Lors des rencontres de la décroissance d’août 2022, j’ai proposé quelques pistes de réflexion pour aider à cadrer conceptuellement (et un peu historiquement) les relations politiques qui peuvent exister entre décroissance et anticapitalisme : ce qui nécessite, selon moi, de recadrer le déploiement du monde de la croissance à partir du capitalisme.
Je reprends ici l’intention de cette intervention en la développant énormément. Mais l’intention reste la même : j’appelle anticapitalisme tronqué, cet anticapitalisme qui ne prend pas acte du tournant consumériste de l’entre-deux-guerres et qui surtout passe à côté du déploiement à partir des années 1950 d’une économie de la croissance dont l’hégémonie tient fondamentalement à l’emprise que le « régime de croissance » exerce sur tous les rapports sociaux et écologiques : pas simplement les rapports de production, mais aussi les rapports de consommation et de divertissement.
Le texte se compose de 4 parties :
- la première s’adresse aux anticapitalistes (militants) qui hésitent à franchir le pas de la décroissance : pour leur rappeler les échecs de l’anticapitalisme (que je qualifie de « tronqué ») ← cette partie ne prétend à aucune originalité.
- la deuxième partie s’adresse aux décroissants qui n’ont pas encore franchi le pas de l’anticapitalisme parce qu’ils ne voient pas bien ce qu’est le capitalisme.
- la troisième partie s’adresse aux décroissants qui se demandent comment articuler – tant historiquement que conceptuellement – la décroissance et le capitalisme (j’ai besoin pour cela de poser un deuxième âge du capitalisme – celui de la consommation – et surtout j’ai besoin de distinguer entre la croissance comme « phénomène » économique (dont la boussole est le PIB) et la croissance comme « régime », ou comme « paradigme », ou comme « monde ».
- dans la quatrième partie, je m’adresse aux décroissants qui veulent prendre au sérieux cette distinction entre « phénomène » et « régime » et je tente une double recherche à la fois sur ce qu’on peut entendre par « régime » ou « monde », et, in fine, par « croissance ».
Le sommaire
- 1. Faiblesses théoriques et échecs historiques de la critique anticapitaliste du capitalisme par ses échecs.
- 1.1 Les échecs de l’anticapitalisme militant.
- 1.2 Les raisons théoriques des échecs historiques de l’anticapitalisme militant
- 2. Mais alors qu’est-ce que le capitalisme ?
- 3- La croissance et le dépassement du capitalisme
- 4- Pas de croissance sans régime de croissance
- 4.1) « Esprit de croissance » et « paradigme de croissance » chez Matthias Schmelzer
- 4.2) Le « régime de croissance » chez Onofrio Romano
- 4.3) De la forme-régime
- 4.4) Un régime de croissance sans croissance, on ne peut rien imaginer de pire
- 4.5) De l’emprise totale du monde de la croissance sur les modes de vie
- a) Le monde de la consommation
- b) Le monde du quotidien sous l’influence du coaching
- c) Les déclinaisons de la décroissance révèlent le potentiel d’intrusion et de dépolitisation généralisées du monde de la croissance
- d) Le monde de la contestation du monde de la consommation
- e) Nous vivons et nous pensons dans le monde de la modernité tardive