La semaine se divise en 2 moments :
- Les « rencontres », du lundi 15 au jeudi 18 (arrivée possible dès le dimanche 14) : la décroissance en est le thème général → cette année, il est prévu que les matinées soient en partenariat avec l’OPCD.
- Les (f)estives, du vendredi 19 au dimanche 21 (vers midi) : là, il y a un thème particulier qui, cette année, est celui de « la vie sociale ».
L’enjeu politique de « la vie sociale »
L’idée générale de la distinction entre « vie sociale » et « vie en société » est que dans le second cas, on répète la fable libérale qu’une société apparaît à partir des individus (c’est la fable d’un état de nature où les hommes vivent isolés, comme des robinsons, et où ils ne vivent ensemble qu’après avoir passé volontairement un contrat) alors que dans le premier cas, c’est l’inverse : un individu n’apparaît qu’à partir de la société, ou comme le dit le philosophe François Flahault : « la coexistence précède l’existence ».
Nous opposons donc schématiquement le socialisme à l’individualisme ; et nous envisageons la décroissance comme socialisme du XXIème siècle (centré non pas sur le développement des forces productives mais basé sur la protection et l’entretien des forces de la « reproduction sociale »).
Le « socialisme de la vie sociale », c’est la volonté politique de faire dans le « bon sens » : la société précède les individus, ainsi quand je nais il y a déjà une société, une langue, des techniques, des traditions, des habitats…
Politiquement, cela veut dire que l’objectif politique d’un tel socialisme, c’est de préserver, de conserver, d’entretenir ce qui est la base d’une vie humaine sensée ← c’est donc une rupture radicale avec le socialisme industrialiste, technologiste, prométhéen (marxiste) qui voulait faire un « homme nouveau » ; et qui, par les « alternatives », prétend aujourd’hui « faire société » (comme si même la société ne devait pas échapper au mythe de la fabrication, comme si c’était un objet alors que c’est la condition préalable à toute fabrication, à toute activité…)
En politique concrète, cela veut dire que quand une proposition programmatique est avancée, on ne se contente pas de se demander si elle est écologiquement soutenable, on se demande d’abord si elle est socialement soutenable. Voilà ce que nous écrivons dans le livre de la MCD qui vient de sortir : « une communauté amish n’introduit jamais une innovation technologique sans organiser au préalable une délibération pour évaluer ses effets sociaux. Si être amish, c’est être averti qu’un mode d’emploi, c’est un mode de vie, alors nous voulons être des amish ! ».
Donnons un exemple encore plus concret : l’introduction de la 5G :
- quand on juge du point de vue de « la vie en société » : ce qu’on se demande, c’est si cela va faciliter les communications entre individus (au nom d’un « principe de commodité ») ← et là évidemment que la réponse est oui.
- quand on juge du point de vue de « la vie sociale » : on commence par constater qu’il n’est besoin de « faciliter » des relations qu’à condition que les individus soient déjà isolés, séparés, atomisés (par leurs modes de vie) et que donc, toute solution pour « rapprocher des individus isolés » n’est qu’une solution technologique en aval du problème, qui ne va rien changer à leur isolement, mais juste leur permettre de communiquer entre individus isolés. On s’oppose de ce point de vue là à la 5G parce qu’elle n’est que la poursuite de la destruction de la vie sociale, de la vie en commun (rq : les opposants à la 5G se sont la plupart du temps mobilisés au nom de considérations sanitaires ou démocratiques mais ils ont rarement vu que la 5G est juste une arme de destruction massive de « la vie sociale », et donc le renforcement massif de « la vie en société »).
Les invité.es
Aude Vidal a animé la revue écologiste L’An 02, elle est l’auteur de reportages sur les mondes malais, d’essais critiques sur le libéralisme et l'individualisme. Son blog : https://blog.ecologie-politique.eu/
Pour ces (f)estives consacrées à la vie sociale et à la critique de l'individualisme, elle pourra s'appuyer sur :
- Égologie. Écologie, individualisme et course au bonheur (Le Monde à l’envers, 2017) → Développement personnel, habitats groupés, jardins partagés... : face au désastre capitaliste, l'écologie se présente comme une réponse globale et positive, un changement de rapport au monde appuyé par des gestes au quotidien. Comme dans la fable du colibri, « chacun fait sa part ». Mais en considérant la société comme un agrégat d'individus, et le changement social comme une somme de gestes individuels, cette vision de l'écologie ne succombe-t-elle pas à la logique libérale dominante, signant le triomphe de l'individualisme ?
