Une semaine après les (f)estives organisées dans les Vosges, nous étions plusieurs de la MCD à nous retrouver dans les Deux-Sèvres pour la seconde édition de « Décroissance, le Festival ». Rencontres décroissantes très enrichissantes parce qu’elles permettent d’échanger des analyses et des réflexions, et aussi parce qu’elles nous sortent de nos bulles. C’est donc avec grande satisfaction que dans ces deux rencontres, nous avons pu constater que la décroissance peut espérer emprunter la voie de la maturité politique :
- On est en train d’en finir avec les vieux slogans, qui ont le défaut d’être, non pas vieux, mais des slogans, du type « une croissance infinie… », « moins de biens, plus… ».
- C’est ainsi que nous avons pu aisément répéter l’idée qu’il fallait abandonner la désastreuse expression de « mot-obus » et tout au contraire voir dans la décroissance un « mot-échafaudage » : pour dire de la décroissance ce qu’André Gorz disait du « socialisme qui ne disparaîtra qu’avec l’objet de sa critique ».
- La MCD a pu avancer dans sa critique politique de la croissance, non pas seulement comme boussole ou comme monde, mais comme régime de croissance.
Pour autant, que la grenouille de la décroissance ne se prenne pas pour le bœuf de la prochaine hégémonie culturelle. Car ces rencontres ont aussi été l’occasion de trouver la bonne expression sur ce qui constitue un danger interne à notre propre mouvance : « l’individualisme décomplexé ». Au point peut-être de saper l’échafaudage.
Quel étonnement en effet, aussi bien dans les conversations informelles que dans les interventions publiques, que t’entendre des décroissant.e.s revendiquer sans aucune réticence d’être des « individualistes », et à peu près toujours dans la même occasion : au moment où la défense du Commun implique de repenser des limites à la pratique de la liberté individuelle :
- Mais comment espérer renverser le régime de croissance si on ne commence pas par s’émanciper de son dogme libéral qui est la réduction de la liberté à la liberté individuelle ?
- Mais comment ne pas voir que la promotion libérale de l’individualisme a pour contrepartie la promesse de la croissance infinie, au nom d’un « grand partage » entre les fins et les moyens : ce serait au Marché de fournir le maximum de ressources, et aux individus de privatiser la question des fins.
- Car tel est l’imaginaire de l’individualisme : prétendre que c’est à chacun.e de « vouloir trouver individuellement du sens à la vie… Trouver seul le sens de sa vie est une chimère qui a des conséquences écologiquement néfastes et socialement injustes », écrivent Giorgos Kallis, Federico Demaria et Giacomo D’Alisa dans l’Épilogue à Décroissance, Vocabulaire pour une nouvelle ère (2015), Le passager clandestin, p.461.
- Contre l’illimitisme commun à l’individualisme et au libéralisme, la décroissance doit prôner une politique de l’autolimitation : car avant de se plaindre que les ressources sont finies, il faut dénoncer nos désirs qui sont illimités.
- Voilà donc ce qui peut donner du sens à une politique décroissante : la volonté de partager un… sens commun.
Que les individualistes décomplexés, plutôt que de venir créer le trouble dans nos rencontres en défendant une « décroissance sélective », aillent recoloniser les mouvements pro-croissance , qu’ils aillent y expliquer que la décroissance c’est positif et que dans la croissance il faudrait une « dose » de décroissance, bref qu’ils aillent diffuser ailleurs le brouillard du régime de croissance.