Un « coup de coeur » de la bibliothèque de ma commune ainsi rédigé.
« Roman épistolaire où à travers 15 lettres l’autrice se livre à la fois à une déclaration d’amour à Cervantès, à une célébration de ses personnages, mais aussi à un mise en abîme de notre société. Elle s’emporte, s’indigne, et nous apprend à rêver… mais debout pour ne pas mourir couché ».
Aguichant, non ? Insuffisante recension ci-dessous pour vous inciter à en savoir davantage dans le texte complet.
Lydie Salvayre a une lecture très personnelle de Cervantes, poétique indéniablement, mais plus surprenant, à partir d’un texte jeune (vieux de… disent les pisses-froid) de quatre siècles, elle dissèque les vicissitudes de notre époque.
Ainsi Don Quichotte sera alternativement, voire simultanément marxiste, anarchiste, ascète famélique et décroissant joignant le prêche et, en cohérence, la vie réellement vécue.
Citations à l’appui.
Don Quichotte surprend un patron fouettant son serviteur attaché à un arbre. L’Espagne des années 1600 est une société violente où les châtiments corporels sont d’usage courant.
Le maître de Rossinante s’indigne « … que le paysan [propriétaire, patron] se prévale de son statut de patron pour punir son valet ainsi que bon lui semble comme celui de l’entuber en toute impunité (serait-ce une définition du patronat ?) ne l’impressionne nullement. Pire il ne fait qu’accroître sa colère. » (p.21). Le chevalier vigoureusement s’interpose pour faire cesser cette ignominie.
De ses interventions répétées Don Quichotte doit souvent souffrir des conséquences, plaies et bosses trop souvent. Pourtant « Il repart au combat, disais-je, avec la dernière énergie, parce que que combattre, assure-t-il, le repose [?!], mais surtout parce qu’il se sent requis par la volonté impérieuse d’améliorer le monde que rien ni personne ne saurait infléchir » (p.44). Redresseur de torts, utopiste combatif, c’est l’inéluctable destin du chevalier à la triste figure.
Lydie Salvayre libre de sa correspondance avec Cervantès, mêle son texte et ses interprétations à la prose de l’auteur admiré et « trahi-servi » par une lecture contemporaine.
Ainsi d’écrire p. 48 quelques aphorismes.
« Pas de littérature sans liberté.
Pas de liberté sans courage.
Pas d’écrivains sans courage ».
Don Quichotte de courage en manque au point qu’il est parfois, à ses dépends, téméraire.
Aristote écrivait il y a bien longtemps quelque chose de presque semblable.
Il n’y a pas de bonheur sans liberté. Et, il n’y a pas de liberté sans courage.
Qualifié de proto marxiste dans sa défense du valet par son maître meurtri, le chevalier est quelques pages plus loin converti à l’anarchisme. Rien de moins !
« Anar je vous dis qu’il est. Anar jusqu’à la moelle. Le Quichotte n’est nullement impressionné par ceux qui représentent les autorités temporelles » (p.49).
Le cavalier est déjà un adepte de la simplicité volontaire, de la frugalité révolutionnaire, sans avoir rencontré Pierra Rabhi et sans connaître une ligne de Serge Latouche.
« Il vit de peu. Soucieux des autres. Engageant une lutte sans merci contre les salauds de tout poil » (p.51).
L’autrice d’actualiser à sa manière le texte immortel.
« D’autant qu’il me vient à l’esprit soudainement que le Quichotte échoue comme nous sommes peut-être en train d’échouer aujourd’hui devant la sauvegarde de la planète. Car notre planète souffre […] Car notre planète souffre. Monsieur, souffre et suffoque et risque, si nous ne faisons rien d’aller de mal en pis » (p.61).
Disons, qu’il y a quatre siècles les dégâts du productivisme capitaliste étaient difficiles à anticiper.
Sur ce point, nous pouvons, à Quichotte accorder des circonstance atténuantes.
