L’actuelle destruction du monde, invisible à nos yeux aveugles, se caractérise surtout, hélas, par une très forte inertie. Elle prend du temps mais elle est lancée sur une pente impossible à redresser rapidement, et au-delà d’un certain point impossible à redresser, définitivement.
Nos sens sont trompés, sans compter les désinformations qui font perpétuellement passer la relance de l’économie productiviste et capitaliste avant l’écologie, la vie. Nos sens sont trompés car à court terme, somme toute, tout semble comme avant, les cataclysmes sont presque toujours pour les autres et loin de nous. Saint-Martin-Vésubie étant le dernier signal, avant les prochains qui ne tarderont pas et qui iront croissant.
Seule notre connaissance objective, reculée, éclairée scientifiquement, nous permet de mettre ces catastrophes sur le compte d’autre chose que les aléas de la météo : sur le compte d’une tendance lourde, de plus en plus irréversible, et c’est bien là, sur cette irréversibilité, que se situe le grand problème dû à l’inertie des phénomènes climatiques. Car il est un point au-delà duquel il sera, il est définitivement trop tard pour inverser le cours des choses. A attendre ce point, il risque d’être derrière nous, et lorsque qu’il est avéré qu’il était derrière nous il est trop tard. Définitivement. Attendre en la matière est un suicide collectif auquel nous procédons quotidiennement sans nous rendre compte de l’enjeu vital mondial encore jamais rencontré, à aucune époque de notre histoire : un enjeu qui concerne l’ensemble du vivant, l’ensemble de la biosphère, la vie sur terre.
Hélas, lorsque la mesure de l’enjeu sera vraiment prise au sérieux, il sera vraiment trop tard, pour la bonne raison que, très probablement, il est déjà passé le moment où il aurait fallu faire quelque chose. Quelque chose, mais quoi ?! Comme on ne sait pas répondre à cette question, on s’en remet à plus tard, aux générations futures qui, elles, sauront… Ou pas.
Aujourd’hui, maintenant que le permafrost a commencé son inéluctable, son macabre dégel, on sait ce qu’il aurait fallu faire, cet inentendable du temps du progrès : revenir, reculer, renoncer, régresser vers un monde sans émissions de gaz à effet de serre, sans énergies fossiles, sans pétrole, sans gaz, sans charbon, et même sans énergies renouvelables du type électricité à base de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes géantes, toutes deux liées aux terres rares polluantes, esclavagistes, intenables, indéfendables pour peu qu’on y mette de l’éthique. Mais éthique et économie libérale sont antinomiques, c’est bien là le malheur.
Le rouleau compresseur de la relance de l’économie industrielle et de la mise au ban de la décroissance nous ont fait devenir insensibles et aveugles à ce qui se trame, à ce monstre aux mille têtes qui nous arrive dessus. Et lorsque nous dirons à propos de ce monstre : « il est là ! Il arrive ! » il sera trop tard, et il commence sacrément à être trop tard, car rien, aucune force mythique ne peut l’arrêter, lorsqu’il est lâché la machine arrière est impossible à actionner, le levier est cassé, inaccessible, inexistant, et attendre que ce moment arrive est inconscient puisque lorsqu’il sera advenu, je le répète, il sera trop tard : c’est avant qu’il fallait y penser ! Comme le dit finement cette vieille maxime : « c’est pas après qu’on a chié dans son froc qu’il faut serrer les fesses ». Ben là c’est pareil, avec des conséquences autrement plus désastreuses : cataclysmiques !
Bon. Il est trop tard mais tout de même, faire comme si tout était foutu, ça n’est pas humain. Il nous faut faire comme si c’était encore jouable, montrer le début du chemin aux générations futures, leur ouvrir la voie, après tout les générations futures c’est nous ! Et entamer cet effort ultime, vital, d’un retour à une société artisanale, apanage et point commun de toutes les sociétés millénaires qui nous ont précédés et que nos aïeux occidentaux ont détruites au nom du progrès, de l’expansion, de la religion, au nom des Lumières.
Robin Branchu – 3 novembre 2020