Remettre le travail à sa place

On pourrait croire que le thème des (f)estives cette année – le travail – était un thème de transition. Après six éditions (2017-2023) consacrées à « une critique radicale de l’individualisme », et avant la prochaine thématique générale (2025-2027) « radicalisons la décroissance » (la propriété, le féminisme et la voie méditerranéenne), il est pourtant facile de relier le thème du travail à toutes ces recherches passées et futures que la MCD mène avec l’intention affichée de constituer un corpus théorique pour le mettre à disposition de la mouvance décroissance.

  • L’idée générale d’une critique de l’individualisme était de s’apercevoir que l’invention de l’individu moderne est le résultat d’un dispositif institutionnel généralisé qui, en opposition frontale avec le modèle « holiste » caractéristique de l’Ancien Régime, se base sur la division ; car l’individu est d’abord le résultat d’une opération de division ; l’individu c’est l’indivisible. Historiquement, on pense à l’interdiction par la révolution française des corporations pour réduire le débat public au seul face à face entre État-Nation et individus-citoyens. Socio-économiquement, une économie devient moderne quand à l’archaïque division genrée, à la traditionnelle division sociale, s’ajoute la division technique du travail.
  • On peut aussi montrer en quoi une réflexion sur le travail est un bon tremplin pour lancer le thème général des trois prochaines années, « radicalisons la décroissance ».
    • Réflexion sur la propriété, et plus explicitement critique radicale de la propriété privée. Le lien avec le travail est évident : puisque le régime libéral de croissance consiste à faire du travail le fondement légitime de la propriété privée.
    • Réflexion sur le féminisme : quand Carol Gilligan fonde l’éthique du care (parce que ce sont les femmes qui s’occupent des êtres humains avec sollicitude), elle ouvre la voie à l’extension par Joan Tronto du care à la sphère politique. La vie sociale ne devrait-elle pas s’organiser autour du souci des autres plutôt qu’autour du travail ? La plateforme sur laquelle repose toute société n’est-elle pas la sphère de la reproduction sociale plutôt que la sphère de la production économique ?
    • Pour orienter la décroissance sur la voie méditerranéenne (éloge de l’autolimitation, primauté de la vie sociale, économie politique de la dépense), il faut préalablement avoir compris que la croissance économique n’est que le symptôme d’une maladie plus grave qui est le « régime de croissance » dont l’hégémonie culturelle s’exerce ni par la domination économique ni par la supériorité de ces valeurs mais par la « forme » horizontaliste imposé à tout rapport socioculturel. Et l’un des effets de cette hégémonie est précisément le mépris si souvent affiché contre les discussions politiques (« assez de blabla ») au profit de l’efficacité du « faire », du « fabriquer », de l’atelier, du chantier, qui ne sont que des modalités du travail.

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Avant d’écouter Guillaume Borel nous retracer une histoire idéologique du travail, Baptiste Mylondo nous présenter ses deux derniers livres sur Ce que les salaires disent de nous et sur Travailler sans patron et Matthieu Fleurance pour une conférence gesticulée, la valeur-travail, lol, nous avons posé quelques cadres définitionnels et référentiels et explicité trois références idéologiques (John Locke, Friedrich Hegel et Karl Marx, Hannah Arendt) qui structurent au moins implicitement tout débat politique sur le travail.

Tout ce « travail » préalable reposait sur une thèse simple : il faut remettre le travail à sa place : refuser d’en faire une catégorie générale (un « genre ») pour penser toute activité humaine et renverser le discours « travailliste » dominant (à gauche comme à droite, dans le capitalisme comme dans l’anticapitalisme) en faisant du travail une « espèce » d’activité. C’est le travail qui est une espèce d’activité, ce n’est pas l’activité qui est une espèce de travail.

Dans les courants de la critique de la valeur (Wertkritik) et de la critique de la valeur-dissociation (Wert-abspaltungskritik), on trouve la critique la plus robuste dirigée « Contre le travail ». Et pourtant, il y a dans ces courants un je-ne-sais-quoi qui empêche de reprendre sans discussion toutes leurs analyses.

