En tant qu’héritière du socialisme utopique, la décroissance poursuit la piste des « expérimentations minoritaires » sous le nom d’alternatives concrètes dont le champ couvre les besoins humains essentiels, de « haute nécessité » : alimentation, habitation, santé, éducation, culture, toutes ces interdépendances qui conditionnent une autonomie généralisée de la vie sociale…
Mais en quoi une « alternative » est-elle « concrète ». La réponse la plus simple, la plus intuitive, c’est de prendre « concret » comme le contraire de « abstrait » (exactement comme la définition la plus intuitive de la décroissance, c’est de la définir comme le « contraire de la croissance »).
En français ordinaire, « faire abstraction de » c’est séparer un élément de l’ensemble auquel il appartient, c’est isoler par la pensée une partie de son tout.
Faire abstraction, ce n’est donc pas « penser » en tant que tel, c’est juste une façon de penser parmi d’autres ; une façon de penser qui s’oppose à une autre façon de penser, celle qui pense toujours une partie par rapport aux autres parties du même tout, en quoi consiste « penser concrètement ».
Le concret n’est donc pas l’absence ou le contraire de la pensée. C’est juste une façon de penser systémiquement.
Chacun peut alors voir les implications de cette réhabilitation de la pensée concrète pour la décroissance.
Ainsi une alternative sera concrète quand, au sens le plus littéral, elle ne fera abstraction ni du monde qu’elle critique ni du monde qu’elle esquisse.
Nous voilà ainsi armés pour répliquer à ceux qui opposent la pensée et le concret, qu’ils ne font là que répandre une abstraction.
Comment alors, concrètement, résister contre une telle abstraction ? Ce dont a besoin la pensée concrète, c’est d’outils pour rassembler tous ces éléments qui participent, qui appartiennent à un tout : pour les capter ensemble.
C’est ce qui s’appelle un con-cept (ce qui capte avec). La MCD défend la valorisation de ceux qu’elles appellent des « militants-chercheurs ». Un militant-chercheur n’est pas un chercheur qui serait engagé politiquement mais c’est celui qui produit des concepts si et seulement si il pense qu’ils peuvent aider à résoudre des contradictions entre des pratiques qui, faute d’une perspective commune, en sont venues à se perdre dans le faux-concret d’un « faire sans concevoir », d’un « agir sans conceptualiser ».
C’est cet état d’esprit qui a guidé les auteurs du livre collectif à paraître le 10 juin – La décroissance et ses déclinaisons. La première partie est consacrée à la réfutation des idées reçues parce que, en réalité, ce sont toujours des abstractions. La seconde partie examine sous le nom de « déclinaisons », 16 axes de mise en pratique concrète de la décroissance.