Pour un moratoire de la recherche technoscientifique

« On n’arrête pas le progrès », et c’est bien là le problème

Il y a dans la décroissance une part de conservatisme ; d’ailleurs les amoureux de la croissance nous reprochent de ne pas être de fervents partisans du Progrès 1 : ils ont raison.

Pourtant même quand nous assumons une telle position, il y a une objection qui souvent nous déstabilise, c’est la mise en avant des progrès scientifiques et techniques et son corrélat : pas de progrès sans recherche.

Les décroissants sont-ils aussi pour une décroissance de la recherche ?

Reconnaissons qu’il n’y aurait pas beaucoup de sens à prétendre repasser sous les plafonds des connaissances scientifiques déjà validées. Pour autant, nous pouvons sans difficulté assumer d’être des objecteurs du progrès technoscientifique. Nous voulons nous demander par là si nous ne devrions pas défendre un moratoire de la recherche scientifique et technique.

Quels seraient nos arguments ?

  • Les chercheurs ont déjà beaucoup trouvé. Cet argument évite de faire des décroissants des obscurantistes anti science puisqu’au contraire ils reconnaissent sans difficultés toutes les avancées déjà produites.
  • Il faut acter que nous avons franchi les seuils de la disruption et de l’accélération : la société n’a tout simplement plus le temps de suivre, elle est donc toujours en retard d’une découverte. Cela signifie que chaque « progrès » du savoir au lieu de réduire l’incertitude ne fait au contraire que l’accroître. Quand « normalement » la scientificité se définit par la prédictibilité, aujourd’hui c’est exactement le contraire parce que les effets à long terme du savoir technoscientifique sont devenus imprédictibles.
  • L’anthropocène – ou politiquement le capitalocène – est exactement cette époque où la puissance de nos technosciences impacte irréversiblement et artificiellement les conditions matérielles de notre vie sur Terre. Or irréversibilité et imprédictibilité sont normalement à la fois les caractéristiques du temps des hommes (par opposition à un temps des choses) et de la mort : comment dire autrement la dimension mortifère de la technoscience ? La technocratie est une thanatocratie.
  • D’autant que science et technique en se fondant dans un complexe technoscientifique ont atteint aujourd’hui un « potentiel apocalyptique» (Hans Jonas) qui menace tant la survie de l’humanité que l’existence même de notre planète.
  • Quand on a tant trouvé, n’est-il donc pas temps d’arrêter de chercher ? Qu’une part des budgets soit réaffecté à mesurer (« évaluer ») les effets des précédentes découvertes et de leurs « applications » ; l’autre part pourra financer la réparation des dégâts d’ores et déjà subis (suivant une application ironique du principe du payeur-casseur mais en réalité ce sera une ré-internalisation des externalités). Quant aux recherches qui peuvent s’effectuer sans budget, ce sera à chacun, collectivement ou individuellement, d’en prendre la liberté.
  • Quand le remède entretient le mal alors il y a des problèmes qu’il faut avoir la responsabilité de ne pas résoudre. Même les scientistes les plus favorables à la recherche ne nient pas que les « progrès » scientifiques et techniques puissent poser des « problèmes » mais leur « foi » les rassure en leur promettant que tout problème finira toujours par trouver une solution. C’est d’ailleurs cet enchaînement sans fin de problèmes et de solutions qu’ils nomment « progrès ». C’est précisément cette course perpétuelle sans but qu’il faut reposer : arrêter de chercher des solutions, c’est arrêter de créer des problèmes, c’est dès à présent, retrouver quelque responsabilité pour l’avenir.
  • Serait-il possible d’être moins radical et de trier entre les bonnes recherches et les mauvaises ? Non parce que, pour cela, il nous faudrait disposer – puisque l’utilité serait évaluée à partir des effets – de recul et c’est précisément ce qui manque aujourd’hui et qu’un moratoire devrait fournir : du temps.

La question de la levée de ce moratoire ne pourrait être posée qu’après être repassé sous les plafonds de la soutenabilité écologique. C’est-à-dire après la décroissance 2. Autrement dit : pendant l’époque de la décroissance, c’est bien une pause/standby sur la recherche que nous proposons.

Pour des « antécédents » historiques, on pourra utilement consulter :

Les notes et références
  1. http://www.lepasdecote.fr/?p=1070, si Le Progrès m’a tuer, alors ne faut-il pas le mettre aux arrêts, l’arrêter ?[]
  2. La décroissance est dans ce cas l’ensemble des mesures politiques qui pourrait permettre de repasser – démocratiquement – sous les plafonds de la soutenabilité écologique afin de retrouver des modes de vie décents (socialement) et responsables (écologiquement). Vaste programme ![]
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