D’un côté, on trouve dans ces textes une solide critique de la fable bourgeoise, celle qui raconte que le travail serait une catégorique anhistorique ; à raison, ces critiques du travail affirment que le « travail » est une catégorie historiquement déterminée, par le capitalisme qui a besoin de fétichiser la marchandise en décrivant la finalité de l’économie comme une production de valeur d’échange (et pas de valeur d’usage), par le travail abstrait (et pas par le travail concret). Toutes ces analyses semblent donc placer l’activité comme genre et le travail comme espèce d’activité, historiquement déterminée.

Mais d’autre côté, comment comprendre qu’à propos de la proposition de « revenu universel garanti », Anselm Jappe lui-même (dans la préface à Ne travaillez jamais, d’Alastair Hemmens (2019, Crise & Critique, p.14), après avoir déjà caricaturé cette proposition en en faisant une proposition technophile et étatiste, en arrive à lui reprocher de payer « les gens à ne rien faire ». Badaboum, car cette critique n’a de sens qu’en faisant du « travail » la catégorie générale de l’activité. Effectivement, il y a des gens qui ne « travaillent » pas mais de là à leur dire qu’ils ne font rien, c’est tout simplement tenir pour nulles et négligeable toutes les autres activités qu’ils pratiquent quotidiennement ; c’est retomber dans la question travailliste par excellence – « et toi qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » – en attendant pour réponse une « profession » ! Leurs critiques du travail ne s’en sortent donc pas parce qu’elles commettent un double sophisme ; a) ne pas voir que la fable bourgeoise consiste effectivement à faire confondre le travail « comme acte de transformer les matériaux bruts présents dans la nature en vue de la survie » avec le travail comme « production capitaliste de la valeur » : mais c’est le tour de passe-passe qu’il faut critiquer, pas la définition du travail comme « transformation » ; b) ne pas défendre jusqu’au bout que c’est l’activité qui est le genre et pas le travail, qu’il soit défini comme activité laborans ou comme production de valeur d’échange.

1. Pas de discussion possible sans un cadre définitionnel

1.1 A quel « genre » appartient le travail ?

Nous avons procédé en trois étapes. Nous avons commencé par une discussion ouverte pour choisir dans une liste le terme qui nous semblait le plus général.

Rappel de méthode : quand un terme est général, c’est qu’il est un « genre », c’est-à-dire le terme le plus apte à englober des « espèces ». Quand on hésite entre deux termes, le procédé est très simple : on se demande lequel des deux est inclut dans l’autre.

Exemple : personne n’irait défendre qu’un meuble est une espèce de chaise ; parce qu’une chaise est une espèce de meuble. Et qu’il y a d’autres espèces de meubles, chacun avec sa spécificité : si une chaise est un meuble pour s’asseoir, un lit est un meuble pour dormir, une armoire est un meuble pour ranger. Qu’on puisse dormir sur une chaise ou dans une armoire ne fait pas qu’en réalité une chaise ou une armoire est devenu un lit.

Dans la liste suivante – accouchement, activité, affaire, besogne, boulot, bricolage, business, corvée, emploi, entreprise, exercice, fonction, gagne-pain, industrie, job, labeur, métier, occupation, œuvre, opération, ouvrage, production, profession, tâche, turbin – c’est le terme « activité » qui a été choisi après un court échange comme terme le plus général.

1.2 Si le travail est une activité, quelle est sa spécificité ?

Pour répondre, nous sommes partis des deux grandes réponses fournies par des « jeunes » au moment de choisir une voie d’orientation : soit la vocation, soit le revenu. Nous nous sommes alors mis à la recherche des quatre cas possibles, en partant du plus évident :

  • Activité gratuite et subie : l’esclavage.
  • Activité gratuite mais choisie : le bénévolat.

Restait à trouver les deux espèces d’activités rémunérées (≠ gratuites) :

  • Activité rémunérée et choisie : le métier (c’est pourquoi on dit qu’il n’y a pas de sots métiers).
  • Restait le dernier cas, l’activité rémunérée et contrainte (par un lien de subordination) → c’est le travail.

Mais où est l’emploi ? Il est facile de constater qu’à Pôle Emploi, on ne proposait ni des activités de bénévolat ni de l’esclavage, mais dans le meilleur des cas, un emploi qui correspondait à votre métier, sinon un travail. Ce que le métier et le travail ont en commun, c’est d’être une activité rémunérée ← voilà donc la définition de l’emploi.

