Assez !
Nous en avons assez de ces appels et communiqués qui égrainent sans cesse les mêmes litanies plaintives et seulement défensives ! Avons-nous seulement à reprocher au capitalisme ses multiples crises : sociales, écologiques, économiques, démocratiques, morales, anthropologiques ? Non, même si le capitalisme était en train de réussir, nous nous y opposerions : ce n’est pas le capitalisme en crise que nous dénonçons, c’est le capitalisme et son monde !
Qu’avons-nous à reprocher à l’actuel gouvernement ? De ne pas tenir des engagements auxquels nous n’avons jamais cru, et même que nous avons toujours combattus ? Enfin ! Même si nous faisons quelques différences entre Hollande et Sarkozy, est-ce une raison pour nous adresser au gouvernement actuel comme s’il nous devait des comptes parce que nous aurions voté pour lui ?
Non, nous devrions nous adresser à lui comme nous aurions déjà dû nous adresser au précédent : nous ne pouvons plus supporter cette rhétorique des compromis par laquelle, depuis des décennies, les organisations syndicales comme les organisations politiques dites de gauche n’ont cessé d’échanger des concessions toujours grignotées contre des promesses jamais tenues !
Devons-nous continuer de faire croire que chaque réaction de défense aux multiples agressions subies va donner le signal du frémissement révolutionnaire, que « ça y est, ça va péter » ? Non, nous devons reconnaître au contraire à quel point nous sommes faibles, affaiblis, à quel point les dominants sont arrogants et réussissent à nous imposer leur cadre de négociation dans lequel, de toutes façons, les réponses seront biaisées. La lutte des classes existe et ce sont bien les riches qui sont en train de la gagner.
Que faire ?
Adopter une stratégie de rupture. Bien sûr rupture avec le capitalisme ; mais aussi rupture avec nos vieilles façons de lutter contre le capitalisme. Cesser de répéter les solutions de facilité et avoir l’audace politique de poser les « questions difficiles ». Agir pour une rupture radicale, celle qui va à la racine : la racine du capitalisme est le productivisme. Comme preuve par l’absurde, il existe des anticapitalistes productivistes et pronucléaires ! Comme nous voulons nous débarrasser définitivement du capitalisme, nous dirigerons nos offensives contre le productivisme. Et comme il n’y a pas de production sans consommation (car il faut bien consumer/consommer sans cesse pour que la croissance se poursuive), notre antiproductivisme sera aussi un anticonsumérisme.
Nous en avons assez de ces analyses désuètes qui restent incapables d’inscrire toute revendication sociale dans le cadre écologique de la soutenabilité. C’est pourquoi une démarche offensive doit revendiquer une stratégie de transformation sociale et de transition écologique.
Nous devons nous mettre en position de rentrer dans des rapports de forces :
Bien sûr, organiser la jonction des luttes et profiter de chaque résistance pour replacer les luttes dans une perspective résolument émancipatrice.
Bien sûr, poursuivre nos eSpérimentations minoritaires qui, sans attendre, commence à construire d’autres mondes possibles, dans tous les domaines du vivre ensemble (habiter, produire, échanger, se transporter, se cultiver…).
Mais tout cela restera insuffisant si nos luttes et nos constructions ne trouvent pas à s’inscrire dans une stratégie de rapports de forces idéologiques : nous devons replacer chaque revendication, chaque lutte dans une perspective enthousiasmante, mobilisatrice, unifiante, systémique…
Que proposer ?
Une telle stratégie de rupture devrait revendiquer :
- Bien sûr le droit au « plein-emploi » ; à condition de ne pas réduire l’emploi au salariat (que nous voulons abolir) mais de l’étendre à toute activité socialement utile. Toute activité socialement utile mérite un revenu : un revenu, c’est un dû !
- Bien sûr une réduction massive du temps de travail productif ; à condition de ne pas s’en remettre aux seuls gains de productivité mais de porter un véritable droit au temps partiel choisi. Car la question n’est plus de simplement redistribuer la richesse, de seulement répartir les gains de la croissance : c’est de cesser cette absurdité d’une vie perdue à la gagner !
- Bien sûr une extension des services publics ; à condition de ne pas en revenir aux vieilles recettes étatiques. Seules des régies décentralisées (eau, énergie, mobilité, santé) et autogérées avec les usagers, pourront aujourd’hui mener le vrai combat de la maîtrise des usages : celui de l’extension du champ de la gratuité.
Assez de blabla, revendiquons !
Forts de notre expérience historique récente, nous savons que se mettre d’abord ensemble pour ensuite prétendre discuter pour changer de paradigme ne peut pas réussir (et constitue donc une faute politique) et ne peut au mieux que produire un catalogue de propositions hétéroclites.
