Quand bien même

L’économiste Thomas Piketty 1 vient d’écrire :  » Pourtant tout indique de plus en plus clairement que la résolution du défi climatique ne pourra se faire sans un puissant mouvement de compression des inégalités sociales, à tous les niveaux. Avec l’ampleur actuelle des inégalités, la marche en avant vers la sobriété énergétique restera un vœu pieux. D’abord parce que les émissions carbone sont fortement concentrées parmi les plus riches. Au niveau mondial, les 10 % les plus riches sont responsables de près de la moitié des émissions, et les 1 % les plus riches émettent à eux seuls plus de carbone que la moitié la plus pauvre de la planète. La réduction drastique du pouvoir d’achat des plus riches aurait donc en tant que telle un impact substantiel sur la réduction des émissions au niveau mondial. »

Il a raison, ce sont les riches qui détruisent la planète (pour reprendre le très bon titre d’un livre d’Hervé Kempf).

  • Mais être décroissant, est-ce seulement constater la corrélation entre urgence climatique et inégalités sociales, est-ce seulement tenir compte des limites physiques que la nature nous impose ?
  • Non.
  • Et si la nature n’avait pas de limites ? Et si effectivement le progrès technoscientifique permettait à l’humanité de repousser sans cesse, à l’infini, toutes les limites ?
  • Ce ne serait pas une raison de mal-traiter la nature comme un stock de « ressources ».
  • Et si la croissance économique pouvait effectivement produire une telle infinité de richesses que même les plus misérables disposeraient d’un minimum décent, faudrait-il quand même lutter contre les inégalités et les écarts de revenus et de patrimoines entre les plus pauvres et les plus riches ?
  • Oui.

Toutes ses questions reviennent à se demander pourquoi faire volontairement, délibérément, le choix politique de la décroissance ?

  • Osons affirmer que « le décroissant malgré lui », « parce qu’il y a des contraintes et des limites », n’a pas assez décolonisé son imaginaire.
  • Bien sûr il y a des limites et des contraintes : mais les constater ce n’est absolument pas s’interdire de libérer son esprit.

Quand bien même la nature n’aurait pas de limites, il n’y aurait aucune raison d’y puiser sans limites.

Quand bien même la société pourrait fournir une infinité de richesses, il n’y aurait pas de raison pour laisser filer les écarts et les inégalités.

Pourquoi ?

Parce que les valeurs dont nous avons besoin pour vivre dans et avec la nature, pour et avec les autres, la responsabilité (écologique) et la décence (sociale), sont précisément les valeurs qui rendent humaine notre vie sociale et individuelle.

Cela signifie qu’il doit exister comme un goût décroissant pour les limites. Cela présuppose la fameuse décolonisation de l’imaginaire 2, c’est-à-dire un état d’esprit qui accepte l’humaine condition des limites : c’est en ce sens que, spirituellement, décroître, c’est apprendre à mourir.

De ce point de vue, la décroissance est davantage un idéalisme politique qu’un matérialisme, une philosophie politique (et non pas un parti politique).

Notes et références
  1. https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/06/08/thomas-piketty-l-illusion-de-l-ecologie-centriste_5473422_823448.html[]
  2. L’imagination est cette faculté spirituelle qui permet de « suspendre son jugement » comme disait les anciens, c’est-à-dire de mettre entre parenthèses ce qu’il y a de factice dans le factuel.[]
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Un commentaire

  1. Merci pour ces réflexions profondes et rafraîchissantes

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