« Décroître, c’est apprendre à mourir ». Cette petite phrase entendue lors des (F)estives de la MCD à Gelles en 2018 aurait pu trouver sa place dans le livre de Jacques Luzi, Au rendez-vous des mortels. Le déni de la mort dans la culture moderne, de Descartes au transhumanisme (dont on soulignera, au passage, la finesse de la sérigraphie ornant la couverture). Paru aux Éditions La Lenteur début 2019, cet essai (extrapolation d’un article publié en 2017), vif d’esprit et hétéroclite dans son argumentaire, interroge le rapport à la mort développé depuis le XVIIème siècle dans les sociétés dites « développées ». Sociétés « développées » mais aussi « industrielles », « productivistes » et « progressistes » où le lien entre l’espèce humaine et la nature, tend davantage à la rupture et à la domination qu’à l’osmose et à la complémentarité. En guise d’illustration, Jacques Luzi écrit : « Les êtres humains vivent sur la Terre et dans leur relation à la Terre, dans la continuité du monde naturel et pourtant dans des mondes culturels : ils ne pourront donc perdurer que s’ils parviennent à établir une relation à la Terre leur permettant de l’humaniser sans la détruire ».
Mais « apprendre à mourir » n’est en aucun cas un éloge de la mort, une attirance pour le morbide ou une adoration du trépas comme on peut la trouver dans certaines sectes et comme le cultivent divers fanatiques. Il s’agit plutôt de prendre conscience de limites biologiques, naturelles et psychologiques, au fond écologiques, d’une présence sur Terre. Ceci afin de tolérer des contraintes et, in fine, d’accepter au mieux sa propre finitude, après y avoir « travaillé ». C’est ce à quoi s’emploie l’auteur en nous confrontant, à l’aide de propos parfois complexes mais jamais échevelés, à Hannah Arendt, Friedrich Nietzsche, Herbert Marcuse ou encore Theodor Adorno.
Cette thématique concerne en premier lieu les décroissants car à l’heure de l’humanité augmentée et du potentiel développement du transhumanisme, dans une société techno-scientifique devenue mondiale dont les inégalités sont galopantes et où chaque secteur de la (sur)vie vise à être marchandisé, la mort n’a pas à être un clivage de plus au sein de l’humanité, dans « une guerre que les « tout-puissants » imposent aux « sans qualité ». »
Jacques Luzi, Au rendez-vous des mortels. Le déni de la mort dans la culture moderne, de Descartes au transhumanisme.
Éditions La Lenteur – 2020
ISBN : 979-1-0954321-5-9
126 pages – 12 euros