En quoi la pandémie est-elle une maladie de l’anthropo-capitalocène et donc en quoi son traitement nous ramène-t-il au cœur de la question décroissante ?
L’anthropo-capitalocène est certes cette époque où la puissance technologique devient une cause géologique décisive pour l’écosystème terrestre, mais il ne faut pas se « la raconter » : c’est d’abord une vraie occasion de rappeler que, quel que soit son potentiel démiurgique, la puissance de l’agir humain se fracasse comme une impuissance à maîtriser les effets dont elle est pourtant la cause.
Autrement dit, l’anthropo-capitalocène n’est pas tant la révélation d’une autonomie permise par la technologie que le rappel – humiliant – qu’aucun agir humain ne peut se détacher, s’abstraire, du milieu naturel qui en constitue la base, le socle, le fond.
« Il n’y a pas de grand mystère sur la cause de la pandémie de Covid-19, ou de toute autre pandémie moderne, déclare Peter Daszak, président de EcoHealth Alliance et de l’atelier d’Ipbes. Les changements dans la manière dont nous utilisons les terres, l’expansion et l’intensification de l’agriculture, ainsi que le commerce, la production et la consommation non durables perturbent la nature et augmentent les contacts entre la faune sauvage, le bétail, les agents pathogènes et les êtres humains. C’est un chemin qui conduit droit aux pandémies ».
Même si la pandémie de Covid-19 est une zoonose provoquée par « la croissance et son monde », ce monde ne peut s’y opposer que sur le mode du disruptif : nous courrons toujours derrière et même quand nous arriverons en gare le train de la pandémie suivante sera déjà mis en route… Puissance de la croissance pour démarrer une zoonose, et impuissance à y mettre fin.
La décroissance n’échappera pas à cette impuissance à se détacher du fond naturel : les lois de la physique et du vivant, celles de l’énergie et de sa dissipation seront toujours déterminantes.
Mais en vérité il n’y a là rien de nouveau sous le soleil : ce n’est que dans la modernité classique que la volonté humaine s’est raconté qu’elle était infinie et que sa puissance d’autonomie pouvait la « libérer » de toute hétéronomie. Cette mystification s’est évidemment accentuée et accélérée dans la modernité tardive, par la puissance des révolutions technologiques successives, mais sans pouvoir en fait abolir tout principe de… réalité.
La décroissance, si son bon sens signifie bien un respect de ce principe de réalité, ne doit pas pour autant jeter aux orties tout volontarisme politique. Mais ce volontarisme décroissant doit sans cesse se rappeler que son agir ne peut s’exercer que s’il est capable d’intégrer cette vérité : là où l’individu individualiste croit que par sa volonté il est le seul maître à bord, l’individu décroissant reconnaît et se félicite que sa volonté soit toujours bornée par une part d’hétéronomie : qu’elle vienne des autres, ou de la nature.
Et voilà pourquoi nos relations avec les autres se relient à nos relations avec la nature : c’est la même puissance/impuissance de l’autonomie en domaine d’hétéronomie.