Aujourd’hui « Pôle Emploi » est devenu « France Travail » : à chacun.e d’en déduire le sens de cette reformulation.

1.3 Où sont les activités assignées aux femmes ?

Ce tableau 2 lignes (gratuit/rémunéré), 2 colonnes (choisie, subie) des activités semble systématique mais comment ne pas s’apercevoir que la plus grande partie des activités humaines n’y est pas.

Autrement dit, ce tableau invisibilise la part principale des activités ; pourquoi cette invisibilité ? Parce que ce que l’on appelle les activités de la reproduction sociale – c’est-à-dire les activités qui ont pour fonction sociale de permettre à la vie sociale de se continuer – sont la véritable « plateforme » (Christine Delphy, Françoise d’Eaubonne) sur laquelle s’appuient les activités viriarcales, celles de la production économique (marchande ou non).

Voilà d’ores et déjà l’un des enjeux majeurs pour justifier la remise à sa place du travail : quand on accepte de dire que les activités assignées aux femmes dans la société moderne sont du « travail », on ne peut s’en sortir face à l’objection que cette activité n’est pas rémunérée (sans être stricto sensu ni du bénévolat, ni de l’esclavage), qu’en faisant du « travail » non pas une espèce d’activité, mais un genre.

C’est donc cette usurpation « travailliste » qu’il faut dénoncer si on veut reconnaître aux activités de la reproduction sociale d’être la véritable « infrastructure » sur laquelle s’appuient la structure économique et la superstructure politique.

Pour la décroissance, s’attaquer à la centralité de la valeur-travail, c’est contribuer à se décoloniser de l’imaginaire économiciste.

2. Pas de discussion possible sans un cadre référentiel

Quiconqu.e a déjà participé à une discussion critique sur le travail a rencontré, plus ou moins explicitement, trois types de références :

  • La référence libérale : le travail permettrait de légitimer le mérite personnel, c’est-à-dire de justifier qu’à la suite d’un travail, celui qui l’a effectué en tire un bénéfice privé. Le travail dans ce cas est défendu non pas en lui-même mais pour ses effets.
  • La référence travailliste : il y aurait une satisfaction intrinsèque au travail, satisfaction à la fois personnelle et sociale. Le travail dans ce cas est défendu pour lui-même, comme essentiel à l’existence de l’homme. Contre l’objection du travail comme exploitation de l’homme par l’homme, cette référence prétend s’en sortir en voyant dans le travail une « dialectique » de l’émancipation et de l’aliénation.
  • Et aussi souvent mise en avant la distinction qu’il faudrait faire entre le travailleur et l’artisan, entre le travail et l’œuvre.

Académiquement, on peut relier ces trois références à : John Locke, Karl Marx via Friedrich Hegel et Hannah Arendt.

2.1 La référence libérale : John Locke

John Locke, Second Traité du Gouvernement civil (1690), II, §27.

  • Travail ← comme genre.
  • Définition : le travail est « ajout de valeur ».
  • Thèse : le travail fonde la légitimité de l’appropriation privée. En travaillant un champ, le travailleur le sort de la propriété commune.
  • Méthode : Locke procède par extension du champ de la propriété. Une personne est d’abord propriétaire de son intelligence (mind) et de son corps, puis des fruits du travail qu’il doit effectuer pour permettre à son corps de continuer à vivre, puis de « ce sur quoi » son travail s’est exercé.
  • Intérêt pour la décroissance = la « clause lockéenne » selon laquelle l’appropriation privée est juste « du moins là où ce qui est laissé en commun pour les autres est en quantité suffisante et d’aussi bonne qualité ».
  • Le problème « technique » de John Locke : comment légitimer chaque extension du droit naturel de propriété (en attendant la légitimation civile par l’État) ?
  • Difficulté théorique pour la décroissance : si nous voulons abolir la propriété privée, alors il nous faut prendre à rebours la procédure lockéenne d’extension ; d’accord, mais jusqu’où ? Jusqu’à priver chaque humain.e d’être propriétaire de soi, de sa personne, de sa conscience, de son corps. [Là où la solution lockéenne consiste à s’appuyer sur une continuité – qui est celle de la conscience et donc de la liberté de conscience, la décroissance va devoir indiquer une rupture.]

