C’est la révopension ! ← prix « sensibilité »

Une nouvelle de Florine Deveseleer

La nouvelle

Suite aux manifestations massives, le gouvernement se voit contraint de reculer sur sa réforme des retraites et le Président dissout l’Assemblée. L’Union Sociale Ecologique obtient alors une large majorité de sièges.

17 octobre 2023, Palais Bourbon. Première séance plénière sur la nouvelle réforme des retraites.

– « La parole est à Madame Camille Lebon, présidente du groupe des décroissant.es. »

– « Mesdames, Messieurs, chèr.es collègues. Dans cet hémicycle nous partageons majoritairement des valeurs de gauche. Il y a pourtant un impensé dans nos rangs. Si je vous pose la question « Est-il juste de maintenir lors de la retraite, les inégalités de revenus perpétrées dans le monde du travail ? » Que répondez-vous ? »

Des « non » fusent.

– « Alors pourquoi, pourquoi, chèr.es collègues, lorsque Johanna, femme de ménage, ne travaille plus, continue-t-elle de percevoir moins que Bernard, le « patron » qui ne travaille plus non plus ? Au nom de quelles valeurs, consentons-nous à perpétuer ces inégalités en faveur des plus nantis : au nom de leurs sacrosaints diplômes ? de leurs responsabilités passées ? Pourquoi ces distinctions devraient-elles encore prévaloir lors de la retraite, période de non-travail ? »

Un certain brouhaha suit la prise de parole de C. Lebon, connue pour ne pas y aller par quatre chemins…

– « Vous l’aurez compris, il s’agit, chèr.es collègues, de défendre notre proposition phare : la retraite inconditionnelle d’un montant unique pour toutes et tous. Oui, à 60 ans, une même pension quel que soit le nombre d’annuités ! »

Une ovation lui répond. La proposition est votée et adoptée, avec une rapidité qui frôle l’incroyable. Et pourtant, une pension égalitaire et inconditionnelle semble juste du bon sens. Lorsqu’on est pour la dignité de tout être humain.

Dès le lendemain, les journaux titrent : « La pension universelle est là », « C’est la révopension ! », « Une même pension pour tous.tes ».

– Pfff’, tous les glandeurs vont en profiter, songe Bernard en lisant son quotidien dans sa véranda ensoleillée.

Bernard a été chef d’entreprise toute sa vie. Des glandeurs, il en a vu défiler. Et des glandeuses. Des qui se mettent en certificat médical pour un oui ou pour un non. Qui veulent récupérer toutes leurs « minutes supplémentaires ». Qui papotent à la machine à café. Qui passent des coups de fil persos au bureau. Qui inventent des prétextes pour commencer leur congé de maternité à l’avance ou pour le prolonger.

Bernard, lui, s’est toujours démené pour faire tenir son entreprise de production de papier, au travers des décennies et des évolutions du marché. Sans compter ses heures, sa sueur et son labeur. Concentré sur la rentabilité. Investissant là où le marché l’y invitait, faisant preuve de créativité pour s’adapter et de rigueur dans l’organisation du travail.

Alors une retraite inconditionnelle et un montant identique pour tous, cela lui semble la pire des idées.

A quelques pâtés de maisons de là, Johanna exulte. Enfin une once d’égalité dans cette société. De justice. De dignité pour tous.tes. Elle n’espérait même plus voir cela de son vivant, elle ne continuait à lutter que pour ses enfants et petits-enfants. Pour qu’ils aient une vie meilleure que la sienne. D’après ses calculs, cette « révopension » va doubler le montant auquel elle aurait eu droit sinon. Et elle pourra arrêter de travailler quatre ans plus tôt que prévu. Elle se prend à rêvasser à tout ce qu’elle pourra faire avec ce temps et cet argent supplémentaires, ces deux ressources dont elle a manqué toute sa vie.

Jouer avec ses petits-enfants, qu’elle aime de façon encore plus inconditionnelle que cette nouvelle forme de retraite. Envoyer davantage d’argent à ses parents restés au Portugal et qui ont de plus en plus de mal à payer leurs factures médicales. Mener des projets avec le « Front des Mères » qu’elle a rejoint il y a quelques années – ses horaires ne lui ont jamais permis de s’investir aussi activement que ce qu’elle aurait voulu. Lire enfin tous ces livres qu’elle rêve de lire depuis tant d’années pour comprendre comment rendre le féminisme décolonial, remplacer les énergies fossiles ou encore détricoter le capitalisme.

