Et si les décroissants avaient eu à « reconstruire » Notre-Dame de Paris ?

Avouons le, nous serions bien tenté.es de répondre à cette question (en objet du mail) en affirmant qu’en « post-croissance » (après le trajet de décroissance), le principe de précaution, concept phare de l’écologie politique, aurait été si bien appliqué par les écologistes au pouvoir, que nous n’aurions pas eu à faire face à un incendie d’une telle ampleur. Pirouette facile, qui permet tout de même de rappeler que ce principe, loin d’être applicable seulement en cas d’incertitude scientifique sur les effets d’une innovation, peut être un guide politique pour l’action en incluant constamment dans l’évaluation des risques la possibilité du « scénario du pire ». Préconisation ô combien méprisée par le libéralisme, au nom d’une foi aveugle dans le progrès ou par volonté de réduire les coûts – « quoi qu’il en coûte ». 

Mais après le désastre, quelles auraient pu être nos options ? La question nous intéresse d’autant plus que Notre-Dame de Paris est un héritage que nous n’avons pas su préserver, à l’instar de la nature et de la société, aujourd’hui menacées d’effondrements par notre quête perpétuelle de croissance. Quels guides, quelles matrices auraient pu influencer les choix politiques des décroissant.es en la matière ? Eh bien, puisque la décroissance est l’opposition politique à la croissance : l’opposé des choix faits par les croissancistes au pouvoir, guidés par les trois petites notes caractérisant la modernité : le plus, le vite et le nouveau (lire à ce propos Harmut Rosa). Car il faut voir dans le choix de reconstruire « à l’identique et en 5 ans », une colonisation de la restauration patrimoniale par des impératifs du monde de la croissance, en particulier celui de réintégrer au plus vite la cathédrale au marché du tourisme (il est à noter que la dimension spirituelle du lieu est quand même la grande absente des débats). 

Quelles sont les implications de « l’emprise du vite » dans un domaine qui jusqu’alors ne connaissait pas la « culture du délai » (des mots même de l’architecte en chef du chantier) ? Elles sont nombreuses, mais peuvent se résumer en deux axes : le choix de solutions techniques liées à l’industrie de pointe plutôt qu’aux pratiques artisanales et ancestrales de la taille de pierre, ainsi que la diminution drastique des délibérations entre confrères avant de faire ces choix, s’appuyant habituellement sur de nombreuses études contradictoires demandant un temps long. 

Quelles sont les implications d’avoir voulu recréer Notre-Dame à l’identique ? Il ne faut pas se tromper en y voyant un goût (contraint, on se souvient des envies présidentielles de modernisation de la flèche) pour l’ancien, mais bien la possibilité de façonner une « start-up cathédrale » : alors que chaque siècle aura laissé son empreinte sur l’édifice, le nôtre les aura effacées afin de gommer les différences entre ce qui est d’origine et ce qui a été reconstruit : décapage, sablage, non préservation des enduits anciens, des bioprotections, des patines originelle, des marques et des vieillissements : un jeunisme architectural pour mieux faire illusion, à l’instar du projet politique libéral-macroniste qui promet inlassablement et à chaque crise politique de repartir à zéro et de faire table rase du passé, en jurant que, « cette fois, c’est la bonne ! »

Une piste qui aurait pu changer ce paradigme d’intervention publique en nous apprenant à hériter du désastre est l’approche par les « communs négatifs » (Monin, Landivar, Bonnet). Ce terme désigne le fait que certains produits indésirables des sociétés et modes de vie modernes demandent une prise en charge collective : déchets nucléaires, infrastructures liées au numérique, friches industrielles, bâtiments insalubres, pesticides, etc…  On ne peut pas se contenter de considérer ces phénomènes comme négatifs, mais il faut trouver des nouvelles manières de les prendre en charge par des mobilisations et des institutions dédiées,  qui nous inviteraient à penser et à prendre nos responsabilités face à l’irréversible. Il s’agit de politiser des modes de relations différents à ces réalités lorsque celles-ci s’imposent à nous, sans chercher à s’en débarrasser ou à les dissimuler, comme ce fut le cas pour Notre-Dame de Paris. Vaste chantier, donc (et l’expression est bien choisie) aussi bien politique qu’architectural, qui demande de « faire face » à la destruction, sans pour autant foncer tête baissée vers la reconstruction, pour y préférer peut-être la restauration, ou même la patrimonialisation des dégâts

Partagez sur :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.