2.2 La référence travailliste : Karl Marx via Friedrich Hegel

Friedrich Hegel, Phénoménologie de l’Esprit (1804).

Karl Marx, Manuscrits de 1844, « le travail aliéné ».

Karl Marx, Le capital (1867).

  • Travail ← comme genre.
  • Définition : le travail est triple transformation : de son rapport à soi, de son rapport aux autres, de son rapport à la nature.
  • Thèse : la satisfaction du travail procède médiatement de la production d’un objet, parce qu’en transformant la matière (en la spiritualisant), le travailleur donne à la matière (naturelle) une « forme » (artificielle) qui vient de son esprit. En contemplant l’objet, il prend donc conscience médiatement de soi puisque ce qu’il (ad)mire dans l’objet travaillé, c’est l’expression (extériorisation) de son esprit (intérieur), et c’est cela qui lui procure une satisfaction : et comme l’objet travaillé ne disparaît pas, la satisfaction non plus.
  • Le travail est « dialectique ». D’abord parce que le moment du Travail est la synthèse du Désir (thèse) et de la Lutte (antithèse) : c’est pourquoi, le travail est « désir réfréné ». Ensuite parce que le travail qui était la condition de la domination (du maître sur l’esclave) devient celle de son renversement. Enfin parce qu’en apparence, le travail est domination (du maître sur l’esclave parce que l’esclave est dominé par la peur naturelle de mourir), mais en réalité, le travail est émancipation (en devenant le maître de la nature qu’il transforme, l’esclave transforme sa peur, et devient le maître du maître).
  • Discussion pour la décroissance : permettre certes de reconnaître toute activité comme source de satisfaction. Mais ce n’est pas en tant que travail qu’il y a satisfaction, seulement en tant qu’activité. Que l’activité soit bénévolat, métier, travail ou même esclavage, il ne faut pas nier qu’il y a toujours la possibilité de tirer de l’objet fabriqué ou de l’ouvrage achevé une source de satisfaction  mais c’est là juste une vérité générale propre à n’importe quelle activité. Mais ce n’est pas le travail qui est spécifiquement émancipatoire, c’est l’activité qui l’est en général. C’est pourquoi, là où les « travaillistes » disent qu’il faut libérer le travail, les anti-travaillistes comme les décroissants disent qu’il faut se libérer du travail, c’est-à-dire se libérer de cette forme spécifique de l’activité qui est subie, pénible et que la rémunération ne suffit pas à racheter. Le contraire des conditions de travail précaires et dérégulées, ce n’est pas des conditions de travail régulées, mais pas de travail du tout.

2.3 Les trois types de vita activa selon Hannah Arendt

Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne (1958).

  • Travail ← l’une des trois espèces de vita activa avec l’œuvre et l’action.
  • Définition : l’ensemble des activités que l’humain, en tant qu’animal laborans, accomplit pour se maintenir en vie et qui consiste à produire des objets de consommation qui n’existe que le temps de les produire.
  • Thèse 1 : Hannah Arendt met en place un tableau complet de la vita activa pour la décrire comme une hiérarchie qui part du travail pour atteindre les « activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner [la] liberté », l’œuvre, mais encore plus l’action. On pourrait dire qu’Hannah Arendt propose là de remettre le travail à sa place, la plus basse, dans ce qui serait une condition « antique » de l’homme. Cette condition est fortement inspirée d’un modèle idéalisé de la Cité antique.
  • Intérêt 1 pour la décroissance. D’abord, rappeler la distinction entre le travail et l’œuvre, entre une activité qui produit des objets de passage et une activité qui produit des « choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et œuvres d’art ; tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre d’art ».
  • Thèse 2 : Hannah dresse ensuite le tableau de la condition de l’homme moderne qu’elle présente comme pris dans une tragique contradiction. Car d’un côté, le progrès technique et l’industrialisation semblent promettre à l’humanité la libération « de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l’asservissement à la nécessité ». Mais d’un autre côté, elle constate l’effondrement des activités politiques de l’action dans le registre technique, qui lui-même s’effondre dans la sphère du travail. Sa conclusion, très souvent citée est implacable : « Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire ».
  • Intérêt 2 pour la décroissance : en remettant le travail à sa place à l’aide d’une vision verticale ascendante (car c’est l’œuvre qui « sauve » le travail de sa condition futile, et c’est l’action qui « sauve » l’œuvre de sa dimension utilitariste), Hannah Arendt fournit un cadre conceptuel pour une double critique de la société moderne qui peut aussi bien être décrite comme une dépolitisation générale des activités que comme l’avènement d’un modèle horizontal dans lequel, sous la catégorie usurpatrice du seul « travail », toutes les activités se vaudraient. Autrement dit, ce qui est fécond chez elle n’est pas tant une catégorisation pour distinguer des types d’activités que l’audace d’affirmer que tous les types d’activités ne sont pas humainement équivalents. La tragédie de la condition de l’homme moderne, c’est cette mise en équivalence généralisée, au nom de l’égalité, de toute activité humaine : « Dans cette société qui est égalitaire, car c’est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d’aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l’homme ». Autre façon de formuler ce que Günther Anders, à qui elle fut mariée de 1929 à 1937, nommait Obsolescence de l’homme (1956).