Argent, argent, argent. Bernard sait compter. Combien un investissement peut lui rapporter. De combien peut-il augmenter l’un ou l’autre de ses produits. A combien un salaire doit-il s’élever, pour quel poste. Combien un nouveau client, selon son profil, peut lui rapporter. Il va justement rencontrer ce midi un potentiel client. Il monte dans le métro.

Arts-gens, arts-gens, arts-gens. Un homme qui joue du violon en souriant, un enfant qui chante à ses côtés. Un tag sur le mur : une femme jette une pelote de fleurs comme s’il s’agissait d’une grenade. Une affiche pour une pièce de théâtre, Porte dorée – on y voit deux comédiennes, une Noire et une Blanche main dans la main, et une question adressée à tout passant : « faut-il restituer leurs œuvres d’art aux anciennes colonies ? ». Johanna sait lire, voir, ressentir, écouter. Elle monte dans le métro.

Entre les stations « Murâge » et « Yesse-Viais », le métro freine brusquement. Après quelques minutes d’arrêt total, des personnes se déplacent vers l’avant du véhicule à la recherche de la cause. Une rumeur circule : il s’agirait d’un problème technique.

Bernard s’énerve. Sûrement des ouvriers qui ont mal travaillé. Et qui maintenant lui font perdre son précieux temps. Il prévient la personne avec qui il a rendez-vous. Partage la connexion avec son ordinateur et se plonge dans ses tableaux Excel. Il est dérangé par un groupe de jeunes assis derrière lui qui débattent vivement. Il entend l’un deux dire :

– C’est d’une société centrée sur le travail dont il faut nous libérer.

Il se retourne et leur lance en souriant jaunement : « et est-ce que vous, vous pourriez me libérer de votre bruit s’il vous plaît ? »

– Qu’est-ce que vous faites de si important ?

– Justement, je travaille moi jeune homme ! Je fais tourner l’économie dont vous profitez.

Un éclat de rire lui répond.

– Merci mais on n’en veut pas de votre système économique basé sur le productivisme, lui répond une jeune femme.

– Et qu’est-ce que vous voulez alors ? crache Bernard énervé.

– Vous, qu’est-ce qui vous rend heureux dans la vie ? lui demande la jeune.

La question le transperce. Peut-être parce qu’il ne s’est pas posé cette question depuis longtemps. Sans le vouloir, Bernard pense à sa fille. Et son énervement est rejoint par de la tristesse. Il ne la comprend pas. Sa fille ne travaille plus depuis deux mois, elle est en congé maladie, soi-disant pour cause de « burn-out ». La fille qui lui a posé la question lui ressemble étrangement. Sa fille lui manque. Il voudrait lui parler plus souvent mais ils ont chacun leur vie. Et surtout, il voudrait qu’elle soit heureuse. Qu’elle trouve sa voie, un travail qui la motive, sa place dans la société.

Pour ne pas laisser transparaître sa tristesse, il lève les sourcils et les yeux au ciel et se replonge dans son Ex-ciel.

Johanna est stressée. Elle va arriver en retard à son shift, elle est technicienne de surface dans un hôtel. Elle a peur de se faire licencier. Elle est déjà arrivée en retard une fois il y a six mois car elle avait dû accompagner son petit-fils à l’hôpital.

Pour se détendre, elle se met à déambuler dans le métro. Elle tombe soudain nez à nez avec un ancien patron, qui vient de relever les yeux de son écran.

– Monsieur Gent !

– Oh Madame !

Bernard avait licencié Johanna il y a quelques années, lors d’une restructuration du personnel.

Ils sont tous deux mal à l’aise. Johanna lui pose la première question qui lui vient à l’esprit :

– Comment va votre femme ?

Aïe. Ça fait beaucoup pour Bernard. Cette sale réforme des pensions, le métro bloqué, le rendez-vous reporté, l’insolence des jeunes, le rappel de sa fille… Et sa femme qui est partie l’an passé. Il sent tous les mois de solitude remonter à la surface, suivis de tout le stress et la fatigue accumulés, eux-mêmes épicés par la culpabilité envers cette ancienne employée dont il ne se souvient pas du nom.