« Son souhait, en quelques mots, est de faire advenir une humanité plus juste, plus mélodieuse et où personne ne fera plus s’agenouiller personne, une humanité où s’inventeront de nouvelles façons de vivre et de lier des liens sans que les pouvoirs despotiques aillent y fourrer leur nez (p. 77).
Le côté libertaire du piètre cavalier, de nouveau.
Quichotte est bien secondé par Sancho, les livres y insistent. Un valet qui n’a guère le goût du pouvoir et refusera rapidement les encombrements de la richesse.
En effet, on fait croire à Sancho qu’il est intronisé gouverneur perpétuel de l’archipel de Baratarie.
Les commentaires de Lydie Salvayre au sujet de cette promotion sont à savourer dans l’original que je ne saurai déflorer présentement…
Toujours est-il qu’après un temps fort court dans les fastes et riches cérémonies, Sancho « choisit d’envoyer bouler son titre et de retrouver la liberté perdue autrement dit :
° dormir à l’ombre d’un chêne plutôt que de se coucher dans de soyeux draps de Hollande,
° bayer aux corneilles et se la couler douce, plutôt que s’esquinter le derrière sur un trône anguleux,
° déjeuner sur l’herbe fraîche plutôt que dans de la vaisselle d’argent,
° d’un croûton de pain noir plutôt que d’un pigeon rôti aux olives dont il est très friand,
° marcher dans des sandales en corde plutôt que les pieds à l’étroit dans du cuir de Cordoue » (p.88). La simplicité volontaire dès les années 1600.
Tel valet, tel maître. C’est la thèse de Lydie Salvayre qui pour commenter, résumer, reprend explicitement la plume.
« En résumé, le Quichotte n’a pas une carte bleu à la place du coeur. L’opulence ? Il y est totalement indifférent [comme son valet, Sancho], et vit par choix comme le plus pauvre des pauvres. […] De plus, loin d’être une privation douloureuse ou un appauvrissement dégradant, son dénuement constitue pour lui une expérience qui l’inspire, le renforce et le délivre des affres et servitudes que la possession occasionne ? Son dénuement est la condition même de sa liberté. »
Une espèce de décroissant radical, excessif ? Nous espérons l’avis de Serge Latouche…
Toujours est-il que sans attendre l’appréciation du Pape de la Décroissance, l’autrice le compte au nombre des Décroissants pratiquants.
« Adepte convaincu de la Décroissance, il estime que la bonne chère, les suprêmes de chapon, les gourmandises hors de prix […] ont été créés pour les gentilshommes qui se prélassent à la cour.
Il vit au jour le jour, dort parfois à la belle étoile, se contente en guise de dîner d’un quignon de pain […] en guise d’apéritif ; l’eau pure des ruisseaux ; en guise de matelas : un austère tas de paille ; et pour water-closet la nature sauvage et quelques feuilles de châtaignier. Que désirer de plus ? »
Une uchronie pédagogique : l’eau pure des ruisseaux est, aujourd’hui, difficilement accessible. Les feuilles de châtaignier, ne sont pas en vente dans les supermarchés…
Nonobstant, ce qui est dit ainsi vaut pour aujourd’hui, au moins pour les lecteurs en sympathie.
Dont je suis, ayant pris grand plaisir à la lecture.
Lydie Salvayre, une autrice politiquement située, son opinion sur les « traders » comme indice.
« Vous souhaitez que je vous traduise le mot « traders ». Il désigne des personnes addicts à la pornographie financière » (p. 98).
Une belle citation pour finir, « DonQuichottesque » en diable.
Cervantès. L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche.
Prologue du tome 1. Garnier-Flammarion, 1969. Traduction de Louis Viardot.
« Le loisir et le repos, la paix du séjour, l’aménité des champs, la sérénité des cieux, le murmure des fontaines, le calme de l’esprit, toutes ces choses concourent à ce que les muses les plus stériles se montrent fécondes, et montrent au monde ravi des fruits merveilleux qui les comblent de satisfaction. »
« Rêver debout », un roman épistolaire de Lydie Salvayre, Editions du Seuil, 2021