Les festives de la décroissance ont eu lieu du 15 au 21 août 2022, dans les Vosges. Elles avaient pour thème « décroissance et vie sociale », car nous faisons de la préservation de la vie sociale l’objectif politique (et enthousiasmant!) de la décroissance. Si l’un des domaines de la vie sociale est celui de la célébration, du jeu et de la cuisine collective, alors de ce point de vue les (F)estives 2022 étaient une vraie expérimentation collective d’une vie sociale riche et épanouie !
Loin d’en rester là, à travers les interventions d’Aude Vidal, de Michel Lepesant et d’ateliers d’arpentage de textes , nous avons consolidé notre critique de l’individualisme, ce tueur moderne de vie sociale, tout en défendant cette dernière comme un « bien commun vécu » qu’il faut chercher à conserver et protéger contre les tendances « sociocidaires » de la croissance et de son monde (dossier à venir)
La MFR de Saint-Dié-des-Vosges où ont eu lieu les (F)estives
Le cadre écologique
Pourquoi faire de l’objectif principal de la décroissance la préservation de la vie sociale, alors que notre planète brûle, et qu’il semblerait que l’urgence soit plutôt à la protection du vivant ? Parce que la préservation de la vie sur terre nous fournit « seulement » notre fondement, notre principe de réalité. Décroître, c’est replacer la politique au cœur de l’écologie : celle-ci nous fournit des limites, un cadre que nous devons respecter, cadre en-dehors duquel la vie sur terre n’est plus possible (ce cadre, entre plancher (limite haute) et plafond (limite basse), c’est l’espace écologique, tel que le définissent les Amis de la terre)
Le sens de la vie est une question politique
Mais si l’écologie fournit un principe de réalité, il faut l’articuler avec un principe d’espérance, de désir : la recherche de la vie bonne. Si les décroissant-es veulent le plus tôt et le plus brièvement possible décroître, ce n’est pas pour le plaisir de souffrir, c’est au contraire avec l’objectif de « bien vivre » : ce qui signifie très exactement « vivre ensemble » et en même temps, du « seul fait de vivre ». Ce n’est qu’en vivant ensemble que les humains peuvent prendre plaisir au seul fait de vivre : voilà ce qui constitue le fondement d’une vie bonne, d’une vie véritablement humaine.
La vie sociale n’est donc pas la vie des individus dans la société ou « la vie en société », mais la vie de la société.
Remettre l’économie à sa place pour préserver la vie sociale
Quelles sont alors les activités qui relèvent de cette « vie de la société » ? Quand on parle de « vie sociale », on a tendance à tout de suite imaginer « une bière entre ami-es à la terrasse d’un café »… Si cette activité en fait partie, celle-ci est loin de s’y résumer : éducation, soin, activités domestiques, entretien du lien social, mutualisation et services rendus, mais aussi palabres, échanges, célébrations en commun, préparation des fêtes et des rituels, spectacles, jeux, chant et musique… toutes ces activités « inutiles » constituent la sphère de la reproduction sociale (celle des activités « non-marchandes » où il s’agit de « faire » des personnes). Celle-ci est aujourd’hui menacée de marchandisation par l’extension infinie du domaine de l’économie et de la sphère productive (celle où il s’agit de « faire des profits »). Le monde de la croissance, c’est ce monde où l’économie prend toute la place, où tous les pans de la vie sociale sont encastrés, engloutis, dans l’économie. C’est pourquoi décroître, c’est ré-enchâsser l’économique dans le social et remettre l’économie à sa place « historique » : celle d’une activité de la vie sociale qui ne s’occupe que de la subsistance et de l’autosuffisance.
Parce qu’elle est un « bien commun vécu » (François Flahaut), des effondrements qui menacent, celui de la vie sociale nous préoccupe donc au moins autant que celui du vivant.
« L’« ambiance », l’« atmosphère » qui règne dans un groupe plus ou moins nombreux constitue un bien commun vécu par les membres de ce groupe. Ce type de bien commun, intangible mais bien réel, répond aux mêmes critères que les autres (libre-accès et non-rivalité) ; plus un troisième critère : non seulement le fait d’être plusieurs ne diminue pas le bien-être vécu par chacun, mais le fait d’être plusieurs est la condition nécessaire pour que ce bien se produise
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Alors que l’individualité est la condition humaine de la « vie en société » (société qui est alors un ensemble d’individus juxtaposés), c’est au contraire la pluralité qui est la condition humaine de la vie sociale : non seulement la pluralité est la condition nécessaire de la vie sociale, mais la vie sociale devient alors la finalité de la vie à plusieurs. Les hommes vivent socialement pour entretenir et conserver la société. Voilà ce qui pourrait nous guider pour une société « post-décroissance… »
En regardant la vidéo ci-dessous, vous pourrez apercevoir l’esprit des (F)estives 2022 ; et du texte ci-dessus aidez-vous pour repérer l’erreur qui s’est glissée dans la bouche de Thierry à un moment de l’interview…
Notes et références
- François Flahault, Où est passé le bien commun ?, 1001 nuits, février 2011, page 118.[↩]