Aïe. Bernard sent une boule comme lointainement coincé dans sa gorge. Il tente d’articuler « ça va » mais à la deuxième syllabe, la boule remonte dans sa bouche et lui tord la mâchoire, avant de lui piquer les yeux. Sans comprendre ce qu’il se passe, il pleure.

L’univers se renverse. Il ne peut s’enfuir. Il a l’impression d’être dans un rêve tellement la situation lui semble absurde, tellement elle lui échappe.

Johanna est encore plus mal à l’aise mais ne se voit pas prendre congé, elle s’assied à côté de lui. Elle lui pose des questions et il est décontenancé d’être interrogé sur autre chose que son business. Sans filtre, il laisse des mots et des sanglots jaillir et s’entremêler. Il parle de sa fille, sa femme, ses parents, ses employés, ses voisins. Tous les conflits non-réglés avec des casse-pieds. Le manque de reconnaissance dont il souffre, alors qu’il se démène pour faire au mieux.

Une fois ses yeux asséchés, il se met à son tour à questionner Johanna. Surprise par les confidences de Bernard, elle l’est d’autant plus par sa considération et son intérêt à présent. Elle lui parle de sa jeunesse au Portugal, ses études en assistante-vétérinaire, son départ pour suivre le père de ses enfants, le décès de celui-ci, son apprentissage du français, ses petits boulots, ses difficultés financières… et son bonheur depuis l’annonce de la révopension.

La jeune femme qui avait interpelé Bernard se retourne et confirme que cette révopension est la meilleure mesure que le gouvernement pouvait prendre.

Bernard réagit : « Vous n’imaginez pas combien les gens peuvent être fainéants. S’il était sûr de recevoir la carotte quoi qu’il fasse, l’âne n’avancerait pas d’un poil », affirme-t-il.

  • Pourquoi forcer l’âne à avancer s’il n’en a pas envie ? demande la jeune femme
  • C’est comme si vous me demandiez pourquoi il faut travailler !
  • Pourquoi faut-il travailler ?
  • C’est évident. Pour faire tourner l’économie. Pour participer à la société, au collectif. C’est égoïste de ne pas travailler. Si personne ne travaillait, les choses ne fonctionneraient pas.
  • Pourquoi ?
  • Pour plein de raisons, rien ne fonctionnerait sans travail ! Par exemple, ce sont les impôts que les sociétés paient qui permettent de financer les écoles, les hôpitaux, les autoroutes…
  • Pourquoi faut-il des écoles, hôpitaux, autoroutes ?

Un ange passe. Bernard la dévisage. Sa suite de « pourquoi » lui rappelle sa fille lorsqu’elle avait 4-5 ans. Le ton de ses « pourquoi » n’est pas provocateur mais profond. Comme si elle avait déjà creusé les chemins de ces questions et qu’elle le prenait par la main pour l’amener là où elle était déjà arrivée.

  • Si tu es malade, tu es contente d’être prise en charge à l’hôpital, n’est-ce pas ? lui demande Bernard.
  • Je préfère ne pas tomber malade.
  • Bien sûr, mais on ne choisit pas ces choses-là.
  • On choisit de bien manger, dormir, bouger… et être prêt à remettre en question son fonctionnement pour limiter son stress.
  • Il faut avoir été à l’école pour apprendre ces choses-là.
  • Pas nécessairement. Et le contraire est vrai aussi : de nombreuses personnes très scolarisées ne savent pas bien manger, dormir, bouger et limiter leur stress.
  • En tout cas, je ne vois pas comment tu ferais sans route, pour aller là où tu souhaites, et surtout pour pouvoir disposer de tout ce dont tu as besoin.
  • Tout dépend de ce qu’on appelle « besoin ». J’ai besoin d’être écoutée, considérée, aimée comme je suis. J’ai besoin de lenteur. J’ai besoin de temps toute seule. J’ai besoin de chouettes relations avec d’autres personnes. J’ai besoin de chouettes projets. Et tout cela, je peux me le procurer sans autoroute.
  • Tu es bien dans un métro en ce moment.
  • Oui, qui est un transport en commun. Je ne dis pas qu’on doit supprimer tout ce qui existe. Je pense que la société fonctionnerait mieux, avec « moins de biens et plus de liens ».
  • Pourquoi ?
  • Plus les êtres seront en lien, plus ils se rendront spontanément des services, moins il y aura besoin de « travail » pour que les besoins de chacun soient remplis.
  • C’est idéaliste comme vision.
  • Cela sonne comme une critique vu le ton de votre voix. Pourquoi n’aimez-vous pas entendre une vision idéale ?
  • C’est irréaliste. Vous n’avez pas les pieds sur Terre.
  • Venez, vous, vous promener avec vos pieds sur le sentir de la sobriété heureuse et vous verrez ce que c’est lorsque vos pieds et tout votre être se connectent à la Terre. Être toujours plus en liens, avec vous-mêmes, avec les autres humains, et non-humains, et tout ce qui vous entoure et se trouve sur votre chemin. Travailler moins, produire moins, gagner moins, consommer moins, aller moins vite… N’êtes-vous pas contents d’être arrêté dans ce métro et de ralentir votre rythme interne ?

