Tribune parue dans l’édition internet de Politis.fr le 25 septembre 2014 et sur Médiapart le 06 octobre 2014.
Les partis de gouvernement et d’opposition, de la droite à la gauche, se sont engagés depuis des décennies dans une quête affichée de croissance, adossée à la promotion du consumérisme et à l’illusion d’un « progrès » techno-scientiste. Les conséquences de ces politiques sont pourtant implacables : les inégalités atteignent un niveau inique ; 67 milliardaires les plus riches de la planète détiennent autant de richesse que les 3 milliards et demi d’humains les plus pauvres ; le plafond de soutenabilité écologique global a été largement dépassé : le 5ème rapport du GIEC annonce une augmentation de 4,8°C d’ici 2100 si nous persistons dans cette voie, induisant des évènements climatiques extrêmes, une insécurité alimentaire, une perte de biodiversité, plus de migrations contraintes…
A moins d’afficher le plus grand cynisme présent ou le plus absurde aveuglement sur le futur, comment ne serait-il pas urgent de repenser un autre modèle de société pour revenir sous les plafonds de la richesse indécente et de l’insoutenabilité écologique ? La richesse des plus riches doit décroître, notre poids écologique global doit décroître. Ce qui revient à envisager une décroissance de l’empreinte écologique et donc du PIB, qui lui est mécaniquement associé.
Quand les plafonds sont dépassés, quand le train est allé au delà du point de rupture, la responsabilité n’est plus de se demander comment rester dans le même monde avec une croissance nulle : il faut maintenant avancer vers une société dont les indicateurs écologiques et économiques repasseront sous les seuils de l’injustice sociale, de l’absurdité économique et de l’irresponsabilité écologique.
Partout et déjà, des objecteurs de croissance se mobilisent pour mettre en œuvre et expérimenter des alternatives concrètes (AMAP, monnaies locales, systèmes d’échanges locaux SEL, agriculture urbaine, habitats partagés ou mobiles, éco-construction, etc.).
Beaucoup d’entre nous luttent contre les grands projets inutiles (aéroport de Notre Dame des Landes, usine des 1000 vaches, barrage de Sivens…) ou les projets extractivistes (gaz de schistes, de houille, biomasse…) qui tuent l’agriculture paysanne, détruisent la biodiversité, polluent l’eau, l’atmosphère, les sols et qui engloutissent l’argent public par milliards au nom de la croissance, dans un parfait déni de la démocratie réelle. A partir de ces expérimentations minoritaires et de ces luttes, les décroissants produisent leurs propres théories de la pratique : ainsi, vient de se tenir à Leipzig en Allemagne, une conférence internationale autour du slogan : «Votre récession n’est pas notre décroissance,» qui a réuni 3000 chercheurs du monde entier ; à Cerbère (France) les 9èmes rencontres de l’objection de croissance ont rassemblé plus de 200 personnes sur le thème : « La croissance, c’est terminé. Vive la décroissance ! ».
Les partis médiatiques prouvent tous les jours leur incapacité à proposer la moindre mesure qui ose accepter la réalité d’un monde fini : au mieux, ils oscillent entre « croissance verte » et « développement durable ». Au pire, ils continuent de promettre une croissance messianique qui ne ferait qu’approfondir les difficultés. C’est pourquoi politiquement il faut appeler à une recomposition électorale autour d’un pôle antiproductiviste et anticonsumériste (donc anticapitaliste et révolutionnaire) et contribuer au débat pour mener des politiques au service d’une vie bonne au sein d’une société juste et du « ménagement des territoires ».
La décroissance est un vrai défi collectif, elle doit être sereine et démocratique, portée par de belles propositions en vue d’une nouvelle organisation sociale.
Alors que le chômage ne cesse d’augmenter, la logique capitaliste conduit les salariés français (à plein temps) à travailler 1660 heures par an pour produire des objets rapidement obsolètes et achetés à crédit : les décroissants demandent de « travailler tous pour travailler moins », par une réduction drastique du temps de travail, par un droit inconditionnel au temps partiel choisi, par la garantie d’un revenu inconditionnel d’un montant décent. Une production n’est justifiée que si elle est tournée vers la réalisation de biens socialement utiles, sobres en énergie, utilisant les ressources locales et durables, autogérée dans une démocratie de proximité.
La reconversion de la société passera par une économie relocalisée, par des territoires redynamisés (services publics de qualité, transports en commun de proximité), par des reconversions drastiques (décidées unilatéralement) dans les secteurs « nuisibles » comme l’armement, l’automobile, l’agro-industrie, le nucléaire ; elle pourra être financée par l’instauration d’un revenu maximal (plancher/plafond de 1 à 5).
Ralentissons le rythme de nos consommations : en interdisant l’obsolescence programmée et coupant net le bras armé du capitalisme qu’est la publicité. Ralentissons nos déplacements : à l’heure de la transition énergétique, nouveaux aéroports et nouvelles lignes TGV sont des escroqueries.
Ne pas nuire. Donnons-nous le temps de la démocratie et du partage.
Non à leur récession imposée, oui à une décroissance sereine et démocratique.
Thierry Brulavoine, Michel Lepesant, Christine Poilly, du Mouvement des objecteurs de croissance (le MOC)