Regard réaliste sur la décroissance et la question de la puissance (Seconde partie)

Résumé-synthèse de la présentation de Luc Chicoine (Québec) au colloque de l’ACFAS intitulé : La décroissance et la question du « comment ? », le 12 mai 2023.

Dans la première partie de ma présentation j’ai tenté de démontrer pourquoi la violence politique est le véritable moteur de la croissance pathologique qui s’affaire à nous détruire, et non le capitalisme qui n’est qu’un mode d’organisation parmi d’autres de cette course à la puissance. Il en découlait un constat important et incontournable :

  • Le pacifisme est une condition nécessaire de la décroissance.

Cette deuxième partie décrit une utopie décrivant un monde postcroissance assurant un pacifisme durable afin que celui-ci ne devienne pas un épiphénomène de l’histoire humaine, happé par des forces contre-révolutionnaires qui se hâteraient de réinstaurer un ordre croissantiste mortifère. Cette idée de concevoir une structure de l’utopie empêchant un retour d’un ordre politique basé sur la puissance, quelle qu’en soit la taille ou la nature, est beaucoup trop souvent absente des utopies proposées par les décroissantistes et leurs alliés.

Il est important de mentionner que cette réflexion se veut avant tout un exercice de logique appliquée, afin de résoudre un problème dont les prémisses ont été posées dans la partie précédente de ma présentation et non une proposition de nature politique ou idéologique. Le cahier des charges de cette proposition est donc le suivant :

  1. Remplir tous les besoins de tous les humains.
  2. En exploitant le moins de ressources naturelles possible.
  3. Sans exploiter la force des travailleurs par la captation de la plus-value de leur labeur par une minorité d’individus.
  4. Tout en assurant de manière durable une paix à tous les niveaux de l’organisation sociale humaine.

Nous l’avons dit dans la partie précédente, le capitalisme n’est pas la cause de la croissance infinie, elle est plutôt un moyen pour les États d’accélérer leur recherche de puissance. Mais ce n’est pas sa seule qualité ! Le capitalisme a aussi joué un rôle important dans la naissance des États moderne car il a permis de découpler l’ambition des individus les plus déterminés de l’accumulation de puissance à l’intérieur des frontières de l’État. Autrement dit, le capitalisme offre un compromis aux ambitieux qui acceptent maintenant d’être désarmés en échange de pouvoir exploiter une main d’œuvre dont la disponibilité est dorénavant garantie par l’État. En contrepartie, l’État a la mainmise sur le monopole de la violence légitime, ce qui stabilise grandement sa politique intérieure, stimule sa croissance économique et ultimement, lui permet d’augmenter grandement sa puissance en finançant des armées modernes, pilier de sa politique extérieure.

Or, depuis quelques décennies, cet arrangement n’est plus acceptable : l’accumulation de la puissance étatique et la compétition économique sont rendus au bout de leurs logiques et menacent de tous nous tuer.

Il convient donc d’envisager un nouveau découplage : une séparation forte et très claire entre la compétition économique et ce que j’appellerais « l’ambition nécrophile » (Fromm, 1964). La bonne nouvelle ici est que ce découplage semble théoriquement moins difficile à réaliser que celui du passage à l’État moderne, les puissants étant déjà désarmés. Il est important cependant de concevoir de nouvelles arènes où ces forces de la nature pourraient compétitionner entre elles sans détruire la planète, à défaut de quoi, la quête de l’accumulation de puissance tentera constamment de renaître.

Afin donc d’assurer un pacifisme durable et un gestion saine des ambitions nécrophiles, nous proposons un modèle d’organisation sociale et économique basé sur des guildes de producteurs dans lesquelles la notion même de propriété et, éventuellement, d’État seraient abolies. Cette architecture sociale offrirait plusieurs avantages :

  • Interdépendance directe et totale entre les guildes. Ainsi, aucune guilde ne pourrait prendre le dessus sur les autres.
  • Absence de notion de propriété rendant impossible l’accumulation de puissance.
  • Canalisation des forces vives des ambitions dans la structure hiérarchique des guildes où la reconnaissance viendrait en fonction de la capacité à produire les biens et services les plus durables possibles avec le moins d’impact écologique possible.
  • Possibilité pour les individus (la notion de citoyenneté serait abolie à terme) de participer ou non aux processus de production (l’appartenance à une guilde serait facultative) mais avec une responsabilité individuelle et collective de prendre soin des objets et des personnes dans une optique de durabilité et de santé.

Ce ne sont bien sûr là que les contours d’une utopie. Contrairement à plusieurs de ses sœurs, elle me semble avoir l’avantage de proposer une logique structurelle de contrôle de la violence politique, un point aveugle d’un grand nombre d’entre elles.

Afin de répondre à la proposition de Michel Lepesant effectuée dans sa communication au colloque (situer les propositions décroissantes par rapport à des « trajectoires » ), la dernière diapositive de ma présentation présente une ébauche de cartographie de mon utopie selon les quatre axes proposés.

Luc Chicoine

Regard-realiste-sur-la-decroissance_2_2.pdf

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