Bernard s’est mis en mode « écoute ». Il réceptionne toutes ses idées d’un coup, essaie de les comprendre et assimiler. Johanna était restée silencieuse durant tout ce dialogue entre la jeune fille et son ancien patron.

  • Si je peux me permettre… commence-t-elle. Je pense qu’au cœur de la question du travail, il y a la question de l’utilité. J’ai souvent entendu des gens, même de gauche, dire des choses du genre « Les immigrés sont utiles, ils prennent les boulots dont les autochtones ne veulent pas ». Comme si être utile signifiait travailler et vice-versa.
  • Pourtant, il y a des gens qui font plein de choses très utiles pour la société qui ne sont pas rémunérées, renchérit la jeune fille. Prendre soin des enfants, des personnes âgées, de l’environnement, consommer et se déplacer de façon écologique… Et inversement, il y a des gens qui travaillent 70h par semaine, dont le boulot est néfaste pour la société, par exemple, s’ils dirigent des business dans la cigarette ou l’armement.
  • Ou dans le papier ? demande Bernard en ricanant.
  • Ce que je voulais dire par rapport aux immigrés, continue Johanna, c’est aussi le manque d’humanité et d’empathie. C’est comme si on disait « on accepte les immigrés que parce que leur présence est bonne pour l’économie », et non juste et uniquement pour la bonne raison qu’on souhaite que tout être humain puisse vivre dans la dignité.
  • Oui, et je pense qu’il faut aussi rappeler que la plupart des immigrés sont des migrants postcoloniaux, reprend la jeune fille. Ils quittent leur pays, parce qu’il a été appauvri, pillé de ses ressources humaines et naturelles et qu’il continue de l’être par d’anciennes puissances colonisatrices. Qui, elles, s’enrichissent et assurent un niveau de « confort » démesuré à leurs citoyens.

Bernard est désarçonné par la vision des choses des deux femmes, à mille lieues de ce qu’il a toujours pensé. Il est surpris qu’elles aient le temps de se préoccuper des immigrés, alors que lui n’a jamais eu ce luxe. Il ne s’était même jamais vraiment dit que Johanna en était une, même s’il trouvait son accent un peu comique. Il ne comprend toujours pas comment il a pu se laisser à pleurer un peu plus tôt.

Le métro redémarre, Johanna, Bernard et la jeune fille prennent congé les uns des autres pour reprendre leur vie.

Johanna rappelle son employeur pour le tenir informé de son heure d’arrivée, la petite boule au ventre qu’elle avait tout à l’heure semble s’être évaporée. A la place, elle sent comme une boule de bien-être chaude se répandre dans son corps. Cette conversation avec son ancien patron, bien que très déconcertante au départ, lui laisse maintenant comme un goût doux et sucré, un goût mielleux. Elle lui semble une continuité de la révopension. Elle se dit que pour la première fois, elle s’est sentie l’égale de son employeur, discutant avec lui comme deux êtres humains aux mécanismes similaires.