C’est pourquoi l’unité, la jonction des luttes, la convergence des alternatives concrètes ne pourront se faire qu’à partir de propositions à la fois radicales et pragmatiques, par exemple :
- arrêt de tous les nucléaires, au temps t le plus proche, techniquement parlant,
- réduction massive du temps de travail et droit au temps partiel choisi,
- défense réelle de services publics relocalisés en régies territoriales autogérées, pour la révolution de la gratuité,
- réforme immédiate des retraites par la mise en place d’une retraite d’un montant unique, pour tous, dès 60 ans,
- égalité réelle des femmes et des hommes,
- abolition des dettes du Sud global, à qui sont dus la dette écologique et le droit à un « tunnel de croissance », vers le buen vivir,
- assurer à toutE licenciéE la continuité de son revenu par la mise en place de fonds de reconversion abondés par les richesses socialisées,
- garantie aux plus jeunEs d’une vie décente et autonome par une allocation universelle de 18 à 25 ans,
- mise en avant des dettes sociales et des dettes écologiques pour cadrer toute discussion budgétaire,
- exemple encore plus concret, par ex. sur l’automobile : garantie pièces et main-d’œuvre sur 10-15 ans, limitation de tous les moteurs à 90 km/h (autoroutes inutiles),
- démocratie maintenant : proportionnelle, pluralisme des modes de désignation (tirage au sort, délégation, mandat impératif) et de décision (referendum, preferendum, conférence de citoyens…), mandats courts, non-cumulables, révocables (bilan d’étape à mi-mandat),
- création d’un fonds pour la reconversion économique et la transition écologique, par la relocalisation, vers des produits socialement utiles et écologiquement soutenables,
- la mise en place d’un plancher des revenus implique celle d’un plafond : pour un revenu maximum (d’un montant) acceptable (RMA), avec un écart de 1 à 6,
- assumer l’audace des décisions politiques unilatérales : pour l’Europe, les monnaies, les nucléaires, la fiscalité…
Quelles dettes ?
Aujourd’hui, les dominants du Nord Global ne cessent de mutualiser leurs pertes pour continuer à privatiser leurs gains et leurs profits. Assez de ce blabla qui fait passer tout revenu salarial pour une « charge » ! Assez de cette rigueur budgétaire qui ne cesse de réduire les dépenses pour éviter d’avoir à augmenter les recettes ! La décroissance des inégalités, c’est le pilier d’une gauche antiproductiviste.
Nous demandons des budgets équilibrés : par la hausse des recettes et l’abandon des dépenses porteuses de destruction ! Parce que nous refusons que la croissance de demain paie les déficits d’aujourd’hui. Parce que nous demandons aux enrichis de payer leur dette sociale ! Qu’ils cessent de faire croire que leur « réussite » est individuelle ! Qu’ils cessent surtout de transmettre aux générations suivantes la dette écologique de leur gaspillage ! Notre critique, c’est une critique des rapports et des modes de production et aussi une critique des produits, de leurs « ressources » et de leurs déchets : quels produits ? Pourquoi et comment les produire ? Pourquoi les consommer ?
Comment faire ?
Seule une recomposition politique autour d’un pivot de revendications antiproductivistes peut espérer rétablir un rapport de forces idéologique en faveur de la classe de tous ceux qui ont une activité sociale utile :
- Il ne suffira pas d’appeler à des convergences électorales : à ce que nous appelons au MOC « l’unitude », qui revient à « faire nombre » avant de « faire sens » ; et à tenir un discours culpabilisant sur tous les défenseurs des cohérences idéologiques en les accusant d’entretenir la division, rengaine usée de ceux qui croient encore à la prise préalable du pouvoir central pour changer le monde.
- Il ne suffira pas de se rassembler autour de ces organisations qui maintiennent l’illusion de stratégies de renversement par des majorités institutionnelles : nous défendrons une stratégie de basculement par des minorités, en convergence avec les mouvements sociaux, pour influencer des majorités. C’est cela la révolution « lente », celle qui constitue notre perspective politique.
- Aujourd’hui toutes les recompositions à gauche n’ont été que des stratégies électorales qui n’ont fait que répéter les vieux modes d’organisations et qui réussissent même le tour de force de pratiquer au sein de la gauche de la gauche la rhétorique des compromis et des concessions !
Au sein d’un tel projet de recomposition politique qui est un programme de convergence des radicalités, anticapitalistes, écologistes, antiproductivistes et antinucléaires, nous apparaîtrons comme un aiguillon de radicalité, pour imposer les débats et les propositions ici et maintenant : au nom d’un droit souverain aux expérimentations sociales et écologiques, en visant un effet de masse critique (la puissance des minorités plutôt que le pouvoir des majorités, les contre-pouvoirs plutôt que la prise préalable des pouvoirs), en allant aux élections non seulement pour des « effets de propagande » mais aussi pour construire des « rapports de force » ; en offrant aux luttes les débouchés de la cohérence et des ruptures nécessaires.