On a parfois coutume de dire que « la réalité dépasse la fiction ». Dans le cas de l’aviation et du livre défendu aujourd’hui, on peut avancer que « les perspectives ont été stoppées par la réalité ».
Rédigé fin 2019/début 2020 et contextualisé dans son avant-propos suite à l’arrivée du coronavirus, « Le dernier avion » nous replonge dans le monde d’ « Avant ». Celui de l’aviation triomphante, des vols low-cost, du déménagement permanent du monde et de ses habitants les plus riches, des lignes intérieures et des liaisons transcontinentales, du bougisme-roi, des salles d’embarquement plutôt que des halls de gare… C’était un monde où 160 millions de tonnes de kérosène étaient brûlées en provenance de quelques 21 000 avions de ligne. Une époque où 4 milliards de voyages étaient réalisés entre 18 000 aéroports commerciaux en parcourant 8 000 milliards de kilomètres. Une industrie sur laquelle on pouvait attribuer environ 5 % des émissions de CO2. Le tout chaque année. Ceci alors que les projections des spécialistes du secteur aérien tablaient sur un… quadruplement (!) du nombre de passagers d’ici à 2050 : tout ces chiffres (et bien d’autres), dont nous gratifie Sébastien Porte à longueur de chapitres sans jamais donner la nausée (mais plutôt le vertige), sont autant de grains à moudre pour les partisans de la décroissance.
Puisque Sébastien Porte brosse l’ensemble des implications du domaine aéronautique civil : pollutions diverses (atmosphériques, sonores, visuelles, déchets), bétonnage de différentes infrastructures (plateformes aéroportuaires, autoroutes pour y accéder, zones industrielles, commerciales et résidentielles associées) avec destructions de terres à vocation agricole, exploitation de main d’œuvre et extractivisme sans limite au Sud pour fournir au Nord les matières premières nécessaires aux travailleurs salariés de la fabrique des aéronefs à leur mise en service (conditions de travail abjectes, tâches ingrates, horaires difficiles, hiérarchies à respecter, manque d’autonomie, rémunérations inégales), privation de libertés des usagers (palpations, inspections, caméras, scanners, zones interdites), perte du sens du voyage, innovations dévastatrices de l’environnement (essais de biocarburants, promesses d’avions électriques) et, en prime, les risques de crashs ainsi que les débouchés pour les terroristes en mal d’attentats, détournements, prises d’otages et poses de bombes confondues. Soit autant de champs d’investigations, de réflexions et d’interventions pour nous, décroissants.
On regrettera peut-être certains passages techniques, comme celui concernant le « LTO », ou que l’auteur ne soit pas aussi critique envers le tourisme de masse que peut l’être l’Office de l’Anti-Tourisme mais les piques, parfois acérées, ou l’humour employé par endroits permettent une lecture souple de ce livre très instructif. Et auquel nous nous devons de prêter une grande attention. On notera aussi les judicieux reproches contre les « (fausses) bonnes solutions des industriels » avancées par ceux-là-même qui voudraient rendre l’aviation verte, durable et éco-compatible. Choses qu’elle ne peut pas être, par définition.
Alors que, suite au coronavirus, la mise en suspens du secteur aérien commence à se traduire par des licenciements (maquillés en « plans sociaux » ou « plans de sauvegarde de l’emploi » par la novlangue contemporaine), la lecture de cet essai sorti chez Tana s’impose et apporte une foule d’éléments à diffuser d’une façon ou d’une autre. Si on ajoute qu’une initiative à l’encontre du « tout aérien » et questionnant la relance (soutenue par l’État) de cette activité est prévue le 3 octobre 2020, on peut en conclure que « Le dernier avion » est un livre qui tombe à pic.
Sébastien Porte, Le dernier avion. Comment le trafic aérien détruit notre environnement, Tana – 2020
254 pages – 18,90 euros