Individualisme

Depuis deux années, les (f)estives de la décroissance que nous organisons portent le même sous-titre : pour une critique radicale de l’individualisme.

Quel est donc cet individualisme que nous critiquons avec tant de persévérance ?

Commençons par dire qu’il ne s’agit pas de l’individualisme au sens psychologique : l’égoïsme. Ce n’est pas que nous voulions défendre un certain égoïsme : nous voulons même éviter de tomber dans le piège (libéral) d’une défense de l’égoïsme soi-disant bien compris qui nous ferait croire qu’un véritable égoïste ce serait celui qui aurait compris que son intérêt individuel serait inclus dans l’intérêt général. Mais tout simplement nous voulons rappeler que toute politique démocratique doit se garder de prétendre orienter les conduites psychologiques de chacun.

Cette précaution peut sembler innocente mais nous sommes en réalité en train de nous fermer ainsi l’une des portes que beaucoup – avec pourtant les meilleures intentions du monde – sont souvent prêts à ouvrir, celle d’une politique par la pédagogie et l’éducation : qui plutôt que de changer la société prétend devoir commencer par changer les gens, les consciences, les esprits. A chacun pourtant de se rappeler que l’une des définitions du totalitarisme consiste toujours à vouloir s’appuyer sur un homme nouveau 1. La séparation de la démocratie et de la pédagogie 2 serait le prix à payer pour que jamais la politique ne devienne une police de la pensée, soit.

Reste alors une critique de l’individualisme qu’il faut oser qualifier de critique « ontologique » : qui porte sur ce qu’est une société (et non pas sur la façon dont les hommes se comportent en société).

La critique ontologique de l’individualisme dénonce la fable d’une société définie comme l’ensemble d’individus juxtaposés mais qui, par le calcul de leur intérêt privé bien compris, s’associeraient en vue d’accroître leur capacité à lutter contre les menaces de la nature (l’union ferait la force d’être naturellement trop faibles pour suffire à assurer leurs besoins naturels).

C’est ce récit fabuleux sur l’origine et les fondements de la société qui justifie la vision libérale de la société a/ comme espace de compétition (le marché), b/ comme lieu de sécurité contre une nature naturellement hostile (la technique) :

  1. comme si chaque individu pouvait seul donner sens à sa vie ! Au contraire, il faut se demander quel être humain pourrait exister sans tous les autres ? Et défendre une vision coopérativiste de la société.
  2. comme si la technique n’était qu’un ensemble d’outils neutres au service de la sécurité de chacun ! Au contraire, il faut se demander à quelle condition une technique à taille humaine sera encore possible ? Et défendre une vision conviviale de la technique.
  3. comme si l’histoire résultait de la convergence consciente d’individus assez éclairés pour former dès aujourd’hui l’avant-garde du monde de demain ! Au contraire, il faut se demander comment retisser dans la trame de l’histoire les fils du passé, du présent et du futur ? Et défendre une vision buissonnante de l’histoire.

→ Chacun peut alors remarquer que ces 3 dernières remarques reprennent les thèmes de nos (f)estives : si le sens de la vie, le sens de la technique et le sens de l’histoire sont bien des questions politiques, c’est à condition de s’appuyer sur une critique cohérente de l’individualisme.

→ La critique ontologique de l’individualisme esquisse donc une vision « décroissante » de la société désirable : plurielle, vivante, ouverte.

→ Cette critique de l’individualisme est évidemment dirigée contre cet ultra-libéralisme dont la principale figure politique a été Miss M. Tatcher et son célèbre : « la société n’existe pas, il n’existe que des individus… et des familles ». Plus théoriquement, cette critique est dirigée contre ce que l’on appelle en sociologie l’individualisme méthodologique et qui ne voit les comportements sociaux que comme des agrégats d’actions accomplis par des individus déterminés par le seul calcul de leurs intérêts privés.

→ Mais il y a une mauvaise surprise car cette critique – si on veut être cohérent – doit aussi porter contre toutes ces fables individualistes portées par des écologistes sincères et même des objecteurs de croissance qui vont mettre en avant des « hypothèses de transition » reposant en réalité sur une conception individualiste de la société (suivant souvent une séquence historique de type : prise individuelle de conscience → exemplarité → préfiguration de la société future par des alternatives concrètes → essaimage → masse critique → bifurcation → ). Pour ceux qui acceptent l’auto-critique : http://decroissances.ouvaton.org/category/projet/critique-de-lindividualisme/

  • C’est au nom de cette critique sociale de l’individualisme que pendant les (f)estives de la décroissance, il n’y a plus de table ronde qui juxtapose les intervenants à la tribune, et qui donc juxtapose les interventions.  Un tel individualisme maltraite les intervenants au lieu de les honorer.
  • C’est au nom de cette critique sociale de l’individualisme qu’a été lancé le « processus décroissance » qui a donné naissance à la Maison commune. Nous ne voulons plus à chaque rencontre repartir de zéro : et c’est bien ce qui se passe quand chaque individu croit que c’est à partir de lui qu’il faut repartir ; à partir de « sa » définition de la décroissance, à partir de « son » ignorance » (le pire, c’est que c’est cet individualisme qui prétend être tolérant et qui crie à l’intolérance quand, plutôt que de partager une définition commune, il veut garder « sa » définition).
Les notes et références
  1. Alors nous devrons faire de la politique avec les hommes tels qu’ils sont.[]
  2. Démocratie + Pédagogie = Démagogie ?[]
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