« Mathilde, Mathilde, qu’est-ce que vous avez acheté-là ? Mathilde, Mathilde dites-nous ! »
Cette publicité radio, vous l’avez peut-être entendue dans le bus, dans un magasin… (ou si, dans le secret de votre habitacle de voiture, vous passez de France Culture à Fun Radio sans que personne n’en sache rien) : elle mime une horde de personnes postées à la sortie d’un magasin, transformées pour un temps en paparazzis réunis dans l’espoir de soutirer à Mathilde le secret de ses achats réussis. Le message est clair : achetez comme Mathilde et vous serez comme elle : populaire, reconnue, puissante…
Cette pub, que nous dit-elle d’un point de vue décroissant ? Quel chemin conceptuel nous indique-t-elle ? Qu’en tant que décroissant-es, il ne faut pas simplement diriger notre critique contre le phénomène économique de la croissance (celui d’une économie obnubilée par la croissance du PIB), car en réalité, celle-ci est une idéologie visant à l’extension illimitée de son domaine (une « idéologie de cellule cancéreuse » avait pour habitude de dire l’écrivain américain Edward Abbey, auteur du fameux roman Le Gang de la clé à molette) : un impérialisme, donc, qui s’applique à la société toute entière, à toutes les formes de la vie sociale (rapports sociaux de production certes, mais aussi de consommation, de divertissement…). La croissance est un monde, qui implique des relations spécifiques au vivant, aux autres, à soi… et autant de manières de (dés)habiter le monde. Dans une société de croissance, c’est la domination de nos modes de vie qui est en jeu.
C’est donc en s’apercevant que nous vivons en « régime de croissance » (Onofrio Romano) qu’on comprend que celui-ci ne peut être confondu avec le capitalisme : la croissance et le capitalisme ne se réduisent pas l’un à l’autre. Le nouvel âge du capitalisme, c’est l’âge de la croissance et de son monde.
Que conclure de ce constat ? Que d’une critique anticapitaliste des rapports économiques de production, il faut passer à une critique décroissante de la domination de l’économie sur l’ensemble de la vie de la société. Pour cela, il ne s’agit plus seulement de s’attarder sur les échecs des modèles capitalistes et croissancistes, mais de comprendre leurs succès et leur désirabilité, dont ‘l’innocente » Mathilde nous donne un parfait exemple : son influence, c’est sur notre temps de cerveau humain disponible qu’elle l’exerce (et c’est là qu’on retrouve une continuité historique entre un PDG de TF1 du siècle dernier, et des influenceuses « bien de notre temps »). C’est pourquoi il faut dès maintenant que l’anticapitalisme réalise son coming-out décroissant : « anticapitalistes de tous les pays, rejoignez-nous ! »
Vous trouverez dans le nouveau dossier « Capitalisme, anticapitalisme, décroissance » publié sur le site de la MCD et présenté ci-dessous, un développement complet de ces analyses.