NFP, où est la rupture ?

Merci à Hervé Roussel-Dessartre de nous autoriser à reprendre son billet publié sur son blog, et que nous publions parce qu’il exprime bien ce sentiment ambigu que la plupart d’entre nous ont vécu pendant la période électorale récente : bien sûr nous nous réjouissons du barrage opposé au RN et nous nous réjouissons du succès de la gauche. Mais « en même temps » de quelle gauche s’agit-il ? De quelle gauche de « rupture » ? D’où ce sentiment de soulagement que nous ne pouvons exprimer que par ironie.

Au moment où certains décroissants sous prétexte de pacifisme franchissent les lignes rouges de la collaboration avec l’extrême-droite, aucune honte à proclamer que notre décroissance est de gauche, de ce côté où l’on voit le débat public du point de vue des dominés et des exploités. Même si cette gauche n’a pas encore réussi à se délivrer des mirages de la croissance, elle prétend au moins continuer de poser la question sociale un peu teintée de question écologique.

La hausse du smic, la retraite à 60 ans et une forêt d’éoliennes en mer, voilà des nombreuses mesures du NFP celles dont on a pu entendre parler lors d’une (trop) courte campagne électorale. Il est sûr qu’avec des mesures comme celles-ci, l’effondrement ne peut que bien se tenir. La gauche arrive, celle qui s’affiche Nouveau Front populaire, prête à relever le défi. Certes, l’aile socialiste n’est sans doute pas la plus virulente de la troupe mais il y a les écologistes et les insoumis pour bousculer le vieux monde et tordre le bras au système qui nous emmène droit dans le mur ! Certes, la majorité parlementaire est plus que relative, mais la volonté est là !

Mais quelle volonté ?

Une étude plus approfondie du contrat de législature montre une réelle richesse de propositions. Soyons honnête. Malheureusement, et c’est là où le bât blesse, ce ne sont que des lois ou des mesures, rien de véritablement systémique. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur une tribune de soutien parue dans le Nouvel Obs du 25 juin et écrite par « environ 300 économistes, dont certains très réputés ». « Le programme du Nouveau Front populaire indique une direction de politique économique claire », veulent-ils nous rassurer. Et ils enchaînent : ce programme est l’occasion de « prendre le chemin d’une prospérité partagée et soutenable grâce au renforcement de la politique sociale et à l’investissement public et privé. »

Prospérité ? Prospérité ? Vous avez dit prospérité ? Croissance, voulez-vous dire ?

Ils nous proposent donc une croissance partagée, c’est-à-dire qui profite à tous et à toutes et non seulement à quelques-uns (les riches, aujourd’hui, les bourgeois hier), selon un positionnement traditionnel de la gauche. Mais attention, soutenable, la croissance ! Enfin… la prospérité ! Nous sommes supposés être rassurés, l’écologie et le risque d’effondrement sont pris en compte. Ce qui différencie l’imaginaire d’aujourd’hui de celui d’après guerre. On fait de la croissance (voire même du gain de productivité) que l’on partage, comme hier, mais on le fait dans l’intérêt bien compris de la nature et de notre environnement. Ce qui change tout. D’ailleurs, ils nous promettent un « développement productif respectueux des équilibres écologiques », c’est dit, c’est écrit, l’avenir sera radieux.

Trêve d’ironie, c’est à pleurer. Surtout lorsqu’ils se lâchent ! Il s’agit « de développer les compétences, de renforcer les services publics, de moderniser les infrastructures, d’accompagner les entreprises les plus fragiles pour absorber les hausses de salaires, mais aussi de restaurer le dialogue social en redonnant toute leur place aux syndicats et de retrouver une politique ambitieuse en matière d’innovation et de recherche », pour, devinez quoi, « monter en gamme dans l’économie mondiale » !

Où est le changement annoncé dans ledit contrat à coups de « rupture », « bifurcations » ou « transformations » ? Il n’y a rien d’anticapitaliste là-dedans, aucune solution écologique digne des enjeux non plus, mais une pleine soumission au modèle tel qu’il va (mal) au contraire. On continue à faire tourner la machine productive comme avant, à vouloir être les premiers, et on se contente de réclamer un meilleur partage des miettes accommodé de sustainability !

28 COP Climat plus tard et la gauche en est encore là !

Pire, non seulement elle se montre de la sorte incapable de changer sa façon de penser, ce qui en soi est déjà coupable, mais, en plus, elle le fait en laissant de côté son électorat traditionnel. Le PS, judicieusement éclairé par son club de réflexion attitré, a abandonné les classes populaires depuis belle lurette, les écologistes et les campagnes ont du mal à se comprendre, c’est quasi congénital, et voilà que l’insoumis Mélenchon ne s’adresse plus qu’au peuple des villes et des banlieues, délaissant explicitement le reste des gens. Alors que, justement, en refusant le changement d’imaginaire que nécessite le risque d’effondrement, la gauche pourrait au moins en profiter pour draguer les classes populaires de la France périphérique qui n’attendent rien d’autre que ce discours encore empreint de l’État providence des Trente glorieuses. Mais non, même pas, elle les abandonne aux sirènes racistes du RN. Elle échoue ainsi sur les deux fronts : prendre le virage anti-système que le futur de notre environnement nécessite, s’adresser au peuple dans sa totalité.

Rassurons-nous toutefois, le Rassemblement national a été battu grâce au front républicain, la macronie a été pulvérisée, le NFP est majoritaire à l’Assemblée, et il est même, depuis peu, affublé d’une potentielle première ministre. L’espoir est sauf.

Hervé Roussel-Dessartre, https://hrousseld.fr/nfp-ou-est-la-rupture/

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