’économie paysanne familiale. Encore largement à l’oeuvre dans l’agriculture de subsistance des pays du Sud, celle-ci figure aussi dans les déclarations de nombreux paysans en lutte contre le développement des grandes exploitations agro-industrielles.
    En présentant le fonctionnement d’une économie dénuée des catégories de base du capitalisme (salaire, intérêt, rente, profit) et fondée sur le sens populaire des équilibres, des échelles pertinentes de production et de l’autonomie locale, l’oeuvre de Chayanov permet de combattre l’imaginaire de l’homo economicus. Sa réflexion sur l’extension coopérative de cette économie offre en outre de solides points d’appui à la réorganisation de la production agricole dans les sociétés de l’après-croissance.
    (4ème de couverture)

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