- La conjuration des Ego, Féminismes et individualisme (Syllepse, 2019). Et si l’individualisme et le libéralisme, qui déterminent si fortement nos manières de considérer le monde, façonnaient aussi les mouvements politiques engagés pour la justice sociale et l’émancipation? Aude Vidal interroge les nouveaux féminismes radicaux. Le renouveau que connaît aujourd’hui le mouvement semble également le déborder sur ses marges : prostitution, inclusion des femmes trans et des personnes non-binaires, difficile articulation avec les pensées queer et décoloniales sont l’occasion d’autant de frottements/conflits. L'auto-définition/identification et la reconnaissance d'un troisième genre, non-binaire, ne nieraient-elles pas le genre comme rapports sociaux de sexe, en en faisant une caractéristique individuelle ? Le féminisme du choix, en postulant que tous les choix effectués librement par des femmes sont des choix féministes, n’est-il pas devenu le point de rencontre entre féministes libérales et nouvelles féministes radicales?
Timothée Parrique est chercheur en économie écologique à la School of Economics de l’Université de Lund en Suède.
Docteur en sciences économiques, il est spécialiste du lien entre économie et environnement. Sa thèse de doctorat (The political economy of degrowth, 2019) porte sur le lien entre croissance économique et soutenabilité sociale et écologique, et explore le concept de « décroissance ».
Timothée est aussi l’auteur de “Decoupling debunked – Evidence and arguments against green growth”, un rapport sur la croissance verte publié par le European Environmental Bureau en 2019.
Plus d’informations sur https://timotheeparrique.com et @timparrique.
Michel Lepesant, porte-parole de la MCD, anime depuis sa création en 2017 la Maison commune de la décroissance.
Après s’être investi pendant des années dans les alternatives concrètes – coopérative de producteurs-consommateurs, café citoyen, amap, monnaie locale – il se consacre maintenant en priorité au travail de réflexion idéologique et théorique, et particulièrement sur la définition de la décroissance comme philosophie politique.
Il est l’auteur de Politique(s) de la décroissance, Paris, Utopia, 2013 et avec Baptiste Mylondo, Inconditionnel, une anthologie du revenu universel, Paris, Éditions du Détour, 2018.
Son blog : https://decroissances.ouvaton.org. C’est de théorie et d'histoire, c'est-à-dire d’un corpus idéologique animé non pas par l'intransigeance mais par la cohérence conceptuelle, dont manque terriblement la politique. Dans une société dominée depuis longtemps par la résignation ou l'adaptation, avec quelques intermèdes de stupéfaction, où toutes les forces de la domination veulent la poursuite de la croissance et de son spectacle, il devrait être évident que ce que nous devons accomplir aujourd'hui est la critique radicale de tout ce qui existe, comme si tout était pour le pire dans le pire des mondes possibles.
La MCD a été créée en 2017 : son objet est de coproduire du commun idéologique clair et solide pour le mettre à disposition de toutes et tous ceux qui rêvent d’une transition vers des sociétés écologiques, soutenables, frugales, conviviales, sereines et démocratiques : comment s’organiser pour repasser sous les plafonds de l’insoutenabilité écologique ?
Pour cela, nous nous dotons des outils de la discussion collective : nos débats politiques sont l'occasion de construire un langage commun et une pensée décroissante, qui puisse être à la fois portée et défendue collectivement, et argumentée et nuancée individuellement. Ce qui fait la singularité de la MCD dans le paysage politique actuel, c'est à la fois ce travail idéologique radical et cohérent de définition de « l'ovni politique et philosophique» que représente la décroissance, et sa forme, qui fait porter les idées par un collectif (de militants-chercheurs et de militantes-chercheuses, comme nous aimons pompeusement à nous qualifier) plutôt que par une personnalité médiatique ou charismatique.