Un court échange de mails à propos de la Lettre de la MCD du mois de décembre 2020, intitulée « Jusqu’à quel point faut-il conserver ?« .
Nous avons reçu ce mail de Romuald
Oui, toute la question est là.
Et c’est pourquoi j’avais été surpris par l’une de tes dernières lettres sur le féminisme, la société « patriarcale »… qui me semblait une concession à cette frénésie déconstructrice de l’émancipation de tout et n’importe quoi qui affecte notre époque et s’ajuste si bien avec la révolution permanente capitaliste. Mais je t’ai peut-être mal lu (et au travers de mes propres questionnements).
Non pas bien sûr que je sois contre l’égalité homme-femme, mais il me semble que les formes que prennent les revendications féministes (tout comme celle des indigénistes-racialistes soi-disant anti-racistes, celles de s LGBT…) actuelles dans les milieux bobos comme dans les milieux dits « radicaux », en plus de partir de postulats faux historiquement, sont des surenchères ultra-individualistes qui mènent autant aux niches marketing consuméristes (les quotas de représentation « raciales » dans tous les domaines) qu’à la domination techno-scientistes (pma, transhumanisme…) et la domination brutale tout court (GPA).
Sortir de l’idéologie du Progrès est une urgence. Entre autre parce qu’elle remet toujours à demain et à des facteurs hétéronomes (outils technologiques, révolution, science…) la réalisation d’un présent plus vivable.
Et qu’il me semble plus juste de dire avec un Gustav Landauer (et contre Marx et ses épigones) que le socialisme (ou l’écologie, la décroissance, l’égalité, le partage…) est possible tout le temps, en tous lieux, toutes époques ou impossible tout le temps. C’est à dire qu’il dépend de la volonté subjective des hommes à toutes ces époques et non à un quelconque état des « forces productives ».
Les Levellers anglais avaient raison de vouloir le partage au 17ème siècle au temps agricoles et il était certainement possible, tout comme les socialistes mutuellistes proudhoniens auraient bien pu réussir à l’organiser à l’ère de l’artisanat et de l’industrie naissante.
En ce qui concerne l’écologie et la décroissance, ce refus de l’idéologie progressiste nous permet de refuser de faire de la « transition technologique » l’étape obligée de la « transition » écologique comme le veulent tous les éco-technocrates industrialistes et institutionnels.
Romuald.
Et voici notre réponse, totalement approuvée par Romuald
La dénonciation décroissante du patriarcat(viriarcat) se sépare des 2 grands courants du féminisme politique :
- le féminisme libéral (ou bourgeois) qui individualise et qui porte aujourd’hui un féminisme sociétal favorable à la PMA et GPA ; et qui dans certaines branches LGBT… en vient en effet à une revendication totalement individualiste d’un choix individuel du sexe/genre
- le féminisme socialiste qui est un féminisme du « rattrapage » par le travail
Ce que nous défendons :
- loin des fables d’un matriarcat primitif, les sociétés ont toujours été peu ou prou des sociétés patriarcales
- c’est-à-dire des sociétés où certaines sphères sont exclusivement réservées aux hommes : les sphères du pouvoir, politique et/ou militaire et – par l’exclusivité des armes – les sphères de la chasse
Ce patriarcat peut être interprété comme une stratégie visant 2 buts à la fois :
- la domination d’un genre sur l’autre → des hommes sur les femmes
- la dévalorisation de la sphère sociale de base au profit de la valorisation de la sphère sociale de pointe → cette sphère de base est celle de la « reproduction sociale » (La reproduction du cycle vital au sein de la sphère privée – parturition, éducation des enfants, cuisine, ménage…).
C’est donc dans le même geste socio-politique :
- que la sphère de la reproduction sociale est dévalorisée (il s’agit pour l’élite qui veut profiter du pouvoir de dévaloriser la partie de la vie sociale qui sert de base à la société) → puisque, c’est cela « avoir du pouvoir » = pouvoir se détacher des activités de base.
- que les femmes sont assignées à la sphère dévalorisée → et donc que les femmes sont assignées à la sphère de la reproduction sociale
Bref : un féminisme décroissant est un féminisme du « rattrapage » : mais ce n’est pas aux femmes de rattraper les hommes en travaillant, mais c’est aux hommes de retrouver le sens de la « vie sociale » non dans la sphère productive mais dans la sphère de la reproduction sociale (c’est-à-dire la sphère qui permet à la société de continuer, de se conserver)
Il nous semble que nous proposons là une voie féministe tout à fait honorable (parce que ni individualiste ni travailliste), donc discutable…
Ce féminisme décroissant revendique explicitement de se situer dans la lignée de l’écoféminisme de Françoise d’Eaubonne : la dénonciation parallèle de l’exploitation de la nature et de l’exploitation des femmes ne repose sur aucun essentialisme mais sur l’exploitation d’une « ressource » abondante et gratuite. Nous recommandons particulièrement la lecture suivante : Iris Derzelle, « L’écoféminisme de Françoise d’Eaubonne. Une pensée de gauche escamotée ? », La Vie des idées , 15 décembre 2020. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/L-ecofeminisme-de-Francoise-d-Eaubonne.html .