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Ce qu’il faut retenir

Rhétoriquement : a) ne pas se laisser avoir en laissant le « travail » prendre toute la place. Le meilleur exemple de cette colonisation de l’activité par le « travail », c’est la fameuse question « et toi qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » dont la réponse attendue est une profession. b) Savoir distinguer les divers emplois du terme « travail » : le travail est d’abord une activité pénible, que l’on préférerait éviter ou déléguer à un.e autr.e 1 ; mais c’est aussi ce que les temps modernes ont politiquement mis en valeur en prétendant que le « travail » avait un triple sens : utilité sociale, cohérence éthique et capacité d’agir.

Politiquement : reprocher aux travaillistes, de gauche comme de droite, de ne pas voir que le « travail » n’est que le doublon du « capital » : jamais l’un sans l’autre. Et donc l’abolition de l’un doit signifier l’abandon de l’autre : sortir du capitalisme, c’est sortir du travaillisme, et réciproquement. Savoir repérer et dénoncer le double jeu du travaillisme qui tente toujours de faire passer une pratique historiquement déterminée pour un invariant anthropologique 2.

  • Ce double jeu s’appuie (presque) toujours sur une reprise de la définition hégéliano-marxiste : Le travail serait « l’activité organisée par laquelle les humains transforment le monde naturel et social et se transforment eux-mêmes ». Et ben non, cela ce n’est pas le « travail », c’est l’activité humaine.
  • Pour autant gardons de la réflexion hégélienne l’explication de la joie que peut procurer toute activité : dans le résultat de toute activité, il y a la satisfaction de prendre médiatement conscience de soi, de son agency. Et comme il faut que cette satisfaction soit quelque peu durable, on peut penser que cette satisfaction vient plutôt de la part d’œuvre que de la part de travail dans l’activité.
  • Pour un exemple parfait de l’enfermement dans une vision travailliste du travail même dans une visée émancipatoire, il y a le CR fait par Dominique Méda des analyses de Th. Coutrot et Coralie Perez : Dominique Méda, « Thomas Coutrot, Coralie Perez, Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire », Travail et Emploi [En ligne], 168 | 2022, URL : http://journals.openedition.org/travailemploi/12484.

Finalement, si l’on veut remettre le travail à sa place, il faut encore :

  1. Valider la « définition de Lucie » : le travail est une activité que l’on voudrait pouvoir interrompre pour obtenir immédiatement le résultat.
  2. Se demander jusqu’à quel point la place accordée au travail pourrait être réduite au sein de l’ensemble des activités. Au point de reconnaître qu’il y aura toujours une part irréductible de travail au sens d’activité pénible, même dans les sociétés les plus émancipées : car telle est la condition de l’homme, même moderne. Et voir dans cette part incontournable l’occasion politique de poser au modèle social désiré la question-test : celle du partage des « tâches pénibles ».
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Notes et références
  1. Ce qui revient à assumer ce que Thomas Coutrot et Coralie Perez nomment une « vision doloriste »[]
  2. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’invariant, mais ce n’est pas le travail, c’est l’activité.[]
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