Le Grand Récit, par Johann Chapoutot

Voilà un livre d’histoires sur l’histoire des temps modernes écrite par un historien. Il est beaucoup écrit comme on raconte une histoire : pas vraiment au fil de la plume, mais presque. Ce qui en fait un livre vraiment facile à lire.

Le fil conducteur est le devenir du récit à une époque qui a remplacé les Grands récits par ce que Chapoutot appelle les « isthmes du contemporain », c’est-à-dire ces petits récits à prétention totale : l’illimitisme, l’ignorantisme, le messianisme, le déclinisme, le djihadisme.

Il y a dans ces courtes et roboratives analyses de ces « isthmes » de quoi nourrir la réflexion décroissante dans la mesure où l’on peut interpréter tous ces « ismes » comme des dénis de la décroissance. Que ce soit par un appel au toujours plus ou par la nostalgie et la déception causées par des faux espoirs, on s’aperçoit du besoin intime à tout être humain de pouvoir donner sens à sa vie.

On ne peut pas vivre humainement sans récit.

D’où le plaisir à lire les 7 premiers chapitres qui font l’histoire des grands récits récents. A commencer par le premier, celui du providentialisme chrétien. Mais aussi le marxisme, le premier après-guerre, le nazisme et le fascisme, le second après-guerre, le complotisme, le post-moderne.

D’où surtout les chapitres de fin qui sont consacrés à faire non pas tant l’apologie de l’histoire ou du métier d’historien que de proposer un plaidoyer en faveur de l’histoire comme littérature.

Là aussi dans ce plaidoyer il y a de quoi alimenter une réflexion décroissante sur les récits qu’elle peut proposer ; en particulier sur l’usage de la contrefactualité. Par exemple, repartir d’un tournant historique mais en choisissant d’imaginer l’autre route, celle qui n’a pas été empruntée. Mais « il existe aussi une forme de contrefactuel qui ne serait pas rétrospectif (on revient à une point de divergence situé dans le passé), mais prospectif, qui consiste à projeter un scénario dans l’avenir (démarche classique de la prospective, précisément, ou de la science-fiction) tout en le narrant fictivement au passé, c’est-à-dire en historien du futur qui raconterait, au passé, notre présent et notre futur » (page 341).

Ce qui se lit tout au long de ce texte, c’est une belle défense de la littérature, de l’humanisme. Cela fait du bien.

Johan Chapoutot, Le Grand Récit, Introduction à l’histoire de notre temps (PUF, 2021).

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