La jeune rejoint son groupe d’amis. Elle repasse le fil de la conversation dans sa tête et se dit qu’elle aurait mieux fait de répondre ceci ou cela. Mais elle est fière d’elle d’avoir tenu tête au vieil homme et d’avoir toujours pu lui répliquer quelque chose. Elle regrette de ne pas avoir davantage donné la parole ou laissé parler la dame, qui avait l’air d’avoir des choses très intéressantes à dire. Mais elle ne pouvait s’empêcher de profiter de cette discussion pour dire très vite ce qu’elle pense de ces questions qu’elle a déjà retournées de nombreuses fois dans tous les sens.

Bernard hésite à rappeler son client tout de suite ou à s’accorder quelques heures de pause. « Je n’ai pas travaillé les 57 dernières minutes et pourtant, c’était peut-être parmi les minutes les plus intéressantes de ma vie ».


Commentaire du jury

Vous faites partie des trois lauréat.es de ce deuxième concours d’« anciennes » mis en place par la Maison Commune de la Décroissance : parmi ces trois lauréats, vous avez reçu le prix « Sensibilité ».

Permettez-nous ce commentaire étayé de nombreux extraits de votre nouvelle…

Vous avez pu évoquer beaucoup de choses en six pages :

D’un point de vue littéraire : avec une structure claire où les lecteur.rices voient tour à tour les différents protagonistes prendre position sur notre sujet. Vous dessinez parfaitement le profil de leurs vies respectives, ils ont un passé, un passif qui nous éclaire sur leurs prises de position. Vous conférez à vos personnages les couleurs, les valeurs des divers pans de la société à laquelle ils contribuent. Enfin, vous leur donnez une épaisseur sensible, humaine.

Vous choisissez un lieu de rencontre fortuit : une rame de métro, ils n’y avaient pas rendez-vous et pourtant ce carrefour va compter dans leur chemin de vie, comme un nouvel aiguillage !

D’un point de vue politique : vous n’hésitez pas à accorder la réalité à cette réforme sur la retraite inconditionnelle d’un montant unique. Et vous choisissez de nous présenter les réactions des deux côtés de la « lutte des classes », Bernard un patron, et Johanna une « technicienne de surface » deux protagonistes symboles du monde du travail. Le travail, justement sur lequel vous faites porter la réflexion de vos personnages, tout au long de votre nouvelle. 

D’un point de vue décroissant : au cœur de votre nouvelle, le symbole de l’arrêt du système par l’arrêt de la rame, ce qui permet le temps du débat, des interrogations, des « prises de conscience », des bouleversements avec beaucoup de considérations décroissantes.

D’un point de vue littéraire 

Vos personnages sont bien représentés par les valeurs qui les sous-tendent : Bernard [concentré sur la rentabilité… la créativité… la rigueur dans l’organisation du travail.] n’a pas de temps à perdre, le temps c’est de l’argent ; Johanna qui, à l’annonce de la réforme, [exulte. Enfin une once d’égalité dans cette société. De justice. De dignité pour tous.tes.] car [cette révopension va doubler le montant auquel elle aurait eu droit sinon.]. Pour elle, c’est enfin avoir du temps et de l’argent supplémentaires, [ces deux ressources dont elle a manqué toute sa vie.] !

Le rendez-vous providentiel que vous accordez à vos deux personnages va faire sens dans leur vie. Notons tout d’abord que le métro tombe en panne « entre les stations [Mûrage] et [Yesse Viais] », « symbolique période de temps de la vie sage, de la maturité avant la vieillesse ». Les lecteur.rices sont prévenu.es : il y a du bouleversement, de la prise de conscience, de la remise en question dans l’air… Et nous ne sommes pas déçu.es car Bernard, l’homme d’entreprise, pour lequel le temps s’égrène en tranches de rendez-vous, va être confronté, interrogé, convoqué par sa vie affective qu’il avait mise à distance… grâce à une question bien polie, bien involontaire de Johanna qui reconnaît en lui son ancien patron. Elle ignore que sa femme est décédée un an plus tôt : [Comment va votre femme ?]. Bernard qui est toujours dans le mouvement de sa vie professionnelle, se retrouve là « captif » d’un temps d’arrêt non désiré, celui de la panne du métro, et le voilà qui ne peut échapper à cette reprise de souffle, lui qui est si à l’aise dans l’essoufflement de sa vie au travail : [il pleure… la situation lui semble absurde tellement elle lui échappe… Il laisse des mots jaillir et s’entremêler.]. Il vient de craquer face à la sollicitude de Johanna, elle [est encore plus mal à l’aise mais ne se voit pas prendre congé, elle s’assied à côté de lui. Elle lui pose des questions et il est décontenancé d’être interrogé sur autre chose que son business.] ! Johanna pourra elle aussi se confier sur sa [jeunesse au Portugal, ses études d’assistante-vétérinaire, son départ pour suivre le père de ses enfants, le décès de celui-ci…]. Ils partageront des morceaux de leur vie… renouant ainsi avec le propre de ce qu’est la vie sociale.                                                                                          

Le « groupe des jeunes » porteur de la phrase [C’est d’une société centrée sur le travail dont il faut nous libérer.], représenté par une jeune femme va également désarçonner Bernard de sa course folle dans le [système basé sur le productivisme] quand elle lui demande simplement [Vous, qu’est-ce qui vous rend heureux dans la vie ?], [question qui le transperce. Peut-être parce qu’il ne s’est pas posé cette question depuis longtemps], la question du bien vivre…

D’un point de vue politique, de l’impact social des choix politiques

La rencontre de Bernard et Johanna, c’est aussi celle d’un patron et de son ex-employée. Johanna, sa vie au travail, c’est être « technicienne de surface », ah que le capitalisme a le sens du mot imagé, ce qui l’est moins c’est le risque de se faire licencier fût-ce pour un retard [Elle est déjà arrivée en retard une fois il y a six mois car elle avait dû accompagner son petit-fils à l’hôpital…]. Justement, quand elle était dans l’entreprise de Bernard, c’est pour motif de [restructuration du personnel] que Johanna a été licenciée, ah que le capitalisme a le sens de l’euphémisme !                                                                        

Forcément que Johanna et Bernard ont des points de vue différents sur la révopension, un truc de [glandeurs], pour Bernard c’est [la pire des idées], il devra toucher la même pension que n’importe qui ! Alors que Johanna exulte, vous parlez de [son bonheur depuis cette annonce].                                                                                                                  

Bernard est amer, pas seulement à cause de la révopension, le capitalisme le broie lui aussi, petit patron [qui s’est toujours démené pour faire tenir son entreprise de production de papier, au travers des décennies et des évolutions du marché], le sacrosaint domaine des lois du marché ! Il souffre d’un [manque de reconnaissance … alors qu’il se démène pour faire au mieux.]. Il pensait sans doute être du bon côté de la barrière.                                                                                                                                       

De l’autre côté de la barrière, Johanna sait ce que le capitalisme est capable d’exploiter, l’acceptation de [petits boulots] mal reconnus, mal payés, malgré sa formation d’[assistante vétérinaire] au Portugal, malgré [ses difficultés financières] de veuve avec deux enfants.

Vous avez parfaitement mis en évidence le rejet que peut nous inspirer le capitalisme.

D’un point de vue décroissant

Bien vu l’idée de cet arrêt forcé entre deux stations de métro, un arrêt symbolique du métro qui est supposé ne pas arrêter sa course effrénée et sans cesse renouvelée, le mouvement presque perpétuel qui nous fait penser à la course folle dans laquelle est lancée toute l’humanité sur cette planète : la recherche implacable de croissance ! Plus de bruit des roues sur les rails, l’occasion d’entendre les conversations voisines ! Et là, c’est Bernard qui n’est pas déçu ! Le groupe de jeunes le renvoie à l’inutilité de cette folie productiviste. Jamais il n’a entendu de telles considérations sur le travail, lui qui pense que le travail permet [de trouver sa voie, de trouver un travail qui nous motive, d’avoir une place dans la société] ! Les jeunes lui parlent de [travailler moins, produire moins, gagner moins, consommer moins, aller moins vite…]. Cela crée le trouble dans son esprit… du moins jusqu’à la fin de votre nouvelle où finalement [Bernard hésite à rappeler son client tout de suite ou à s’accorder quelques heures de pause. « Je n’ai pas travaillé les 57 dernières minutes et pourtant, c’était peut-être les minutes les plus intéressantes de ma vie. »]…

Bon, cela semble bien parti, en tout cas au niveau des « gens de petits boulots », peut-être des petits patrons ! Souhaitons que la révopension soit une pension de rêve, et non pas qu’elle demeure un rêve de pension !

Partagez sur :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.